Marignane n'est pas un repaire de dangereux francs-maçons, 18 novembre 1940.
Légende :
Le commissaire spécial de l'aéroport de Marignane minimise les dénonciations de francs-maçons marignanais, 18 novembre 1940
Type : rapport de police…
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 5 W 360 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le commissaire spécial de l'aéroport de Marignane rend compte à son supérieur d'une enquête effectuée à la demande du préfet des Bouches-du-Rhône. Des lettres anonymes dénonçant des francs-maçons parmi le personnel d'Air France et des fonctionnaires de la commune ont déclenché l'enquête. La franc-maçonnerie est interdite depuis la loi du 13 août 1940 sur les sociétés secrètes.(voire contexte historique) Le commissaire note en page trois que c'est un phénomène récurrent et laisse percer son scepticisme sur l'utilité sociale d'un tel comportement : « C'est que Marignane qui est une petite ville … est restée par son esprit un bien petit village. Tout le monde s'y connaît, il
n'y a pas de vie privée possible, et les moindres propos ou faits sont vivement colportés, grossis et déformés. » Le commissaire réfute totalement l'influence des francs-maçons à Marignane en général et à Air-France en particulier qu'il qualifie de légende. L'entreprise compte cependant vingt francs-maçons notoires et une quinzaine dénoncés comme tels sur 720 employés. Pour le commissaire, seuls trois occupent des fonctions de direction qui sont plutôt exercées par des personnalités de droite.
Deux fonctionnaires sont à la fois francs-maçons et militants socialistes. Là aussi le ton du rapport tend à minimiser les faits. Le directeur d'école est bien franc-maçon notoire mais s'il a fait chanter l'Internationale à ses élèves et encore ce n'est pas certain, il obéissait en fait à une coutume locale.Il témoigne au maréchal Pétain » une grande déférence et même de l'admiration » ce qui devrait rassurer sur son orientation politique actuelle. Le percepteur, dont les états de service militaire sont présentés d'entrée, s'est engagé vigoureusement en faveur du Front populaire. Sa personnalité et sa fonction le desservent : « toujours aussi bavard, il ne fait pas toujours preuve d'amabilité et s'attire ainsi quelques inimitiés de la part de tous ceux qui voient en la personne du percepteur un fonctionnaire dont ils ne comprennent pas le rôle ingrat. »
En revanche, le radio-navigant d'Air France n'a droit à aucune mention favorable. A la suite du pacte germano-soviétique, le gouvernement dissout le Parti communiste français et interdit ses publications et sa propagande (26 septembre 1939). Trois jours après l'adoption de cette loi, le commissaire effectue une perquisition au domicile d'Henri Le Dallic, secrétaire de la section communiste de Marignane. Cette perquisition entraîne la condamnation et l'incarcération du militant communiste.
En conclusion, le commissaire met sur le compte de règlements de compte politiques les dénonciations qui arrivent au préfet. Il laisse entrevoir la vigueur des luttes qui ont opposé partisans du Front populaire qui tenaient la mairie de Marignane et leurs adversaires en particulier du PSF( Parti Social français du colonel de La Rocque). La municipalité de gauche est toujours au pouvoir t cela exaspère ses adversaires .
Le commissaire ne doute pas que cette anomalie va prendre fin. Il anticipe de quelques mois la dissolution des municipalités élus en 1935 qui intervient début 1941.
Par cette conclusion tente-t-il de racheter son refus de charger les franc-maçons de Marignane ? Son indulgence est mal récompensée puisque l'instituteur et le percepteur font l'objet d'une nouvelle enquête en décembre 1941 qui ne laisse guère de doutes sur la persévérance de leur engagement( voire notice Le Progrès Social français dénonce des francs-maçons) .
Sylvie Orsoni
Contexte historique
La lutte contre les francs-maçons est une des priorités du gouvernement de Vichy. Dés le 13 août 1940 une loi interdit « les sociétés secrètes » (voire notice application de la loi réprimant la franc-maçonnerie). Les fonctionnaires, les agents de l'Etat à tout niveau( administrationcentrale,départementale, communale) mais aussi les employés d'entreprises ayant reçu des subventions publiques doivent remplir des déclarations garantissant leur non appartenance ou leur rupture avec la franc-maçonnerie. Air France fondée en octobre 1933 par la fusion de cinq compagnies est une société d'économie mixte dans laquelle l'Etat détient 25 % des actions. En 1940, elle passe toute entière sous la tutelle de l'Etat et son siège est transféré à Marseille. La loi d'août 1940 concerne donc tous les employés d'Air France. Avant guerre, l'aéroport de Marignane accueille des compagnies étrangères comme KLMM, Lufthansa, Pan American Airways ou la britannique Impérial Airways. Le commissaire qui exerce sur la commune de Marignane a le titre de « commissaire spécial de l'aéroport de Marignane ». Les commissaires spéciaux sont des agents de l'Etat contrairement aux commissaires de police municipaux. Dans les Bouches-du-Rhône, des commissaires de police spéciale opèrent dans les gares, les ports et ici à l'aéroport de Marignane mais on voit dans le document que la surveillance du commissaire s'étend aux habitants de Marignane dans son ensemble. Le rapport est adressé au commissaire divisionnaire chef des services de police spéciale qui relève de la Sûreté générale qui exerce une surveillance politique.
Sylvie Orsoni
Sources
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011
Paxton O. Robert, La France de Vichy. 1940-1944, éditions du Seuil, Paris, 1973.
Rémy Dominique, Les lois de Vichy. Actes dits « lois » de l'autorité de fait se prétendant « gouvernement de l'Etat français », éditionsRomillat, Paris, 1992.
Rossignol Dominique, Vichy et les francs-maçons. La liquidation des sociétés secrètes,1940-1944, Paris, JC Lattès, 1981.