Portraits d’Yvonne de Komornicka en déportation

Légende :

Deux portraits d’Yvonne de Komornicka réalisés par Simone Auburtin au camp de Ravensbrück en février 1945

Type : Photocopie en noir et blanc de deux dessins

Producteur : MUREL

Source : © Archives départementales de Vaucluse Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Avignon

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Analyse média

Le fond privé d’Yvonne de Komornicka a été versé aux Archives départementales de Vaucluse en 1979. Ilcontient des photocopies en noir et blanc des documents qu’elle avait conservés sur ses activités dans la Résistance et sur sa déportation. Parmi eux, se trouvent plusieurs photocopies de dessins réalisés par Simone Auburtin lors de son séjour au camp de concentration de Ravensbrück. Deux portraits d’Yvonne de Komornicka ont certainement été donnés par l’auteure après la guerre ainsi que d’autres scènes de la vie du camp. Les deux femmes étaient affectées au block 32. Yvonne de Komornicka y était arrivée le 17 mars 1944 et Simone Auburtin le 14 octobre de la même année. Celle-ci quitta le camp le 2 mars 1945 et Yvonne de Komornicka y resta jusqu’à sa libération un mois et demi plus tard, le 23 avril. Ces deux femmes avaient pour points communs d’avoir été résistantes et d’être lorraines. Yvonne Roeschlin était née le 13 juillet 1898 à Saulxures-sur-Moselotte dans les Vosges, elle étaitveuve d’un comte polonais, Cornelius de Komornicki, et mère de trois enfants. Simone Auburtin était née le 6 décembre 1910 à Frouard en Meurthe-et-Moselle. Elle était célibataire. Au début de la guerre, elles vivaient toutes les deux à Nancy où Yvonne de Komornicka était la directrice du foyer UFA(Union franco-américaine) du 26ème régiment d’infanterie à la caserne Thiry et elle était membre de l’Office d’entraide aux prisonniers de guerre qui portait notamment assistance aux prisonniers du camp de Donop à Nancy. Simone Auburtin était infirmière de la Croix-Rouge à la Clinique Sainte-Thérèse dirigée par sa tante. A cette époque, elles s’étaient peut-être déjà rencontrées dans le cadre de leur vie professionnelle ou de leurs activités anti-allemandes. Yvonne de Komornicka avait, en effet, mis en place un réseau d’évasions de soldats prisonniers dès juin 1940. Dénoncée par une voisine, elle quitta précipitamment Nancy avec ses filles le 9 septembre 1941 et se réfugia à Avignon où elle ne tarda pas à reprendre contact avec la Résistance. Simone Auburtin fut arrêtée le 7 novembre 1941 pour son action dans la Résistance. Le 1er novembre 1941, Yvonnede Komornicka devint responsable du service social du mouvement Combat dans le Vaucluse puis elle prit la tête de cette organisation dans le département en août 1942, sous le pseudonyme de « capitaine Kléber ». Lors de la fusion des mouvements Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud, elle dirigea les Mouvements Unis de la Résistance (MUR) dans le Vaucluse. Elle créa également le groupe-franc Kléber confié à Jean Garcin « Bayard » et elle participa à la mise en place de la Section d’Atterrissage et de Parachutage (SAP) de la région R2 à partir du 15 septembre 1943. Elle fut interpellée à Avignon le 23 octobre par la Gestapo dans son bureau du service social de la mairie d’Avignon.

