Fiche médicale d’un résistant déporté
Légende :
Recto d’une fiche médicale établie dans un centre de rapatriement lors du retour d’un résistant déporté (page 1)
Verso de la fiche médicale de ce résistant déporté (page 2)
Verso de la fiche médicale d’un autre résistant déporté au même âge dans le même convoi à destination de Buchenwald (page 3)
Verso de la fiche d’un autre résistant déporté environ à la même date à Buchenwald mais plus âgé. (page 4)
Verso de la fiche d’une résistante déportée en juillet 1944. (page 5)
Type : Document médical
Producteur : MUREL PACA
Source : © Division des Archives des Victimes des Conflits contemporains (DAVCC), Service historique de la Défe Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Cette fiche médicale est extraite d’un dossier de demande du titre de déporté conservé à la Division des Archives des Victimes des Conflits contemporains (DAVCC) à Caen qui est une antenne du Service historique de la Défense.
Elle a été rédigée dans un des centres de rapatriement par où transitent les déportés à leur retour en France en 1945. Cette fiche est la même pour toutes les catégories de rapatriés comme les prisonniers de guerre et les travailleurs du Service du Travail obligatoire (STO) d’où le terme plus général de « détention » mentionné plusieurs fois.
Le document a été anonymé car le délai de communicabilité des informations médicales est de 120 ans.
Cette fiche médicale est recto-verso, de couleur beige ou verte.Le recto est en quelque sorte une pièce d’identité sans photographie du déporté avec des informations classiques pour déterminer son état-civil et pour donner des renseignementssur sa déportation en haut à droite avec la catégorie (DP pour déporté politique, DC pour déporté civil), la date d’arrivée en Allemagne et le nom du dernier lieu de détention.Pour les hommes qui sont les seuls mobilisables à l’époque, les quatre dernières lignes du document donnent des indications sur leur situation militaire (bureau de recrutement et classe de mobilisation permettant de savoir si la personne a fait son service militaire, la dernière affectation militaire en France renseignant par exemple sur sa mobilisationlors de la campagne de 1939-1940). Les casesavec des chiffres figurant dans la colonne de droite sont réservées à l’administration. Le dernier numéro imprimé en bas à droite (0053451 pour la première fiche) est un numéro d’octroi permettant de comptabiliser les fiches pré-imprimées et ainsi le nombre de rapatriés. Ce déporté a donc reçu l’imprimé numéro 0053451.
Quatre fiches de résistants marseillais sont présentées ici. La première correspond à celle d’un résistant déporté par le convoi du 26 janvier 1944 parti de Compiègne à destination du camp de Buchenwald où il est arrivé trois jours plus tard. Il y est resté jusqu’à sa libération par l’armée américaine le 11 avril 1945.
Le verso de cette fiche (voir la photographie 1 de l’album photo) correspond à l’examen médical donnant le détail sur l’état de santé. Certaines fiches sont illisibles, écrites au crayon gris ou incomplètes. Un résumé de l’examen médical est présenté à travers différentes rubriques : taille, poids, maladies infectieuses, maladies parasitaires, gale, poux, peau et phanères, appareil génital, bucco-pharynx, état général (bon, moyen ou mauvais), amaigrissement global, observations et résultat radiophoto. Les fiches sont plus ou moins bien remplies en raison de l’affluence importante des rapatriés. L’état général est le plus souvent bon ou moyen. Dans la première fiche,l’état du déporté est jugé « moyen » car il est très affaibli par une toux importante et la perte de 12 kg. Ce résistant a été arrêté en mai 1943 à Marseille par la Gestapo qui l’a certainement torturé. Il est resté en prison jusqu’en janvier 1944 avant d’être déporté le 26 janvier à Buchenwald où il arrive trois jours plus tard. Il a alors 42 ans. Il est libéré le 11 avril 1945 et il est rapatrié le 29 avril. Il est donc resté 14 mois et demi dans un camp de concentration. Lors de son rapatriement, il est noté qu’il a perdu 12 kg mais 18 jours se sont écoulés entre sa libération et son retour en France ce qui peut laisser supposer qu’il avait certainement plus maigri et que pendant ce laps de tempsoù il a été pris en charge par les Alliés, il a pu être mieux alimenté et reprendre un peu de poids.
