Le camouflage des grenades : témoignage de Marcel Letort
Genre : Film
Type : Témoignage filmé
Producteur : réalisation HC Zenou / IFOREP
Source : © FMD, collection « Mémoire vivante de la déportation » Droits réservés
Détails techniques :
Extrait filmé. Durée : 00 :02 :08s.
Date document : Mars 1997
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Analyse média
La Fondation pour la
mémoire de la Déportation a entrepris à partir de 1992 le recueil de
témoignages audiovisuels d'anciens déportés. La Fondation relayée par les fédérations, associations et amicales,
a distribué dans la France entière un questionnaire détaillé à remplir par
chaque déporté, volontaire pour témoigner. Au mois d'août 1993 près de 4 500
fiches étaient de retour. Une commission de la vidéothèque rassemblant à
côté de 4 historiens de l'Institut d'Histoire du Temps Présent (I.H.T.P), cinq
déportés dont trois connus pour leurs travaux sur la déportation (Serge
Choumoff, le général Rogerie et Maurice Cling), a arrêté définitivement le 13
juin 1996 les 116 noms des témoins retenus. Compte tenu du caractère modeste de ce nombre, un soin particulier a été
apporté dans le choix de la population enregistrée pour qu'elle soit autant que
faire se peut, représentative de la déportation dans toutes ses composantes. Celle liste comprend : 89 hommes et 27 femmes, 76 résistants, 21
résistantes, 11 juifs et 7 juives, 2 otages, 2 prisonniers de guerre, 2 «
politiques ». Les enregistrements sont effectués par la section audiovisuelle de l'IFOREP
(Institut de Formation, de Recherche et de Promotion), qui réalise
parallèlement le montage et le conducteur. Les conventions nécessaires avec le
témoin sont préalablement signées avec la Fondation. Les originaux sont déposés
au Centre historique des Archives nationales/Section du XXème siècle (« contrat
de dépôt »), la Fondation et le témoin en conservant une copie.
Chaque témoignage filmé est un récit de vie
personnel tourné en continuité, réalisé de la manière la plus simple et selon
le principe de la non-directivité, de manière à laisser au témoin la plus
grande liberté d'expression. Le témoin toujours filmé chez lui, dans son
cadre personnel, est prié avant l'entretien de ne rapporter que des faits qu'il
a vécus lui-même, les souvenirs qui lui sont propres. Il a en face de lui non
un historien ou un journaliste tenté de poser des questions pour obtenir les
réponses qu'il connaît, mais un bon professionnel de l'audiovisuel qui se doit
d'intervenir aussi peu que possible dans la conduite de l'entretien.
Le cadre est
chronologique. Il ne s'agit en aucun cas de faire une émission de télévision,
mais plutôt de recueillir des archives brutes enregistrées selon le temps
choisi par le témoin : en général six à huit heures sur deux ou trois jours de
tournage.
Le
témoignage de Marcel Letort est composé de sept parties réparties sur quatre
cassettes vidéo :
Cassette 1 :
1ère partie (la jeunesse, la guerre) ; 2ème partie (la
guerre (suite) - la Résistance - l'arrestation)
Cassette 2 :
3ème partie (Prison et jugement - la centrale d'Eysses) ;
4ème partie (la centrale d'Eysses (suite) - la fusillade du 19
février 1944 - Compiègne - Le convoi - Dachau)
Cassette 3 :
5ème partie (Le block 21 - le kommando d'Allach) ; 6ème partie (« la libération »)
Cassette 4 :
7ème partie (Retour à la vie - Bilan).
La durée totale de l'enregistrement vidéo est
d'environ 8 heures.
Il a été
enregistré à Compiègne en mars 1997.
Dans cet extrait de son témoignage, Marcel letort raconte dans quelles circonstances il est allé camoufler des grenades près de l’infirmerie avec Henri Neveu, un des responsables de l’infirmerie.
Après la reddition des détenus, Darnand se rend en personne à Eysses. Il se sert du prétexte de cet armement découvert dans la cour de l'infirmerie pour exiger que 50 otages soient exécutés. En effet, pour Darnand, la découverte de ces armes rend caduque la parole d'officier de Joseph Schivo qui avait promis aux détenus qu'aucune représailles ne serait exercée s'ils se rendaient avec leurs armes.
Retranscription :
« Je suis allé vers le poste de garde. Je n’y suis jamais retourné depuis dans la centrale mais je vois encore ce couloir, avec à côté une porte et un petit bureau. Il y avait là le commandant Bernard, qui commandait le bataillon d’Eysses. Il était allongé sur une civière et avait l’air d’être blessé à la jambe. Il donnait ses ordres tout en étant sur la civière.
Il me dit « Tout est rassemblé ? Tu vas partir avec Neveu – Neveu était un camarade responsable de l’infirmerie qui a été conseiller général de la Seine communiste – et tu vas allé porter ces grenades. Vous allez les camoufler. »
On est donc parti. Il y avait d’autres grenades, peut-être une trentaine en tout, des grenades quadrillées défensives, les plus terribles.
On est donc parti avec cette caisse et on est sorti de la chapelle pour entrer sur le terrain devant l’infirmerie. Il m’a emmené sur la gauche et nous avons été mettre la caisse sous des cabines en bois qui devaient servir de locaux de désinfection ; sous le plancher nous avons glissé ça. Je lui ai dit que c’était pas bien enterré et il m’a répondu qu’il s’en occuperait après.
Je suis reparti et j’ai retrouvé mes camarades lorsque l’ordre nous a été donné de rentrer dans les dortoirs, les pourparlers s’étant poursuivis pendant que j’étais là. »
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Renseignements communiqués par la FMD. Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.
Contexte historique
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d’une ambitieuse tentative d’évasion collective (de mille deux cents détenus politiques). Ce jour-là, alors qu’un inspecteur général effectuait une visite dans la centrale, les détenus saisissent l’occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de l’établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis plusieurs semaines par l’état-major clandestin des détenus, consistait à s’emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre 14h, heure de la capture de l’inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h, les détenus progressent, en silence, jusqu’au bâtiment administratif, capturant et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée. Cependant, l’alerte est donnée vers 17 heures par une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux fenêtres des bâtiments d’entrée donnant sur la cour d’honneur et commence à ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en particulier d’Espagnols bénéficiant de l’expérience du combat à la faveur de la guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l’enceinte extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d’autres, protégés par des matelas, tentent de monter à l’échelle jusqu’au mirador de la porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les forces de l’ordre. Vers 21 heures, les troupes d’occupation venues d’Agen encerclent la centrale, munies de pièces d’artillerie. Vers minuit, l’état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la préfecture, demandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la qualité des otages qu’ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations avec la préfecture afin d’obtenir une reddition acceptable. On libère alors le directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l’objet et relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de signaler que tous les témoins insistent sur l’attitude particulièrement veule du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes sortes d’attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d’officier français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un ultimatum donnant aux révoltés un quart d’heure pour se rendre sans condition, faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l’intermédiaire du directeur, un délai d’une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d’officier qu’il n’y aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des combats se solderait par un échec, les détenus libèrent les otages, abandonnent leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs dortoirs : il est environ quatre heures du matin.
D'après Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.