Le Progrès Social Français dénonce des francs-maçons, Marignane, décembre 1941

Légende :

La section de Marignane du PSF renseigne la gendarmerie sur des réunions clandestines de francs-maçons à Marignane. 19 décembre 1941

Type : : rapport participant à la répression de la franc-maçonnerie

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales, 76 W 156 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marignane

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Analyse média

Le rapport que la section de Marignane du PSF rédige en décembre 1941 montre sa participation active à la répression qui frappe les francs-maçons depuis août 1940 (voir contexte historique). Par le vocabulaire employé, les actions engagées, la minutie des surveillances, ce rapport pourrait être celui des services officiels de police ou de gendarmerie. Le président de la section insiste sur les liens étroits que le PSF local entretiendrait avec la gendarmerie : « Contact a été pris avec la gendarmerie pour une opération éventuelle de contrôle...Dès l'arrivée des gendarmes à Marignane la surveillance s'est jointe en entier aux gendarmes. » Le PSF, d’après le rapport, a été investi de la mission de surveiller les anciens francs-maçons de la région : « Nous nous sommes préoccupés, conformément aux instructions reçues, de rechercher si les milieux maçonniques renonçaient réellement à leur activité ». Les partisans du Front populaire se dissimuleraient dans un groupe au nom lourd de sens d’« Espoir »(voir notice le maire de Marignane dénonce les nostalgiques du Front populaire). Quatre personnes sont désignées comme les instigateurs des réunions interdites. La couverture choisie, des réunions de bridge, correspond au niveau social des suspects :  percepteur, instituteur, médecin.  Deux des protagonistes, le percepteur et l'instituteur sont des francs-maçons et socialistes notoires comme l'indiquait déjà un rapport du commissaire spécial de l'aéroport de Marignane en novembre 1940(voir notice Marignane un repaire de l'Anti-France ?).  Le docteur Bouaziz est juif. Un des membres de la section avait cependant recours à ce médecin ce qui lui permit de faire le lien entre les différents suspects : le médecin juif se rendait sous un faux prétexte chez l''instituteur franc-maçon. Le complot « judéo-maçonnique » cher à l'extrême droite se matérialise jusqu'à la caricature. A partir de là, la section du PSF exerce une surveillance serrée sur les suspects, ce qui révèle des effectifs étoffés et une détermination sans faille : « Nous avons décidé d'organiser une surveillance exercée par chaque soir une patrouille de deux hommes pendant que six autres restent en alerte à un corps de garde chez un de nos camarades en relation par téléphone avec la gendarmerie. »

Après plusieurs semaines de surveillance, une action est lancée en liaison avec la gendarmerie. Elle se révèle décevante. Les gendarmes interpellent des voleurs de traverse de chemin de fer, ce qui alerte les occupants de la villa. Lorsque la maréchaussée pénètre dans la maison, elle trouve les quatre suspects autour d'une table de bridge. Les apparences sont sauves. Les gendarmes qui, au grand dépit du rédacteur du rapport, n'avaient pas de mandat de perquisition se retirent. 

Ce résultat médiocre ne décourage pas la section de Marignane qui continuera ses actions en espérant que la gendarmerie se montrera enfin à la hauteur.

L'adjudant commandant l’opération du 18 décembre rédige bien un rapport (voire album) mais il comporte des divergences avec celui du PSF. La section du PSF est simplement qualifiée de « source sûre ».  L’adjudant présente l’arrestation bruyante des deux voleurs de traverses de chemin de faire, italiens  par ailleurs, comme un moyen   d'attirer dehors le docteur Bouaziz et entrer dans la maison alors que le rapport du PSF  considérait plutôt que cela avait donné l'alerte aux suspects et permis peut-être à certains participants de s'échapper. Une fois dans la place, les gendarmes ne fouillent pas la maison (ils n'ont pas mandat pour le faire et ne semblent pas le regretter) mais acceptent avec plaisir « un petit verre » offert par madame Bouaziz. Plus tard, l'adjudant sermonne simplement le docteur qui raccompagne de façon illégale ses amis chez eux. La bonhomie de l'adjudant ne l'empêche pas de signaler tous les participants qu'il a identifié et d'établir les liens entre le docteur Bouaziz et un confrère marseillais, considéré comme franc-maçon notoire.

Le docteur Bouaziz est qualifié par le rapport de juif algérien. En effet la loi du 7 octobre 1940 abolit le décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui accordait la nationalité française aux Juifs d'Algérie. Le docteur Bouaziz tombe sous le coup de la loi du 16 août 1940 qui interdit aux étrangers et aux naturalisés d'exercer comme médecin, chirurgien-dentiste ou pharmacien et sous celle du 2 juin 1941 qui exclut les Juifs de toute profession libérale. L'autorisation provisoire dont bénéficiait le docteur Bouaziz est suspendue le 1er janvier 1942.

Ces documents montrent comment une répression peut fonctionner entre militants pleins de zèle, animés d'une détestation profonde des réprouvés, ici Juifs et francs-maçons, et des fonctionnaires, sans animosité particulière mais obéissants aux ordres et à l'air du temps.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le Parti Social Français(PSF) du colonel de La Rocque prône une révolution nationale résumée par le slogan Travail Famille Patrie qu'adopte sans vergogne le régime de Vichy. En Août 1940, il prend le nom de Progrès Social Français afin de montrer que le travail social et civique prend le pas sur l'activité politique et pour ne pas entraver l'unité nationale. Le PSF se montre maréchaliste mais divisé sur la politique de collaboration. De nombreux militants, comme ceux de la section de Marignane participent à la répression de ce que le gouvernement de Vichy considère comme « l'anti-France » au premier rang desquels les francs-maçons(voir notice application de la loi réprimant la franc-maçonnerie). Ils sont d'autant plus enclins à le faire qu'ils s'estimaient persécutés par l'ancienne municipalité SFIO et ses partisans comme l'indique un rapport du commissaire spécial de l'aéroport de Marignane(voir notice Marignane n’est pas un repaire de Francs-Maçons ?)en novembre 1940.


Sylvie Orsoni

Sources

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Paxton O. Robert, La France de Vichy. 1940-1944, éditions du Seuil, Paris, 1973.

Rémy Dominique, Les lois de Vichy. Actes dits « lois » de l'autorité de fait se prétendant « gouvernement de l'Etat français »,  éditionsRomillat, Paris, 1992.

Rossignol Dominique, Vichy et les francs-maçons. La liquidation des sociétés secrètes,1940-1944, Paris, JC Lattès, 1981.