La photographie 2 de l’album est le verso d’une fiche médicale d’un autre résistant du même âge que le premier et déporté dans le même convoi. Cette fois-ci, son état de santé est considéré comme « bon ».Ce document est intéressant car la taille et le poids du résistant déporté sont mentionnés. Cet homme de 43 ans en 1945 a perdu 26 kg et il ne pèse plus que 56 kg pour 1,74 m lors de son passage au centre de rapatriement ce qui est insuffisant. Beaucoup de rubriques sont remplies avec la mention « RAS » rien à signaler mais dans le bilan de l’examen, il est noté que ce déportésouffre d’une bronchite chronique, d’une surdité à l’oreille gauche et d’une douleur hépatique. Malgré cela, son état de santé est jugé « bon »et normal avec la lettre N entourée. Par conséquent, ilpeut regagner son domicile.
Un état de santé « mauvais »désigne une personne dans un état de santé très préoccupant. La photographie 3 de l’album est celle d’un déporté plus âgé. Il est transféré en Allemagnelui aussi en janvier 1944, dans un autre convoi à destination de Buchenwald. Lors de sa libération, il a 62 ans. Il est rapatrié le 3 mai 1945via le Lutetia à Paris mais il a perdu 15 kg. Sa déportation a aggravé ses problèmes cardiaques. L’examen médical relève une insuffisance cardiaque et de l’asthme et une radio est préconisée.Ce déporté est décédé six mois plus tard, en novembre 1945.
La dernière fiche est celle d’une résistante arrêtée en mars 1944 à Marseille et déportée à l’âge de 32 ans en juillet 1944 au camp de Neue Bremm à Sarrebrück puis au camp de Ravensbrückoù elle est affectée à divers Kommandos. Elle a passé environ neuf mois en déportation. A sa libération au début du mois de mai 1945, elle est prise en charge par la Croix-Rouge suédoise et envoyée en Suède. Elle est rapatriée en France le 26 juin 1945 via le Lutetia à un moment où le flux des rapatriés est moins important ce qui peut expliquer que sa fiche comporte plus d’informations et qu’une radio ait pu être réalisée. Elle a passé près de deux mois en Suède avant son retour. Certains mots de la fiche sont illisibles. Elle a un problème aux chevilles. Ses règles se sont interrompues pendant quelques mois (chiffre illisible) mais elle est réglée à nouveau depuis le début du mois de juin 1945 ce qui montre que sa convalescence en Suède a permis une amélioration de son état de santé favorisant la fin de cette aménorrhée provisoire seulement un mois après sa libération. Comme de nombreux déportés, elle a des caries dentaires parce que les détenus n’ont pas de dentifrice dans les camps. Le médecin constate des bruits du cœur assourdis et arythmiques et des problèmes hépatiques avec vomissements.Malgré deux mois de convalescence en Suède, son état de santé est considéré comme « moyen » donc on peut penser que si elle avait été rapatriée plus tôt en France, elle était plus faiblece qui empêchait son rapatriement.
Dans la colonne de droite, sont indiquées les maladies contagieuses (φ pour la tuberculose, Σ pour la syphilis, γ pour le cancer), la destination des déportés après leur passage par le centre de rapatriement (départ s’ils rentrent chez eux ou l’envoi dans un centre de repos, à l’infirmerie, à l’hôpital ou à l’isolement s’ils sont contagieux), le mode de rapatriement (priorité, couché, route, air, avion, fer) et l’état de santé du rapatrié (N pour normal, S pour suspect, F pour fiévreux et I pour invalide). Pour le premier déporté, son état de santé paraît suspect dans le sensoù il doit être suivi médicalement notamment à cause de sa toux. L’inscription typhus 44 sous la rubrique vaccination veut peut-être dire qu’il a contracté le typhus en 1944 et la toux étant un des symptômes du typhus, la surveillance est alors nécessaire.La couleur rouge qui entoure la lettre S montre l’importance de ce signalement. Une lettre S entourée de bleu suggère un cas suspect moins inquiétant.Néanmoins, cette personne devait suffisamment être remisepour supporter un voyage assis en train ou par la route pour rentrer à Marseille depuis le centre de rapatriement dont le nom n’apparaît pas ici.