Ces dessins sont annotés, datés et signés (Ravensbrück, février 1945, S. Auburtin) mais ces renseignements ont peut-être été rajoutés a posteriori car dans le camp, il aurait été extrêmement dangereux pour un auteur de signer ses œuvres au cas où celles-ci soient découvertes par les gardiennes SS.Ils ont été réalisés avec des bouts de papier et un bout de crayon récupérés clandestinement, volés ou troqués.Ils sont de petite taille puisque les deux tiennent sur une photocopie de format A4. La taille de ces feuilles peut s’expliquer par la rareté du papier et par la récupération de morceaux de feuilles et il est plus facile de dissimuler des dessins de petit format que de grandes feuilles. Est-ce le format d’origine ou est-ce un agrandissement ou une réduction au moment de la réalisation de la photocopie ?Ces deux portraits sont très ressemblants si on les compare avec la photographie d’Yvonne de Komornicka prise cinq mois plus tard en juillet 1945 qui se trouve dans l’album photo 1. La pose est aussi sensiblement la même. Sur le dessin de droite, Yvonne de Komornicka a les cheveux coiffés en arrière, certainement retenus par un chignon si elle avait encore les cheveux longs, et enroulés dans un foulard. Elle a un regard déterminé qui reflète le caractère affirméde cette femme engagée très tôt dans la Résistance d’abord à Nancy puis à Avignon. Elle porte la veste de la tenue des déportées. Sur le dessin de gauche, daté du même mois, Yvonne de Komornicka semble beaucoup plus fatiguée et même vieillie par rapport au dessin précédent. Son regard est triste, absent et il ne fixe rien de précis. Ce dessin est moins achevé car seule la tête est dessinée, sans le cou et sans vêtement. Même sa coiffure semble moins apprêtée. Il pourrait représenter la fatigue après une longue journée de travail ou celle liée aux séquelles des expériences pseudo-médiales qu’elle a subies en septembre 1944. Il est difficile de dire quel est celui qui a été réalisé en premier. On peut supposer que celui de gauche n’a peut-être pas été terminé et que Simone Auburtin a été interrompue en plein travail. Prise en flagrant délit de dessiner, elle était passible de la peine de mort. La création artistique même si beaucoup de détenus (dessinateurs, musiciens, etc.) n’avaient pas une telle prétentionétait un acte de Résistance dans les camps par les thèmes abordés, par le fait que le matériel a été récupéré, volé ou troqué, par la dissimulation des dessins et par la volonté de retrouver un peu d’humanité face à l’entreprise de déshumanisation menée par les nazis. Les dessins servent de témoignages sur la vie du camp. Combien de dessins a réalisé Simone Auburtin pendant sa déportation ? A-t-elle pu les prendre avec elle lors de son transfert à Mauthausen ou les a-t-elle laissés entre de bonnes mains à Ravensbrück ?Un de ses dessins est exposé aujourd’hui au camp de Ravensbrück. D’autres dessins y ont été réalisés notamment par France Audoul, Jeannette L’Herminier ou Violette Rougier-Lecoq.

Yvonne de Komornicka possédait-elle les dessins originaux ou avait-elle reçu des photocopies ? Simone Auburtin la tenait en très haute estime comme le prouve sa lettre du 27 novembre 1946 où elle signe de son nom d’épouse, Frouin, puisqu’elle s’est mariée le 27 juillet 1946 (voir l’album 2 et 3). Cette attestation montre qu’Yvonne de Komornicka a continué à résister à Ravensbrück en essayant de soutenir le moral de ses codétenues et d’améliorer leur quotidien avec de la soupe supplémentaire malgré le risque de finir au block disciplinaire. Cette entraide était le prolongement de son métier d’assistante sociale et de son action résistante. Elle met également en évidence le rapprochement et la solidarité entre les Lorraines et les Nancéennes.

« Je, soussignée madame Simone Frouin certifie que :

ma compagne de Déportation et de block 32 et 24 à Ravensbrück : Mme de Komornicka doit demeurer en dehors de tous soupçons ayant eu une conduite irréprochable. Beaucoup (presque toutes) nous n’avons pas fait le ¼ de ce que madame de Komornicka a fait pour la communauté du block. (Bien peu en effet comme Mme de Komornicka sont sorties d’un égoïsme et d’un individualisme farouche dans lequel nous nous enfoncions toutes là-bas).

Mme de Komornicka encourant les risques les plus graves (strafblock, bastonnade, etc.) a essayé plusieurs fois d’apporter du bien-être à tout le block en allant chercher dans la nuit les bidons de soupe inemployés qui étaient restés dans le block 25. Toutes les femmes du block 32 réveillées dans la nuit peuvent témoigner de ces aubaines de « rab ».

Mme de Komornicka s’employait à apporter des adoucissements à bien des compagnes (naturellement pas à toutes : nous étions trop nombreuses). Et toutes les Lorraines et surtout Nancéennes de n’importe quelle condition sociale peuvent en témoigner.

Mme de Komornicka s’est ingéniée à apporter des distractions en organisant des causeries, conférentes, chants. Tout le block 32 qui en a largement bénéficié et appréciait fort cela peut en témoigner. »

 


