Premier statut des Juifs, 3 octobre 1940, J.O. 18 octobre 1940, p. 5323
Légende :
Loi portant statut des Juifs, J.O. 18 octobre 1940, p. 5323
Genre : Carte
Type : loi
Producteur : MUREL PACA
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Journal officiel de la République française Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le garde des Sceaux,Raphaël Alibert, rédige le statut des Juifs adopté le 3 octobre 1940 par le gouvernement du maréchal Pétain. L'article premier définit les personnes que la loi considère dorénavant comme juives. Ce n'est plus le critère religieux qui décide de qui est juif mais le critère racial( voire contexte historique). L'article deux exclut les Juifs de la fonction publique et des responsabilités politiques à commencer par celle de chef de l’État, hypothèse d'école dans le contexte. L'article trois prévoit des exemptions à titre militaire. L'article quatre semble ouvrir les professions libérales aux Juifs mais en suggérant des quota : « à moins que des règlements d'administration publique n'aient fixés pour eux une proportion déterminée. ». L'article cinq prévoit la réglementation des professions de la communication et du spectacle que les Juifs ne pourront exercer « sans condition ni réserve ». Des exemptions sont prévues pour les Juifs qui se sont illustrés dans les domaines littéraires, scientifiques. Contrairement à ce que la formulation pourrait laisser croire, elles sont décidées en conseil des ministres. La mention du Conseil d’État vise à donner au texte une solennité supplémentaire. Les exemptions sont motivées et publiées au Journal officiel, ce qui donne une publicité et un droit de regard public sur les exemptions.
Comme le veut la tradition républicaine, la loi est signée par le chef de l’État , contresignée par les ministres concernés par son application et par d'autres qui peuvent paraître en dehors du champ de la loi mais démontrent l'adhésion de l'ensemble du gouvernement aux décisions prises.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
En 1846 l'abrogation du serment More Judaïco imposé aux Juifs dans les tribunaux abolit les distinctions ethniques ou religieuses dans le droit français. La loi du 3 octobre 1940 établit une discrimination fondée sur des critères raciaux sans référence religieuse. Il appartient à la personne considérée comme juive de se disculper. L'administration n'a pas à apporter la charge de la preuve. Depuis les recherches de Robert Paxton, il apparaît que cette loi antisémite n'est pas adoptée sous la pression des autorités allemandes. Elle trouve ses racines dans l'antisémitisme national qui inspire la politique de Vichy. Depuis la fin du XIXe siècle, à l’anti judaïsme, très répandu dans les milieux catholiques conservateurs, se superpose un antisémitisme qui repose sur une conception biologique.L'extrême droite rejette farouchement l'universalisme des Lumières et de la Révolution française. L'antisémitisme est au cœur de sa doctrine. Il trouve son chantre avec Édouard Drumont qui publie en 1886 La France juive. Maurice Barrès et Charles Maurras lient antisémitisme et nationalisme.En 1929, Charles Maurras écrit dans L'Action française : « La réaction antisémite constitue l'un de nos points de départ essentiels. » Cette thèse qui considère que les Juifssont inassimilables et par essence étrangers à la Nation se couple avec la vision complotiste du Juif. Dans les années 1930, elle trouve des échos auprès de nombreux écrivains ou intellectuels comme Drieu La Rochelle, Lucien Rebatet et bien sûr Céline. A un antisémitisme idéologique peut s'ajouter un antisémitisme populaire fait de préjugés et de stéréotypes. Les responsables de Vichy, le maréchal Pétain en tête font leur le slogan de Drumont « La France aux Français ». Ils retranchent de la Nation et du droit commun des catégories entières jugées comme responsables de tous les malheurs du pays et stigmatisées par le terme d' « Anti-France ». Les Juifs y occupent une place de choix auprès des communistes et des Francs-Maçons. La loi d'octobre 1940 qui met les Juifs hors du droit commun prépare la population à d'autres mesures toujours plus contraignantes et stigmatisantes pour les Juifs ( deuxième statut des Juifs le 2 juin 1941, loi prescrivant le recensement des Juifs le même jour, loi du 22 juillet 1941 relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux Juifs). Lors de son procès qui se déroule à Lyon du 24 au 27 janvier 1945, Charles Maurras n'acceptera pas que l'on confonde« l'antisémitisme boche et l'antisémitisme français, ce qui revient à calomnier bassement ce dernier. ». Il n'empêche que cet antisémitisme d’État joint à une politique de collaboration aboutira à la participation de l’État français à la déportation des Juifs présents sur son territoire et à leur extermination.
Sources
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Paxton O. Robert, La France de Vichy 1940-1944, éditions du Seuil, Paris, 1973.
Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.
Taguieff Pierre-André (sous la direction de), L'antisémitisme de plume. 1940-1944, études et documents. Berg International Editeurs, Paris, 1999.