Fiche de Meer Rozental

Légende :

Fichier des Juifs du Gard

Type : Document administratif

Producteur : MUREL

Source : © © Archives départementales du Gard, 1 W 139. Droits réservés Droits réservés

Lieu : France - Occitanie (Languedoc-Roussillon) - Gard - Nîmes

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Analyse média

Ce document témoigne de la législation antijuive du régime de Vichy et de son durcissement au fil des mois. Le tampon rouge en bas en droite stipule que Meer Rozental « a souscrit dans le Gard la déclaration prévue par la loi du 2 juin 1941 » c’est-à-dire qu’il s’est fait recenser comme l’ordonne cette loi pour tous les Juifs en France.L’article 1 demande, en effet, que « toutes personnes qui sont juives au regard de la loi du 2 juin 1941 portant statut des juifs doivent, dans le délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, remettre au préfet du département ou au sous-préfet de l’arrondissement dans lequel elles ont leur domicile ou leur résidence, une déclaration écrite indiquant qu’elles sont juives au regard de la loi, et mentionnant leur état-civil, leur situation de famille, leur profession et l’état de leurs biens ». Cette fiche synthétise le contenu des informations exigées par la loi et précise pour les Juifs étrangers leur date d’entrée en France.

Ce fichier a été constitué à une date non précisée mais certainement à partir de 1941 pour regrouper les informations du recensement exigé par la loi du 2 juin 1941 et ajouter après cette date les nouveaux résidents juifsdans le département. Il comprend 2 350 fiches individuelles. Ce nombre indique que la réalisation du fichier a pu commencer en juin 1941 mais elle s’est poursuivie par la suite puisque le recensement de 1941 comptabilise 1 699 Juifs dans le Gard et non pas 2 350. Lucien Simon estime qu’environ 2 500 Juifs vivent dans le Gard avant les premières rafles du mois d’août 1942. Cette estimation est assez proche du nombre de fiches conservées.

Pour les membres d’une même famille, chaque personne a une fiche à son nom. Ce fichier est actuellement conservé aux Archives départementales du Gard dans les archives du Cabinet du Préfet. Il est classé par nationalité puis par ordre alphabétique. Le classement original devait sans doute êtresemblable ou simplement par ordre alphabétique même si on peut supposer la volonté de distinguer les Juifs français des Juifs étrangers. 

Cette fiche montre que Meer Rozental a respecté la loi du 2 juin 1941. Comme beaucoup de Juifs, il n’essaie pas de s’y soustraire. Les peines prévues dans l’article 2 de la loi sont dissuasives, un emprisonnement d’un mois à un an, une amende de 100 à 10 000 francs ou une mesure d’internement. A propos des Juifs vivant à Nîmes, Lucien Simon précise que « certains peuvent s’estimer trop connus en ville pour penser à y échapper ; d’autres ont un nom, un aspect, un accent trop significatifs, ou soi-disants tels ; d’autres se laissent impressionner par les peines de prison et surtout l’arbitraire et redoutable « internement administratif » dont ils se rendraient justiciables ; beaucoup aussi ne conçoivent pas devoir cacher leurs origines. De sorte qu’il y a tout lieu de penser que presque tous les Juifs du Gard ont été recensés ». Meer Rozental est un artisan bijoutier graveur installé à Nîmes depuis 1933. En tant que commerçant, iljouit sûrement d’une certaine notoriété dans cette commune, il ne peut donc pas déroger à la loi.

Le tampon en haut de la fiche « s’est soumis aux dispositions de la loi du 11 décembre 1942 » veut dire que la mention « juif » a été apposée sur sa carte d’identité. Cette loi prévoit les mêmes peines que la loi du 2 juin 1941 pour les contrevenants.

Le recensement des Juifs et la réalisation de ce fichier permettentà partir du mois d’août 1942 les premières arrestations individuelles ou les premières rafles de Juifs étrangers résidant dans le Gard puisque leur adresse est connue des autorités. Après l’occupation de la zone libre, ces arrestations s’accélèrent et concernent tous les Juifs, français ou étrangers.


Marilyne Andréo

Contexte historique

Meer Rozental est né le 13 août 1896 à Tighina alors en Russie puis rattachée à la Roumanie en 1918 (se situant aujourd’hui en Moldavie). Il est le fils d’Elie Rozental et de Sarah Rovitz. Il arrive en France en février 1924. Il s’installe à Nîmes en avril 1933. Il y est artisan bijoutier graveur et habite au 14 boulevard Gambetta. Suite à la loi du 2 juin 1941, il se fait recenser auprès de la Préfecture du Gard. Sa fiche mentionne qu’il est marié à une Française. Son nom apparaît également dans le recensement des 26 et 27 juin 1941 des Juifs commerçants étrangers.Il adhère au mouvement Combat dans le Gard en décembre 1942 sous le pseudonyme de « Marcel ». Il entre dans la clandestinité en juin 1943 en raison des persécutions contre les Juifs. Son entrée dans la Résistance et surtout son passage dans la clandestinité lui permettent d’échapper aux rafles ou aux arrestations isolées qui s’intensifient dans le Gard à partir du mois de février 1943. Sur les 2 350 Juifs du Gard, 380 sont arrêtés et déportés soit 16% et seulement 12 sont revenus vivants soit un taux de survie de 3%.

Grâce à sa qualification professionnelle, Meer Rozental réalise des faux tampons et ilest coresponsable du service des faux papiers dans le Gardjusqu’au 10 février 1944 date à laquellele chef départemental de l’Armée secrète, le docteur Georges Salan,est arrêté ainsi que son agent de liaison Hélène Salamon. Il quitte alors Nîmes par mesure de sécurité et il devient un membre actif du service des faux papiers de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE) à Marseille. Il vit dans une petite chambre au 5ème étage d’un immeuble de la place de la Corderie où il continue de confectionner des faux papiers et des faux tampons au service de la Résistance permettant ainsi de sauver des personnes recherchées ou traquées, résistants ou Juifs.Après la guerre, il retourne vivre à Nîmes où il continue d’exercer sa profession d’artisan graveur.Il est naturalisé français en 1948. Il reçoit la médaille de la France libérée en 1955 et la carte de Combattant volontaire de la Résistance (CVR) en 1957.

 


Marilyne Andréo

Sources

1 W 139, AD Gard, Fichier des Juifs français et allemands, américains, argentins, autrichiens, égyptiens, belges, polonais, britanniques, cubains, estoniens, espagnols, hollandais, grecs, hongrois, italiens, lettons, palestiniens, russes, roumains, sarrois, suisses, slovaques, turcs, tchécoslovaques, luxembourgeois (2 350 fiches).

1 W 135, AD Gard, Etat des Juifs commerçants étrangers. Recensement des 26 et 27 juin 1941.

15 W 590, AD Gard, Médaille de la France libérée.

1446 W 75, AD Gard, Dossier de demande de la carte de CVR de Meer Rozental.

Karine Labernède, Les Juifs à Marseille pendant la Deuxième Guerre Mondiale : de l’assistance à la Résistance armée, mémoire de maîtrise, dir. Philippe Joutard, Université d’Aix-en-Provence, 1989, p.55.

Dominique Rémy, Les Lois de Vichy. Actes dits « lois » de l’autorité de fait se prétendant « gouvernement de l’Etat français », Paris, Romillat, 1992.

Lucien Simon, Les Juifs à Nîmes et dans le Gard durant la Deuxième Guerre mondiale de 1939 à 1944, Nîmes, Lacour, 1985.

Fabrice Sugier, « Meer Rozental »in AERI, La Résistance dans le Gard, CD Rom, 2009.