Marilyne Andréo
Contexte historique
A partir de janvier 1945, le ministère de la Santé publique met en place un service médical pour accueillir les rapatriés venus d’Allemagne ou des territoires occupés par celle-ci pendant la guerre (les prisonniers de guerre, les travailleurs du STO, les personnes détenues, les déportés, les personnes déplacées, les réfugiés, les Alsaciens-Mosellans mobilisés dans l’armée allemande, etc.). Le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés estime que presque 2 millions de personnes vont revenir en France : 937 000 prisonniers de guerre, 700 000 travailleurs, 93 000 Alsaciens-Mosellans mobilisés dans l’armée allemande et faits prisonniers et entre 40 000 et 160 000 déportés. 61 centres de rapatriement sont ainsi créés le long des frontières surtout dans le Nord et dans l’Est de la France et à Paris comme celui d’Arras dans le Pas-de-Calais, celui de Longuyon en Meurthe-et-Moselle, celui de Mulhouse dans le Haut-Rhin, celui de Strasbourg dans le Bas-Rhin, celui d’Annemasse en Haute-Savoie, celui de Marseille dans les Bouches-du-Rhône pour les rapatriements par bateau à partir d’Odessa en URSS. Le centre le plus connu pour l’accueil des déportés est celui de l’hôtel Lutetia dans la capitale.
Dans ces centres, divers documents sont donnés aux personnes qui transitent : une carte de rapatrié, une fiche de transport, une fiche médicale et un reçu précisant les monnaies allemandes que le rapatrié a l’obligation de déposer et ce qui lui a été donné (argent, vêtements, tickets de ravitaillement et tabac).
La fiche médicale des déportés est établie dans le premier centre français par lequel il passe. Les examens sont superficiels étant donné le nombre important de rapatriés à examiner. Il est prévu que les centres principaux doivent examiner 3 200 rapatriés sur 18 heures, soit environ 180 personnes par heure et en régime accéléré, 4 500 sur 21 heures, soit environ 215 par heure. Les centres secondaires doivent faire le bilan de santé de 1 000 rapatriés en 12 heures, soit environ 90 par heure, en régime accéléré, de 1 500 en 14 heures, soit environ 110 par heure et en régime maximum, 2 250 en 21 heures, soit environ 110 par heure. Ces chiffres ont parfois été largement dépassés selon l’affluence dans ces centres.
La fiche médicale est réalisée en plusieurs exemplaires, une pour le rapatrié,unepour le fichier central du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés et la dernière pour le médecin départemental des prisonniers et des déportés du département dans lequel le rapatrié déclare se retirer. La fiche destinée au ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés est aujourd’hui conservée dans un fond de la DAVCC sauf pour les déportés qui ont fait ultérieurement une demande du titre de déporté résistant ou de déporté politique, cette fiche a alors été versée dans leur dossier comme en témoigne le tampon légèrement visible en bas au milieu « fichier central » de la première fiche.
Les déportés représentent environ 2,5% des rapatriés en France. Leur retour s’échelonne en France entre mars 1945 et décembre 1946. La plupart ont lieu entre le mois d’avril et le mois de juillet 1945 et plus précisément 12% en avril, 62% en mai, 7% en juin et 4,8% en juillet. Les rapatriements les plus tardifs sont ceux des personnes les plus affaiblies qui ne sont pas transportables ou ceux qui ont aidé à organiser le rapatriement depuis l’Allemagne. Par exemple, des médecins déportés ou prisonniers de guerre ont pu rester pour soigner sur place leurs camarades.
Cette fiche médicale est établie afin de redonner une identité à ces prisonniers qui en ont été privés et qui ont été de simples numéros pour l’administration des camps nazis. Les déportés n’ont plus de papier d’identité car ils ont généralement été confisqués à l’arrivée dans les camps lorsqu’ils ont été dépouillés de leurs effets personnels. Quelquefois lors de la libération des camps, des cartes d’identité ont pu être réalisées comme à Buchenwald par les Américains.