Marilyne Andréo

© Archives départementales de Vaucluse, 1 J 345. Droits réservés

Contexte historique

Simone Marie Gertrude Auburtin était née le 6 décembre 1910 à Frouard en Meurthe-et-Moselle. Elle était la fille d’Albert Marie AugusteHubert Auburtin, ingénieur formé à l’Ecole centrale des arts et manufactures, et de JeanneMarie Mayence, sans profession, mariés en 1908 à Bar-le-Duc dans la Meuse. Elle était le deuxième enfant du couple. Elle avait quatre frères et sœurs, Paul (né en 1909 à Villerupt en Meurthe-et-Moselle), Annette, Marguerite et Jean (nés respectivement en 1912, 1913 et 1917 à Saint-Dizier en Haute-Marne).Elle grandit à Saint-Dizier puis à Villerupt, rue de la Marne, où la famille a été recensée en 1921 et en 1931. Son père yétait directeur des hauts-fourneaux de Micheville jusqu’en 1935 puis directeur de ceux de Maxéville en Meurthe-et-Moselle. Elle était de religion catholique et cheftaine chez les scouts. Son frère Paul a été ordonné prêtre en 1939. Pendant la guerre, elle était infirmièrede la Croix-Rouge à Nancy. Elle habitait avec sa sœur Annetteà la clinique Sainte-Thérèse, au 16 avenue de Boufflers, chez sa tante, directrice de la clinique.Elle créa une filière d’évasion de prisonniers de guerre rattachée ultérieurement au MNPGD (Mouvement national des Prisonniers de Guerre et Déportés). Dans le cadre de l’opération Porto menée par l’Abwehr(les services du contre-espionnage allemand), les premières organisations de la Résistance en zone occupée ont été décimées par de nombreuses interpellations. Dénoncée par un agent du SR Suisse arrêté, Simone Auburtin a étéappréhendée le 7 novembre 1941pour espionnage à la clinique Sainte-Thérèse par la Gestapo de Besançon. Elle a étéincarcérée à Besançon puis à la prison de la Santé à Paris à compter du 8 décembre. Elle a été déportée le 19 décembre en Allemagne pour y être jugée. Elle séjourna dans plusieurs prisons à Wiesbaden du 20 décembre au 23 juin 1942, à Mayence, la journée du 23 juin, à Coblence du 24 juin au 7 juillet, à Haam,à Cologne le 11 juillet, à Aix-la-Chapelle du 11 juillet au 23 septembre, à Prüm du 23 septembre 1942 au 3 novembre 1943, à Gommern jusqu’au 21 septembre 1944, à Leipzig le 21 septembre, à Dresde le 23 septembre et à Breslau du 24 septembre au 13 octobre. La longueur des procédures et la saturation des tribunaux allemands firent que de nombreuses déportées NN ne furent finalement pas jugées. A l’automne 1944, lors de l’abrogation de la procédure, elles furent remises à la Gestapo et envoyées au camp de concentration de Ravensbrück. Simone Auburtin quitta sa cellule le 13 octobre 1944. Elle arriva le lendemainà Ravensbrück où elle reçut le matricule 78 263.Elle parvint à trouver des morceaux de feuilles de papiers et un bout de crayon qui lui permirent de dessiner des scènes de la vie du camp, de travail, de violence ou des portraits comme les deux d’Yvonne de Komornicka.Le 2 mars 1945, elle a été transféréeau camp de Mauthausen où elle arriva le 6 mars. Elle y possédait le matricule 1 203. Elle a été libérée le 23 avril par la Croix-Rouge. Elle a été rapatriée en France via Annecy le 26 avril. Lorsqu’elle rentra à Nancy en mai, sa famille ne la reconnut pas sur le quai de la gare. Enseptembre 1945, elle s’installa à Paris. Elle épousaà Nancy le 29 juillet 1946 Jean-Marie Frouin avec qui elle eut deux enfants, Marie-France et Hubert.En 1951, elle habitait à Bellevue-Meudon en Seine-et-Oise (aujourd’hui dans les Hauts-de-Seine).Elle est décédée le 4 juillet 1958 à l’âge de 47 ans à son domicile à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine.Une feuille de papier comprenant trois dessins de Simone Auburtin est présentée au camp de Ravensbrück dans l’exposition permanente pour montrer les violences commises dans la rue principale du camp et sur la place d’appel. Parmi ces dessins, on peut voir deux gardiennes frappant une prisonnière déjà au sol avec des fouets ou des sangles.


Marilyne Andréo

Sources

1 J 345, AD Vaucluse, Fond privé d’Yvonne de Komornicka.

ONAC Vaucluse, Dossiers de demande de la carte de Combattant volontaire de la Résistance (CVR) de Christiane de Komornicka, de Hélène de Komornicka, d’Yvonne de Komornicka et de Wanda Hudault née de Komornicka.

3 W 264, AD Vaucluse, Réfugiés alsaciens lorrains : demandes de secours, correspondance. 1941-1942.

99 W 5 797, AD Vaucluse, Dossiers concernant les demandes et les attributions de médaille.

72 AJ 46, Archives nationales, Archives du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Mouvements Combat, Dossier n°3, pièce 21, Témoignage d’Yvonne de Komornicka recueilli par Marie Granet.

