Témoignage d’Anne Marie Vincente Créquer, figure méconnue de la résistance bretonne
Type : Témoignage
Source : © Archives familiales Droits réservés
Date document : 1944-1945
Lieu : France - Bretagne - Morbihan
Analyse média
Il y a peu de témoignages de résistantes. Certaines ont carrément choisi l’anonymat. Comme Anne Créquer. Elle a pourtant été au coeur des luttes dans cette Bretagne qui, un jour avant l’aube du 6 juin 1944, s’insurgea dans le Morbihan, avec le concours des parachutistes du 4e bataillon SAS (Special Air Service) de la France libre.
Celle que le colonel Morice, chef de l’Armée secrète et des Forces françaises de l’intérieur (FFI) du Morbihan, qualifie de “magnifique figure d’héroïne française”, s’est engagée dans la Résistance comme soldat. Elle a connu le “fol esprit de liberté” du maquis Saint-Marcel et le coup de feu le 18 juin 1944 (elle fut la seule femme à se battre pendant cette première bataille des forces françaises après le Débarquement). Elle a aussi connu la terrible répression allemande, les plans d’actions et les projets de débarquement en Bretagne avec le capitaine SAS Marienne, les missions de renseignements périlleuses dans les poches de Saint-Nazaire et de Lorient. Par deux fois, elle a été arrêtée par les Allemands. Par deux fois, elle en réchappa. Elle sera nommée sous-lieutenant FFI le 1er septembre 1944, recevra en 1945 la médaille de la résistance et se verra décerner une citation à l’ordre du corps d’armée avec attribution de la Croix de guerre, étoile vermeil en 1947.
Or, près de vingt ans après les faits, Anne Créquer avait jeté des notes en vrac pour aider une résistante à écrire son livre, regrettant que le parachutiste Henri Deplante ait suspendu le sien. Ce témoignage de première main a été retrouvé par sa famille. Il permet aujourd’hui de découvrir les événements que celle qu’on avait surnommée "la Jeanne Hachette de la résistance" avait choisi de privilégier. Soit une vingtaine de feuillets manuscrits qui débutent le 18 juin 1944 au soir, après les combats de Saint-Marcel, car elle avait "peur, en le prenant au début, de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout." Et qui s’arrêtent le 8 septembre 1944, quand elle retrouve la liberté après avoir été emprisonnée une première fois par les Allemands, “odieusement torturée” et fusillée à blanc sans que l’ennemi puisse obtenir d’elle des renseignements concernant l’Etat-Major.
Auteur : Michèle Chevalier
Contexte historique
Première bataille des forces françaises de l'intérieur après le Débarquement, les combats du maquis Saint-Marcel le 18 juin 1944 ont contribué à contrarier en Bretagne, l'une des régions françaises les plus militarisées par les Allemands, l'envoi en renfort des divisions allemandes sur le front de la Normandie. Décidée depuis Londres dans le cadre du plan Overlord, cette opération de déstabilisation a bénéficié du soutien des parachutistes du 4e bataillon SAS (Special Air Service) de la France libre sous le commandement du colonel Bourgoin. Deux premiers sticks atterrissent ainsi à Ploermel, ceux de Pierre Marienne et de Henri Deplante le 5 juin 1944. c’est l’opération Dingson, tandis que les maquisards de la région affluent à La Nouette, quartier général du camp Saint-Marcel.
C’est dans ce contexte qu’Anne Créquer, fille de Maria Le Mab, ostréicultrice, et de Raphaël Créquer, marin, à Locmariaquer, intervient. Institutrice à Nantes puis sous-dirigeante du camp de jeunesse féminin du château de La Grée de Callac à Monteneuf à partir du 1er février 1943, elle est entrée en résistance comme soldat à sa demande dès janvier 1943 et prend le pseudo d’Anne de Bretagne. Elle a 25 ans. Inscrite sur les rôles de l’Armée secrète (O.C.M.) sous les ordres de Paul Le Roch dans la compagnie de Ploermel, puis du commandant Eugène Caro, “elle sert dans son unité en qualité de soldat”, et participe “à de nombreux actes de sabotages, à des transports d’armes et à des missions de liaison extrêmement dangereuses” comme l’indique son mémoire de proposition pour la médaille de la Résistance. A l’appel de mobilisation générale du colonel Morice, chef de l’Armée secrète et chef des FFI du Morbihan, le 5 juin 1944, elle gagne avec son bataillon, celui de Caro, le maquis Saint-Marcel le 7 juin. Lors des fameux combats du 18 juin 1944, qui eurent un énorme retentissement dans toute la Bretagne occupée car c’était la première fois que l'armée allemande était tenue en échec, elle “fait le coup de feu tout comme ses frères d’armes”, “faisant preuve de qualités de courage et de sang-froid qui ont fait l’admiration de ses camarades de combat”, indiquent Bourgoin et Morice dans ses dossiers de résistance et militaire.
