"Le serment de l'Armée Juive", témoignage de Jean Brauman

Légende :

Extrait du témoignage de Jean Brauman recueilli en 2005. Le témoignage intégral est consultable sur le site du United States Holocaust Memorial Museum

Genre : Film

Type : Témoignage

Source : © United States Holocaust Memorial Museum Droits réservés

Détails techniques :

Durée : 1 minute 34 s

Lieu : France

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Contexte historique

Afin de pouvoir intégrer la Main Forte ou l’Armée juive, les nouvelles recrues doivent prêter un serment formulé en ces termes : « Je jure de lutter pour la création d’un état juif en Palestine, que renaisse Eretz Israël, que revive mon peuple ». Ces propos illustrent un des aspects essentiels de l’objectif fixé par les fondateurs de l’Armée juive. Jacques Lazarus souligne « que si aux yeux de beaucoup ce serment était considéré hors du temps voire quelque peu ubuesque, il n’était pas perçu ainsi par les néophytes qui s’enrôlèrent dans l’AJ de tout leur cœur et qui, nombreux, allaient après la guerre concrétiser leur engagement en s’installant en Palestine, souvent avant même la création de l’Etat d’Israël, voire en versant leur sang lors de la guerre d’indépendance en 1948 » (J. Lazarus, Combattants de la liberté, 1995).

Nombre de témoignages, dont certains conservés au Mémorial de la Shoah, évoquent cette prestation de serment dont le contenu même a évolué. Selon Anny Levy, rapportant les propos de Polonski, « c’est le 29 août 1940 que le premier membre de la MF a prêté serment ». Arnold Mandel, l’une des premières recrues de la Main Forte, évoque le serment qu’il passe en 1940 : « Knout désirait que nous formions des groupes compacts de Juifs avec un esprit national. (…) Le premier serment que nous avons prêté était exactement, traduit en français, le serment de l’Irgoun [organisation armée de la droite sioniste en Palestine, ndla] : "Lutter contre l’Angleterre, considérer la Palestine comme notre patrie, travailler en vue du retour en Palestine et de la défaite des occupants ennemis" ». En 1940, l’ennemi pour David Knout est non pas l’Allemand mais l’Anglais qui occupe la Palestine.

Rodolphe Furth se souvient également de sa prestation de serment sans en évoquer les propos : « Il [David Knout, NDLA] m’a emmené dans une maison inconnue, je le voyais inquiet. Il frappe à une porte, elle s’ouvre, il fait un signe conventionnel, on me fait entrer et je vois une lampe braquée sur moi. Je me suis dit : "c’est un guet-apens". Et j’entends Knout déclarer : "Chef, vous avez devant vous Rodolphe Furth qui est venu prêter serment. – Rodolphe Furth, levez la main droite et prêtez serment". C’est ainsi que j’ai été enrôlé dans la Main Forte.» (Mémorial de la Shoah DLXI-27).

Affaiblie par le départ de David Knout en Suisse en 1942, la Main Forte se transforme en organisation de lutte armée, l’Armée juive. L’AJ devient une organisation structurée avec des objectifs précis : la lutte contre les nazis avec, à terme, l’établissement en Israël.

C’est en mars 1943 que Jacques Lazarus rejoint l’Armée juive à Toulouse et prête serment : « A l’heure dite, nous nous trouvions au lieu fixé, une maison dans un square retiré. Au premier étage, Lambert m’introduisit dans l’appartement ; tout était sombre, je ne discernais rien. Je savais que je ne verrai pas le chef en question, bien qu’il dût se trouver dans la même pièce que moi. La porte de la chambre se mit à glisser lentement. Guidé par Ernest, j’entrais à tâtons, dans une obscurité totale, mes mains s’agrippèrent au dossier d’une chaise. J’étais saisi, je dois l’avouer, par l’atmosphère mystérieuse qui m’environnait. Brusquement le faisceau d’une lampe électrique vint frapper mon visage. Surpris, j’écarquillai les yeux, tandis qu’une voix, sortie de l’ombre, commença à m’interroger. Je ne discernais toujours rien. Appuyer au dossier de la chaise, raidi, je répondis d’une voix mécanique. "Vous êtes désormais membre de l’AJ". Ces mots donnèrent le signal de la fin de cet entretien bizarre. » Selon Lazarus, cet entretien et la prestation du serment permettait d’assurer la sécurité de l’organisation grâce à un engagement total de la nouvelle recrue.

