Insigne de l'association des expulsés lorrains drômois

Légende :

 

Genre : Image

Type : Insigne

Source : © collection Maurice Bleicher Droits réservés

Détails techniques :

L'insigne mesure 20 mm sur 15. En aluminium peint, il a été fabriqué par la firme Augis de Lyon. Il devrait dater de 1945.

Date document : 1945

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Après la guerre, de nombreuses associations de Résistants, combattants, déportés sont créées pour commémorer des faits de Résistance, les affres de la déportation. D'autres événements, moins connus, mais aussi dramatiques, ont amené ceux qui les ont subis à se regrouper dans des associations commémoratives. C'est le cas des expulsés de la Lorraine, particulièrement du département de la Moselle, qui, chassés par les Allemands, ont trouvé un refuge dans la zone non occupée, notamment dans la Drôme. Ces expulsés ne doivent pas être confondus avec les évacués des régions frontalières du début de la guerre. De nombreux évacués avaient rejoint leur commune d'origine à l'été 1940. On estime que 100 000 Mosellans ont été expulsés entre 1940 et 1943. Plusieurs centaines d'entre eux furent dirigés vers la Drôme.


  Auteur  : Alain Coustaury

Contexte historique

Les 84 000 Mosellans expulsés par le Gauleiter Josef Bürckel, gouverneur du Gau Westmark, entre le mois de juillet et le mois de novembre 1940, étaient pour la plupart de culture francophone et jugés inassimilables. Mais, en principe, n'étaient pas expulsés, même s'ils étaient francophones, les personnes indispensables à la vie économique de la région. Quelques mois après l’annexion, les expulsés se considéraient déjà, non sans raison, comme les premières victimes civiles du nazisme.

 Plusieurs vagues d'expulsions ont eu lieu, entraînant des différences dans la perception des formes d'expulsion. Il y eut les expulsions de l'été 1940, décidées et régies par l'occupant. En 1941, 8 000 Mosellans quittèrent volontairement leur département. Ils se définissent comme des « expulsés volontaires » se démarquant des expulsés de 1940. Cette nuance a eu des répercussions dans les relations entre les Mosellans au moment de leur retour.

L'accueil des réfugiés se traduisit, souvent au début, par des incompréhensions. Les expulsés arrivaient parfois dans des villages moins bien équipés que leur commune d'origine, confortant les clichés qu'ils avaient du sud de la France. Certains de leurs hôtes, eux, voyaient dans ces arrivants ... « des Boches de l'Est » ! Des rancœurs se développèrent chez les expulsés contre cette France qui les avait abandonnés en 1940 et contre ceux qui étaient restés en Moselle. Quant à ces derniers, placés sous le joug de l'occupant, ils pensaient que les exilés avaient de la « chance ». Tous ces sentiments rendent compte des difficultés rencontrées, plus tard, au retour en 1944 ou 1945.

Les expulsés mosellans dépendaient administrativement de la préfecture de Meurthe-et-Moselle repliée à Montauban. Expulsé comme ses concitoyens, le préfet Charles Bourrat a été chargé, non sans réticences et arrière-pensées de Vichy, de la gestion des Mosellans expulsés dans toute la zone non occupée, donc de ceux de la Drôme (Un hommage solennel au préfet Bourrat a été rendu les 9 et 17 décembre 2011 à Montauban). Si, fin 1940, les réfugiés de l'exode de 1939 sont déjà repartis pour la plupart, ce sont les expulsés alsaciens-lorrains qui sont accueillis dans la Drôme : un millier à Romans, une centaine à Crest, la quasi totalité du village de Bisping (Angviller-lès-Bisping) à Saint-Vallier et à Saint-Uze, avec le maire et le curé. Très rapidement, ils affirment leur patriotisme. Le 20 novembre 1940, « Les réfugiés lorrains de Romans et Bourg-de-Péage organisent une manifestation patriotique à laquelle les autorités locales assistent ». Puis le 30, « Une cérémonie identique a lieu à Bourg-de-Péage. Des chants et la Marseillaise terminent cette belle manifestation. Le refrain de la marche lorraine « Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine.» est repris en chœur par toute l'assistance ». Le préfet ne se trompe pas sur le danger représenté par de telles manifestations. Dans son rapport du 16 décembre 1940 il écrit : « Une évolution favorable [à la politique de collaboration] a été nettement perceptible au bout de quelques jours, mais il faut bien reconnaître que l'expulsion des Lorrains a produit un effet désastreux. Ceux-ci sont arrivés dans l'état d'esprit que j'ai décrit d'autre part, et constituent partout autant de propagandistes qu'il serait bien délicat de vouloir réduire à l'impuissance dès les premiers jours ». Tous sont susceptibles d'informer les Drômois sur la réalité de l'occupation allemande.