Cette fiche permet également de vérifier l’identité de la personne pour éviter les usurpations d’identité pour cacher le véritable motif de la déportation, un criminel, un trafiquant du marché noir ou un collaborateur dont les nazis se seraient débarrassés et qui prendrait l’identité d’un personne décédée ou pour éviter que des collaborateurs ou des nazis se fassent passer pour des déportés ou une autre catégorie de rapatriés et tentent ainsi d’échapper à l’épuration et de prendre la fuite. Elle peut aussi redonner sa véritable identité à un résistant déporté sous un pseudonyme parce qu’il possédait des faux papiers au moment de son arrestation. Il faut préciser que ces personnes déportées sous de fausses identités posent problème en cas de décès et qu’il a parfois été impossible de savoir qui elles étaient réellement.
Les informations de cette fiche médiale sont à utiliser avec précaution. Tous les déportés n’ont pas le même âge, ils peuvent avoir des antécédents médicaux et ils n’ont pas le même vécu avant la guerre. Ils n’ont pas subi les mêmes conditions de vie et de détention, selon les camps, selon les Kommandos où ils ont été affectés, selon la pénibilité des tâches à effectuer quotidiennement, selon la durée de la déportation, selon la présence d’épidémies dans le camp, selon la durée de l’internement précédent la déportation qui pouvait déjà avoir affaibli les organismes, selon les séquelles des tortures infligées, selon s’ils ont subi des expériences pseudo-médicales de la part des médecins nazis, selon la participation aux marches de la mort, selon le temps écoulé entre la libération des camps et le rapatriement en France où certains prisonniers avaient déjà pu se revigorer quelque peu, etc. Par exemple, des prisonnières du camp de Ravensbrück et de certains de ses Kommandos ont été libérées par la Croix-Rouge suédoise en avril-mai 1945 et elles ont été rapatriées via la Suède parfois plusieurs semaines après leur libération. Elles ont ainsi été en convalescence dans un pays neutre pendant la guerre qui ne connaissait pas de problème de ravitaillement. Certains déportés ne sont pas transportables au moment de leur libération et ils ont été soignés sur place dans des hôpitaux de campagne créés par les Alliés, donc ils sont, à leur retour en France, dans un état de santé meilleur que lorsqu’ils ont été libérés même si certains restent très affaiblis et malades voire mourants. De plus, tous les déportés n’ont pas la même constitution physique ou la même résistance physique et psychologique. A cause des problèmes de ravitaillement, de leur plongée dans la clandestinité, de leur entrée au maquis, des tortures subies au moment de leur interrogatoire, des conditions de détention dans les prisons françaises, certains avaient déjà pu perdre du poids pendant la guerre ou souffraient déjà de différents maux.
Enfin, pour les femmes, une pathologie revient fréquemment sur les fiches médicales, l’aménorrhée. La malnutrition et le choc psychologique de la découverte de l’univers concentrationnaire provoquait fréquemment une aménorrhée provisoire chez les femmes réglées. Lors de leur retour, les déportées mieux nourries retrouvaient généralement leur cycle menstruel comme c’est le cas de cette déportée, un mois après sa libération.
Marilyne Andréo
Sources :
21 P, DAVCC Caen, Dossiers de demande du titre de déporté résistant.
Dominique Hiéblot du Pôle des Archives des victimes des conflits contemporains (SHD), « Les archives du retour », intervention lors de la journée d’étude sur les aspects médico-sociaux des suites de la déportation organisée à l’Université de Caen par la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD) le 9 mars 2017.
Site Internet de la Fondation pour la mémoire de la déportation.
Vanina Brière de la FMD, « Le rapatriement de la théorie à la réalité », intervention lors de journée d’étude sur les aspects médico-sociaux des suites de la déportation.
Site Internet de la Fondation pour la mémoire de la déportation.
Jo-Ann Owusu, « Avoir ses règles à Auschwitz », Courrier international, publié le 23 août 2019, mis à jour le 25 mai 2022.
https://www.courrierinternational.com/article/histoire-avoir-ses-regles-auschwitz


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