21 P 581 326, DAVCC Caen, Dossier de déporté résistant d’Yvonne de Komornicka.

21 P 609 765, DAVCC Caen, Dossier de déporté résistant de Frouin née Auburtin Simone.

GR 16 P 517 097, SHD Vincennes, Dossier d’homologation des services d’Yvonne Roeschlin épouse de Komornicka.

GR 16 P 166 564, SHD Vincennes, Dossier d’homologation des services de Christiane de Komornicka.

GR 16 P 166 565, SHD Vincennes, Dossier d’homologation des services d’Hélène de Komornicka.

Recensement de population de Frouard de 1911, site internet des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, p.75.

Recensement de population de Villerupt de 1921, site internet des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, p.66-67.

Recensement de population de Villerupt de 1931, site internet des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, p.112.

Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Liste des transports partis en décembre 1941 (opération Porto) : http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.19.#AUBURTIN

Dossier Arolsen de Simone Auburtin.

Fiche de Simone Auburtin sur le site internet Mémoire des Hommes.

Fiche de Simone Auburtin sur le site officiel de l’Amicale de Mauthausen – déportés, familles et amis : https://monument-mauthausen.org/1203.html

Site internet du camp de Ravensbrück :

https://www.ravensbrueck-sbg.de/en/exhibitions/permanent-exhibitions/in-the-ss-auxiliary-the-female-guards-of-the-ravensbrueck-womens-concentration-camp/the-drawing-as-document-of-evidence-how-prisoners-captured-scenes-of-violence/

Biographie de Simone Auburtin sur le site internet du Maitron :

https://maitron.fr/spip.php?article179016

Arbres généalogiques de Simone Auburtin sur le site internet Geneanet.

Arbres généalogiques de Simone Auburtin sur le site internet Filae.

« Les bienfaiteurs ignorés », L’écho de Nancy, 15 septembre 1941.

Hervé Aliquot, Le Vaucluse dans la guerre 1939-1945 : la vie quotidienne sous l’occupation, Le Coteau, Editions Horvath, 1987, p. 84-88, 91, 97.

Claude Arnoux, Maquis Ventoux, Résistance et répression en Provence pendant la Seconde Guerre mondiale, Avignon, Aubanel, 1994, p.51-52.

Aimé Autrand, Le département de Vaucluse de la défaite à la Libération mai 1940-25 août 1944, Avignon, Aubanel, 1965, p. 79, 211, 216-218, 248-249.

Département de Vaucluse, 84 Le Mag,Visages du Vaucluse,Hors-série, 2020, p.51-59.

Thomas Fontaine, Déporter : politiques de déportation et répression en France occupée : 1940-1944, mars 2013, thèse d’histoire, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, dir. Denis Peschanski, p.342-350.

Thomas Fontaine, « Femmes et déportations de France » in Philippe Mezzasalma (dir.), Femmes en déportation. Les déportées de répression dans les camps nazis 1940-1945, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, p.29-50.

Jean Garcin, Nous étions des terroristes, Avignon, Barthélémy, 1996, p. 39-41.

Robert Mencherini, « Komornicka, Yvonne de, Kléber (1898-1994) »in François Marcot, Bruno Leroux, Christine Levisse-Touzé (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance : Résistance intérieure et France libre, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 450-451.

Alice Monnier, « In memoriam », Voix et Visages,Bulletin de l’Association des déportées et internées résistantes (ADIR), n°67, janvier-février 1959.

Jocelyne Riffault, « Yvonne de Komornicka », in Portraits de femmes en Vaucluse, Club Azertyuiop, Avignon, Club Azertyuiop, 2002, p. 188-190.

Service éducatif des Archives départementales de Vaucluse et du Centre départemental de documentation pédagogique, La Résistance en Vaucluse. Documents et témoignages, Avignon, CDDP, 1980, documents 33, 34, 35, 37, 114 et 164.

Association départementale des Combattants volontaires de la Résistance de Vaucluse et départements limitrophes, « Madame Yvonne de Komornicka (alias « Kléber »), chef du mouvement Combat de Vaucluse ». 22 février 2019. [En ligne]. http://cvrduvaucluse.canalblog.com/archives/2019/02/22/37122509.html[consulté le 4 août 2021].

Archives départementales de Vaucluse, « La Résistance au féminin : Yvonne de Komornicka ». [En ligne]. Fond privé d’Yvonne de Komornicka.

https://www.fondationresistance.org/documents/cnrd/Doc00172.pdf [consulté le 4 novembre 2023].