Diplomates espagnols suspects d'aide aux Juifs persécutés, août 1943
Légende :
Note des Renseignements généraux sur les activités suspectes du consul et du vice-consul d'Espagne à Marseille, 3 août 1943
Type : note administrative
Producteur : MUREL
Source : © ©archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 161 Libre de droits
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Les Renseignements Généraux de Marseille communiquent au préfet régional une note montrant que les diplomates étrangers sont étroitement surveillés même lorsqu'ils relèvent d'une puissance théoriquement proche du Reich, comme l'Espagne. Le texte est au conditionnel pour dégager la responsabilité du service au cas où les informations qui mettent en cause le consul et le vice-consul d'Espagne à Marseille se révéleraient inexactes. Les diplomates sont soupçonnés de « délivrance illégale de documents, trafic d'influence » en relation avec « le milieu juif ». En d'autres termes, les diplomates espagnols aideraient des Juifs à quitter la France en leur fournissant des papiers espagnols. La note suggère que cette aide n'est pas gratuite. Le gouvernement espagnol aurait sanctionné ces deux diplomates en démissionnant le vice-consul et en déplaçant le consul à Perpignan. M. Via Ventallo est considéré comme catalaniste séparatiste. Il est étonnant dans ce cas que le gouvernement franquiste se soit contenté d'un simple déplacement.
Le gouvernement franquiste a mené une politique juive ambiguë ( voire contexte historique).
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Les milieux espagnols sont étroitement surveillés. La guerre d'Espagne a donné lieu à une psychose du « Rouge » dans les milieux conservateurs français. A partir de janvier 1939 près de 500 000 réfugiés républicains franchissent la frontière pyrénéenne. Les gouvernements de la IIIe République finissante les internent massivement dans des camps situés le long de la frontière des Pyrénées atlantiques aux Pyrénées orientales. Malgré tout, de nombreux espagnols arrivent à Marseille. Le 23 août 1940, un accord est passé entre l'Etat français et le Mexique représenté par son ambassadeur. Le gouvernement mexicain accepte l'émigration au Mexique de tous les réfugiés espagnols qui le souhaitent, il prend en charge les frais de transport des émigrés. Par ailleurs, le Mexique étend sa protection aux anciens membres des Brigades internationales parmi lesquels se trouvent de nombreux anti-nazis originaires de pays occupés par le Reich.
La proximité idéologique devrait assurer de bonnes relations entre les gouvernement français et espagnol. Le maréchal Pétain a été le premier ambassadeur français auprès du gouvernement franquiste en février 1939. Le régime de Vichy partage l'anticommunisme et le cléricalisme avec les franquistes. En réalité, les relations seront beaucoup plus complexes. Le général Franco a décidé le 4 septembre 1939 que l'Espagne resterait neutre. Lorsque les Juifs séfarades se prévalent de leur origine espagnole et du traité hispano-français de 1862 pour échapper aux persécutions, le ministre des Affaires Etrangères espagnol les invite à se soumettre aux lois du pays de résidence. Mais à partir de la fin de 1942, quand la victoire des Alliés devient probable, le gouvernement espagnol accepte qu'une protection consulaire soit accordée en théorie aux seuls séfarades. Il tolère cependant que certains consuls,comme le consul Alberto Rolland à Paris et semble-t-il Via Ventallo à Marseille, aillent bien au delà de ces consignes et accordent le statut de « protégé » à des Juifs de toute origine. De même, le gouvernement franquiste ne refoule pas , sauf exception très rare, les résistants et les Juifs qui franchissent la frontière pyrénéenne. Il octroie aux Juifs détenteurs d'un visa portugais, un visa de transit. Près de 30 000 Juifs sont ainsi sauvés. Après la guerre, le général Franco exploite sans retenue la conduite humanitaire de ces quelques diplomates.
En revanche, la victoire franquiste sonne le glas de l'autonomie catalane. Le Statut d'autonomie de septembre 1932 est abrogé, la culture et la langue catalane sont réprimées. Etre favorable à l'indépendance catalane était pour les franquistes une insulte à l'Espagne une et indivisible.
Sylvie Orsoni
Sources
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.
Milza Pierre, Peschanski Denis (dir.),Exils et migrations. Italiens et Espagnols en France, 1938-1946, éditions l'Harmattan, Paris, 1994.
Rozenberg Daniel,Franco et la question juive, In:L'Espagne contemporaine et la question juive : les fils renoués de la mémoire et de l'histoire,Presses universitaires du Midi, Toulouse, 2006.