Le 18 au soir, après l’évacuation du camp, elle se replie avec son unité dans la soirée. Le Roch lui conseille alors de se mettre au service des parachutistes. Ce qu’elle fait en intégrant le 4e régiment de chasseurs parachutistes de la France libre comme, notamment, “agent de liaison et secrétaire" de Pierre Marienne dont l’ascendant le désigne naturellement comme le chef des éléments de l’ancien camp de Saint Marcel. Le stick comprend dès lors cinq personnes : le lieutenant François Martin, l'aspirant Taylor, deux sous-officiers et Anne Créquer. “Agent de liaison ! A l’époque, j’enrageais de me voir classer dans cette catégorie, s’insurge-t-elle dans ses notes. Combattante, je l’étais, et je voulais le rester. En attendant mieux, je ne refusais pas de rendre service, il n’y avait rien d’autre à faire, mais je voulais l’assurance qu’en cas de coup dur je pourrai de nouveau y prendre part. Quant au titre de secrétaire dont je me suis vue affublée pour avoir en particulier tenu les dossiers de Marienne, rien ne pouvait m’être plus désagréable.” Recherchés par la Gestapo et la Milice, Marienne et son stick changent souvent de cache.
Le 24 juin, Marienne reçoit de Londres sa nomination au grade de capitaine en même temps qu'arrive celle au grade de lieutenant-colonel de Bourgoin désormais en charge des forces de Bretagne. Ce dernier le charge de préparer un plan d’action sur une grande partie du département et de recueillir les renseignements réclamés par Londres sur la région de la presqu'île de Rhuys en vue d'un second débarquement prévu le 5 juillet puis reculé pour cause de mauvais temps notamment. “Marienne travaille sur une grande carte, tandis qu’Anne Créquer porte les données sur un simple cahier d’écolier. Anne en fait ensuite une copie, également manuscrite, pour la remettre au commandant. Marienne conserve celui de couleur jaune-orange et assure qu’il prévoit tout pour qu’en aucun cas il ne tombe entre les mains de l’ennemi”, rapporte l’agent de liaison Joseph Jego dans Rage, action et tourmente en pays de Lanvaux.
La ferme de Quénelec devenant risquée, tout le groupe part dans la nuit du 10 au 11 juillet pour celle de Kérihuel, près de Cadoudal en Plumelec. Tôt le matin du 11 juillet, Anne Créquer partage un petit-déjeuner avec André Mahéo, médecin-chef du maquis Saint-Marcel, Taylor, Marienne et son adjoint François Martin avant de partir en mission : il lui faut prévenir le colonel Bourgoin, alors au moulin de Guillac, sur les rives du canal de Nantes, du changement de camp et des rafles qui se rapprochent, ce qui aidera le colonel à échapper in extremis aux Allemands peu après. Elle échappe ainsi au massacre de Kérihuel. A 4h du matin le 12 juillet en effet, les Allemands et des miliciens français vont investir la place. Le capitaine Marienne alors âgé de 36 ans, est assassiné en même temps que Martin, cinq autres parachutistes, et onze patriotes bretons. Et le fameux cahier va permettre aux Allemands d’entreprendre une chasse impitoyable. C’est dans cette zone encerclée par les miliciens et les Allemands qu’elle est arrêtée ce même 11 juillet dès sa sortie du village de La Ville-Ruault, peu après le parachutiste René Le Touzic et en même temps qu’une agente de liaison, Madeleine Rolland. Ses papiers ne la situant pas dans la région, elle tente bien, comme elle l’a déjà fait avec succès alors qu’elle transportait des armes de “se faire passer pour une dragueuse de garçons, mais cette fois cela ne prend pas”, précise Joseph Jego. Conduite à la prison de Josselin, comme René Le Touzic, qui sera fusillé, et Madeleine Rolland, elle est “questionnée, violemment torturée et fusillée à blanc sans que l’ennemi puisse obtenir d’elle des renseignements concernant l’Etat-Major”. Confrontée à son amie l’agent de liaison Anne Filammant, arrêtée quelques jours plus tard, “elles s’ignoreront le plus naturellement du monde mutuellement (cette attitude leur sauva la vie) “, rapporte aussi Le Maquis Breton en février 1947. Ce n’est que huit jours après son arrestation qu’Anne Créquer comprend que Marienne est mort. Le fameux cahier est là, sur le bureau de ses tortionnaires. Elle s’en tiendra coûte que coûte à sa version : une jeune fille à la recherche de son fiancé.
