La rafle de l'université repliée à Clermont-Ferrand le 25 novembre 1943
Légende :
Faculté des sciences de l'Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand en 1943 (avant la rafle)
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © AERIA / Archives privées de la famille Salomon Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Date document : 1943
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Auvergne) - Puy-de-Dôme - Clermont-Ferrand
Contexte historique
Le 25 novembre 1943 est un jeudi. C’est le jour de la semaine où les étudiants sont présents en plus grand nombre, puisque ceux qui sont employés dans les lycées et collèges sont en congé. Une vaste opération est menée dans presque tous les locaux universitaires communs aux deux universités de Clermont et de Strasbourg.
Vers 10h30, les bâtiments de la nouvelle université, avenue Carnot, sont cernés et envahis par 200 hommes de la base aérienne d'Aulnat de la Luftwaffe, armés de fusils et de pistolets-mitrailleurs, sous les ordres du colonel Edzard, commandant de la base. En même temps, dans le même quartier, les rectorats de Clermont et de Strasbourg, les laboratoires, les bibliothèques, sont également occupés. Il en va de même de la Gallia, rue de Rabanesse, qui, après la rafle des garçons du 25 juin 1943, a été affectée le 1er novembre au logement d'étudiantes strasbourgeoises : six d'entre elles sont arrêtées. Le but initial de l'opération, organisée par Paul Blumenkamp, chef du Sonderkommando du Sipo-SD à Clermont aurait été d'arrêter 17 professeurs et étudiants identifiés comme résistants - peut être à la suite de révélations faites sous la torture par des étudiants résistants arrêtés. Auraient également été visés les étudiants étrangers et juifs, les Alsaciens ou Mosellans âgés de 18 à 30 ans ainsi que les doyens des facultés strasbourgeoises.
Les secrétariats des facultés de Strasbourg, au deuxième étage de l'avenue Carnot, sont envahis par un groupe de policiers allemands en civil, revolver au poing. Parmi eux se trouve un étudiant en histoire et en droit de Strasbourg, Georges Mathieu. Ce dernier a été l'un des chefs des Mouvements unis de la Résistance (MUR) du Puy-de-Dôme. Arrêté le 23 octobre 1943 par le ipo-SD, il accepte de travailler pour elle dans le Sonderkommando d'auxiliaires français de la « Gestapo ». On ordonne aux personnes présentes de lever les mains et de sortir des bureaux. Le professeur de papyrologie, Paul Collomp, tarde quelques secondes à s'exécuter. Le policier Sepp Kaltseiss le frappe à la nuque. Il esquisse un geste de défense, le gestapiste l'abat à bout portant. La caissier de l'université, Joseph Feuerstein, qui tente de cacher les fonds de l'université, est également visé par un coup de feu, mais n'est pas touché. Il mourra en déportation à Mauthausen (Autriche).
Vers 11 heures, plus d'un millier de personnes sont rassemblées dans la cour intérieure, en silence, les mains en l'air sous l'œil de sentinelles postées, avec leurs mitraillettes, aux fenêtres ainsi qu'à toutes les issues de la cour. Le tri, qui se prolonge de longues heures, est opéré par les gestapistes Léon Bisenius dit Dubois, germano-luxembourgeois, et Ursula Brandt, dite « la Panthère » à cause de son manteau de fourrure. Le rôle principal est tenu par Mathieu, qui est expert en détection des faux papiers puisque c'est lui qui les avait confectionnés. Il identifie évidemment ses camarades de Combat, comme Stéphanie Kuder, commis au secrétariat de la faculté des lettres. C'est lui qui décide d'envoyer « rechts » à droite dans le hall, les suspects. Les personnes, qui ne sont pas retenues, la plupart des Clermontois et quelques Strasbourgeois, sont libérées vers 17 heures.
Durant cette journée, Henri Blanchet, un réfugié lorrain âgé de quinze ans, élève de l'école privée Godefroy de Bouillon, qui passe devant la bibliothèque, est tué par un soldat. Au laboratoire de minéralogie, René Weil, chef de travaux, révoqué comme juif mais qui vient parfois aider ses collèges, est découvert dans sa cachette, une cheminée d'aération. Grièvement blessé, il est hospitalisé jusqu'à la Libération, ce qui lui évite la déportation. Robert Eppel, professeur de théologie protestante, est recherché à son domicile par trois policiers allemands dont Kaltseiss qui tire à bout portant et lui perfore neuf fois l'intestin. Soigné durant trois semaines à la clinique militaire allemande, il rejoint le 21 décembre la prison du « 92 », puis le 1er mai 1944 le camp de Compiègne d'où il est déporté le 16 août dans le dernier convoi pour le camp de concentration de Buchenwald (Allemagne).
350 à 500 personnes, professeurs, étudiants, membre du personnel administratif, sont conduites à la prison militaire du « 92 » où elles sont soumises à de nouveaux tris en présence de quatre inspecteurs de la police française qui notent les noms: certains « vieux messieurs » dont le professeur Rivaud, ancien ministre de Vichy, les doyens Danjon (sciences), Strohl (théologie protestante) et Delpech (droit) sont libérés au cours de la nuit ; d'autres, dont le doyen Forster (médecine) et le professeur Hoepffner, sont libérés le lendemain. Environ 130 personnes restent à la prison ou dans la caserne. Quelques personnes sont encore libérées fin décembre ou en janvier.
La majorité des hommes « aryens », après des séjours plus ou moins longs au « 92 », puis à Compiègne, sont déportés au camp de concentration de Buchenwald (Allemagne), d'où beaucoup sont envoyés dans des camps encore plus durs, comme le tunnel de Dora. Le physicien Sadron, affecté à l'atelier de réglage des fusées, y reçoit la visite du professeur von Braun, l'inventeur des V2, qui lui propose de venir travailler dans son laboratoire de Pennemünde (Allemagne): il refuse sèchement. Les étudiants, Armand Utz, Louis Erbs, Gérard Bach, André Ebert, Geneviève Helmer, Mathilde Fritz, Henri Margraff, Lucien Ebel, ancien du Front de la Jeunesse d'Alsace (FJA), évadé lors du transfert en Allemagne, Raymond Labram du réseau Mithridate, l'aide-radiologiste Elisabeth Will, le professeur Charles Hauter, le commis du secrétariat de la faculté de médecine, Roger Saulcy, et le caissier Joseph Feuerstein sont déportés.
Les femmes non juives sont déportées au camp de concentration de Ravensbrück (Allemagne) ; certaines sont transférées ensuite à Neuengamme (Allemagne), puis à Bergen-Belsen (Allemagne). Les juifs passèrent par le camp de transit de Drancy, avant d'aboutir au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau (Pologne), où la plupart sont exterminés.
Le traître Georges Mathieu, arrêté après la Libération, est condamné à mort par la cour de justice de Clermont le 17 novembre 1944 et fusillé le 1er décembre. Depuis la Libération, tous les ans le 25 novembre, l'université de Strasbourg et celle de Clermont, commémorent en présence des survivants, de moins en moins nombreux, cette rafle, de loin la plus importante subie par une université durant l'Occupation.
Léon Strauss
Notice extraite du DVD-ROM La Résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance / AERIA, 2016