Parmi ces réfugiés, qui ont une haine viscérale de l'Allemand, se trouvent Paul Jansen à Romans et Georges Brentrup à Crest, qui formeront des groupes de Résistance qui deviendront des compagnies FFI. En décembre, le propriétaire de l'usine de filature du quartier Soubeyran de Crest, monsieur Cottereau, d'origine lorraine, décide de fermer son usine, ne pouvant accepter de travailler directement ou indirectement pour l'ennemi. Madame B., du réseau Coty, d'origine alsacienne, est interprète à la Feldgendarmerie à Valence de septembre 1943 à avril 1944, moment où les Allemands la renvoient. Outre qu'elle renseigne régulièrement son chef de réseau, Fabrice Blum, sur les attaques que prévoient les Allemands ou les arrestations qu'ils projettent, elle permet l'évasion d'un inspecteur de la Sûreté, elle intervient pour faire relâcher d'autres prisonniers français, et lorsque cela ne se peut, elle se débrouille pour récupérer les messages qu'ils veulent faire parvenir à leur famille. M. Diebold, alsacien parlant allemand, est recruté par André Vincent-Beaume dans le réseau Nestlè-Andromède. Il est chargé de la surveillance de la gare de Romans. Quant à M. Fusch, Alsacien, restaurateur à Valence, il écoute attentivement tout ce qui se dit dans son restaurant où viennent manger les occupants. Au-delà des personnes qui s'engagent dans la Résistance, les Alsaciens-Lorrains constituent un symbole, dont le gouvernement de Vichy n'est pas dupe. Le 11 juillet 1941, lors de la remise des prix au Prytanée replié à Valence, le professeur Seybel, alsacien et aviateur, se voit contraint de faire un discours sur l'aviation, son discours prévu sur l'Alsace étant tombé sous le coup de la censure. Ce symbole prend toute sa signification à la moindre manifestation des années 1940 à 1942. On n'entend pas seulement chanter La Marseillaise, mais aussi Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine, entonnée également lors des combats de juillet 1944 par certaines compagnies FFI pour se donner du courage.

Parmi les nombreux récits d'expulsés, les chroniques de la commune d'Abreschviller (Moselle) permettent de suivre les pérégrinations d'expulsés qui arrivèrent à Romans-sur-Isère. En principe, les Allemands n’expulsaient pas, même s’ils étaient francophones, les personnes qui travaillaient dans le bois ou dans les administrations telles que les Postes et les Chemins de Fer. Les premiers expulsés partirent le 15 Août 1940. Il s’agissait de familles de certains fonctionnaires et de militaires. Ainsi, le docteur Bénard et sa famille, les demoiselles Deleau furent envoyés dans la Drôme, à Romans où les rejoignirent les expulsés du 13 Novembre 1940.. Dans ce second convoi, il y eut Max Demange, maire d’Abreschviller, l’abbé Varoqui, la sœur Céleste, André Nopre, futur maire d’Abreschviller, et sa sœur, les familles Fohrer, Delaval, Léon Maire, Denis Maire, Adrien Bournique, Fernand Nopre, Désiré Kermann, les Bonjean, les demoiselles Verniory, François Bendel ... Irène Bournique avait sept ans lorsqu’elle arriva à Romans. De cette époque, elle garde des souvenirs mitigés.

« Nous ne devions pas partir parce que mon père était facteur et parlait l’allemand. À la poste, on lui avait dit qu’il ne partirait pas car on avait besoin de lui. