Article « Eduquons-nous » écrit par des détenus d’Eysses

Légende :

Paru à la dernière page du Bulletin des jeunes (bulletin des jeunes communistes emprisonnés à Eysses), n°2, en janvier 1944.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Musée d’Histoire vivante, Montreuil Droits réservés

Détails techniques :

Dimensions du journal : 26 x 20 cm. Dimensions de l’article : 23 x 6,5 cm.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Article paru dans la colonne du milieu de la dernière page du Bulletin des jeunes, bulletin des jeunes communistes emprisonnés à Eysses, n°2, en janvier 1944. Intitulé « Eduquons-nous », il est écrit par un jeune communiste à l’attention de ces camarades de la Centrale. Le nom de l’auteur n’est pas précisé. La tonalité de l’article, et donc du journal, est donnée dès la première phrase.

Les jeunes communistes doivent s’inspirer du marxisme-léninisme (théorie philosophique, politique et économique de Lénine fondée sur le marxisme) pour trouver la solution à leurs maux. Le texte présente l’importance de la doctrine dans la connaissance et l’explication des événements actuels et futurs. Pour continuer la lutte contre l’ennemi, il faut s’en inspirer (« [...] grâce à elle nous pouvons nous orienter dans une situation donnée comprendre les liaisons des événements au milieu desquels nous nous trouvons »).

Arme de la lutte (« Notre arme c’est la théorie marxiste-léniniste ») pouvant être considérée comme Résistance spirituelle et intellectuelle, la doctrine apparaît comme un guide pour l’action (« [...] c’est donc en théorie que nous puisons les enseignements pour la lutte »). C’est au travers d’elle qu’aboutira la liberté, la victoire et l’édification d’un monde meilleur. La doctrine marxiste a répondu aux questions que l’Humanité a soulevées, elle permettra la libération des détenus et la victoire sur l’Allemagne (« [...] sa connaissance renforce notre confiance dans l’issue finale de ce combat dans l’avenir de notre pays et de sa jeunesse »).

Cette doctrine se développe constamment. C’est pourquoi l’auteur engage les jeunes communistes enfermés dans la Centrale à s’en inspirer et surtout à l’étudier précisemment (« [...] chaque JC doit s’appliquer à l’éducation politique de toute son ardeur… il faut que chacun étudie ses notes relevées sur un cahier »). Le texte nous apprend que des cours sont dispensés au sein de la Centrale (« [...] assidu ponctuel aux cours [...] »). On ne sait rien des « professeurs » mais on se doute qu’ils sont membres de la jeunesse communiste.  
Etudier le marxisme-léninisme, c’est assimiler son essence, apprendre à l’appliquer dans les différentes conditions, savoir l’enrichir, le développer en fonction de la situation et des tâches historiques nouvelles, sous-entendu la libération du pays (« [...] quand nous nous orienterons dans des situations compliquées, à ce moment là, la science est nécessaire »).

Expression scientifique des intérêts vitaux de la classe ouvrière, c’est en la maitrisant que la jeunesse communiste (avenir du pays) parviendra à dominer (« [...] nous sommes les cadres de la jeunesse de France »). Les succès de la classe ouvrière et des partis communistes sont dus au fait qu’ils s’inspirent de cette doctrine invincible (« [...] inspirons-nous de nos dirigeants [...] »).


Auteur : Aurélie Pol 
Sources : K. Marx et F. Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848.

Contexte historique

Pour les détenus d'Eysses, la culture tient une place très importante, en lien avec les idéaux de la Résistance, exprimés dans un article du Jeune Enchaîné du 11 novembre 1943 : « Demain, il faudra poser chacun sa pierre, cette pierre, il faudra donc l'avoir, donc nécessité à tous les jeunes patriotes de la centrale de se mettre au travail de tout cœur, car c'est le seul moyen d'apporter votre aide au combat libérateur. Apprendre. Savoir. Connaître. » Les bénéfices des cours proposés quotidiennement au sein de la Centrale par les détenus eux-mêmes sont multiples. Sur le plan personnel, ils permettent d'éviter l'ennui et le désœuvrement, de se sentir valorisé par l'acquisition de connaissances nouvelles, de se projeter dans la France libre de l'après-guerre. Sur le plan collectif, ils resserrent les liens entre les détenus et contribuent à établir un esprit de solidarité et d'entraide. Enfin, l'« université » d'Eysses est aussi un lieu et une occasion de contacts et d'échanges pour préparer l'évasion collective. Les « professeurs » sont des détenus ayant une compétence professionnelle ou disciplinaire : instituteurs et professeurs, étudiants, mais aussi ouvriers, médecins, cheminots, imprimeurs, maître d''hôtel... Les disciplines sont variées : langue française (grammaire, orthographe, rédaction, mais aussi littérature et poésie), calcul et mathématique, physique (cours dispensés par le tout jeune Georges Charpak, futur prix Nobel !), biologie, géographie, histoire, quelques rudiments de langues étrangères (espagnol, anglais ou allemand), mécanique... Des détenus font partager une expérience ou connaissance particulière, comme la gestion d'une ville, l'organisation de la presse ou la vie quotidienne à Belleville. Les cours, autorisés à condition qu'ils n'apparaissent pas comme activité subversive, servent aussi de paravent aux cours politiques clandestins (l'histoire du PCF, la vie de Lénine, la biographie du Général de Gaulle, les mouvements de jeunesse, communiste ou catholique...) et aux cours de théorie militaire. Dans un courrier daté du 29 octobre 1943 et adressé à sa mère et à son frère, Jean Vigne (fusillé à Eysses le 23 février 1944) montre l'importance de ces cours en écrivant : « Je profite d'une occasion pour vous faire quelques lignes qui je l'espère vous trouveront en parfaite santé. Le moral reste excellent [...] Si vous saviez je suis presque heureux d'être venu ici. Mon éducation se parfait et lorsque je reviendrai il faudra travailler mais je ne serais pas pris au dépourvu [...] La prison est pour moi un lieu d'études et s'il ne m'a pas été permis de m'éduquer quand j'étais jeune, j'espère profiter au maximum de mon séjour ici pour le faire. L'espoir et l'avenir nous appartiennent. » 


Auteurs : Gérard Michaut, Fabrice Bourrée
Sources : Amicale des anciens d'Eysses, Eysses contre Vichy, 1940-..., Tiresias, 1992. Documentation Corinne Jaladieu.