Pierre Loeb, quant à lui, prête serment à l’été 1943 : « Après plusieurs conversations, Albert Cohen m’a présenté à son frère Simon, puis à Polonski. La première entrevue a eu lieu dans son entreprise de matériel électrique. Puis j’ai connu Léonard Zuparner, et de fil en aiguille, j’ai été mis au courant. J’ai prêté le serment traditionnel vers juin ou juillet 1943 » (Témoignage Pierre Loeb, DLXI-65).

Arrivée à Toulouse au début de l’année 1944, Anny Levy prête également serment : « Nous montons, Régine [Ariane Knout] et moi un escalier délabré. Elle ouvre une porte. Je me trouve dans la nuit profonde d’une pièce où seul un projecteur violent éclaire mon visage. Devant moi, un drapeau bleu-blanc et la Bible. Je m’entends réciter le texte du serment : "Je jure fidélité à l’Armée juive et obéissance à ses chefs. Que revive mon peuple ! Que renaisse Ertez Israël ! La Liberté ou la Mort !" ».

La prestation du serment s’effectue dans la plus grande majorité des cas devant les chefs du comité directeur à Toulouse. Cependant, pour des raisons de sécurité et pour éviter des déplacements, certaines « cérémonies » sont décentralisées. C’est ainsi qu’Ariane Knout se rend à Condom (Gers) pour faire prêter serment à Serge Perl.

Recherché par la police à Rodez, Josué Lifschitz se rend à Toulouse où il retrouve Anny Levy. Elle lui propose alors de rejoindre l’Armée Juive. Après avoir prêté serment, Josué est envoyé comme instructeur militaire à Limoges. En novembre 1943, il devient chef du corps-franc de la région de Limoges. Il recrute de jeunes Juifs et les forme, grâce à l'expérience qu'il a engrangée lors de la Première Guerre mondiale. Il se charge également de leur prestation de serment devant Reine Roman venue spécialement de Toulouse : « J’avais conservé la Bible que sir Herbert Samuel, premier Haut-commissaire en Palestine, avait fait distribuer aux bacheliers du lycée de Tel Aviv ; je l’utilisais pour cette cérémonie. On faisait venir, de nuit, dans ma chambre, sept ou huit de mes recrues. Ils prêtaient serment sur le drapeau bleu-blanc et sur la Bible, et ensuite Reine les emmenait à Toulouse, d’où se faisait leur départ soit pour les maquis de la Montagne Noire soit pour l’Espagne ». (DLXI-14).

Le texte du serment est reproduit au revers des cartes de membre délivrées après-guerre par l’Organisation juive de Combat : « Je jure de lutter jusqu’à l’écrasement total de l’Allemagne nazie. Pour l’honneur, la liberté et le droit à la vie du Judaïsme ».


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :

Mémorial de la Shoah, Paris :
- DLXI-69 : témoignage d'Arnold Mandel
- DLXI-14 : témoignage de Josué Lifschitz
- DLXI-27 : témoignage de Rodolphe Furth
- DLXI-65 : témoignage de Pierre Loeb

David Knout, Contribution à l’histoire de la Résistance juive, Ed. du Centre, Paris, 1947.
Anny Latour, La Résistance juive en France, Stock, 1970.
Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, par Jacques Lazarus (Capitaine Jacquel) chef du groupe parisien de l’Organisation Juive de Combat, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série « Etudes et monographies » n°9, Editions du Centre Paris 1947 153 p.
Jacques Lazarus, Combattants de la Liberté, 1995.