Fin juillet, elle est transférée à Pontivy et échappe de justesse à la déportation en Allemagne : elle profite que son camion tombe en panne peu après Savenay pour s’enfuir, mais elle est à nouveau internée dans cette localité puis à Montoir-de-Bretagne et à Trignac, puis de nouveau à Savenay. Les Américains approchant, les feldgendarmes hésitent à fusiller les prisonniers, malgré les ordres. Le 12 septembre, avec la complicité des gardiens, elle s’échappe du camp qui était surveillé par des Polonais, avec une douzaine de prisonniers, en direction de Saint-Etienne de Mont-Luc et rencontre les Américains. Las, ceux-ci l’emprisonnent à leur tour. Interrogée finalement par des officiers français, elle est relâchée le 8 septembre. Entre-temps, la Bretagne a été libérée et les Allemands se sont repliés dans les poches de Saint-Nazaire et de Lorient.
Anne Créquer, qui a été nommée sous-lieutenant FFI par le colonel Morice le 1er septembre 1944, rallie aussitôt l’état-Major FFI à Vannes. Elle va ainsi faire partie des Forces Françaises de l’Ouest créées fin octobre, secteur Morbihan (F.F.M.B.) dans le service du Renseignement. Ces fameuses forces oubliées avec ses “soldats en sabots” qui, durant le rigoureux hiver 1944, manquèrent de tout. Puis ce fut la 19e division d’infanterie, dite bretonne, qui remplaça les FFMB. La jeune femme est ainsi envoyée à plusieurs reprises en missions spéciales dans les lignes ennemies. Les historiens René Pichavant et André Perraud-Charmantier mentionnent qu’on l’avait “surnommée la Jeanne Hachette de la Résistance” et “qu’elle joua un grand rôle dans la poche de Saint-Nazaire”.
Le 23 novembre 1944, alors qu’elle est en mission de renseignement à l’intérieur des lignes allemandes de Lorient, elle se fait prendre au Vieux Passage, près de la rivière d’Etel, et est enfermée à la citadelle de Port-Louis, de sinistre réputation. Elle parvient à être relâchée le 4 janvier 1945. Engagée volontaire le 28 avril 1945 pour la durée de la guerre plus trois mois, dans les toutes nouvelles Forces féminines de l’Air, Anne Créquer est affectée à l’école de parachutistes de Lannion après un stage de militarisation à l’école des cadres de Carqueiranne dans le Var, où elle voit son grade de sous- lieutenant FFI homologué. Le 1er février 1946, elle est mutée au Centre de rassemblement et d’administration personnel (CRAP) n°204 à Paris, à la caserne des Tourelles. Cette même année 1946, elle parvient à assister au premier anniversaire de la libération de Lorient le 10 mai et est conviée à participer avec le groupe de Bourgoin aux fêtes de la Libération de la France en Allemagne occupée. Elle y rencontre le commandant français de l’usine d’armes Mauser à Oberndorf am Neckar, en Forêt noire. Démobilisée le 16 mai 1946, elle se marie avec lui en décembre et aura quatre enfants.
Médaille de la Résistance (décret du 06/09/1945 publié au JO du 12/09/1945).
Citation à l’ordre du corps d’armée avec attribution de la Croix de guerre, étoile vermeil.
Extrait de l’ordre général N°19. 20 mars 1947.
Homologation FFI rejetée en 1952, l’intéressée n’ayant pas répondu aux courriers.
Auteur :Michèle Chevalier
Auteur de "Anne Créquer, figure méconnue de la résistance bretonne"
Compléments
Livres, dossiers et études
• Dossier de résistance au Service historique de la Défense (SHD) à Vincennes : 16 P 150294.
• Dossier militaire au SHD : DE 2017 ZL 82 293.
• 1939-1945, rage, action, tourmente au Pays de Lanvaux, par Joseph Jégo, 1991, édition Plumelec.
• Le Morbihan en guerre 1939-1945, par Roger Leroux, Imprimerie de la manutention Mayenne, 1990, pages 349, 484-485 et 517. Grande photo d’Anne Créquer.
• La guerre en Bretagne, Récits et portraits, par André Perraud-Charmantier, avec la collaboration de Michel Perraud-Charmantier, résistants, 1947. Page 169. Petit portrait d’Anne Créquer.
• Les parachutistes SAS de la France Libre - 1940-1945, par David Portier, paru le 1er janvier 2004 chez D. Portier.
• Lorient sous l’Occupation, par Jean Le Berd.
• Le Maquis Breton, bulletin des amicales FFI du Morbihan, février 1947, 2e année n° 9, "L’Affaire de Guillac".
• Les Clandestins de l’Iroise, 1940-1944, Récits d’Histoire, Tome 5, par René Pichavant, éditions Morgane.
• Hommes et combats en Bretagne Le Morbihan 1939-1945, par Albert Orio-Maloire, éditions Martelle.
• La liberté tombée du ciel. 1939 - 1945, par Henri Deplante, éditions Ramsay.
• J'ai choisi la tempête par Marie-Claire Chamming’s, édition France Empire, 1965.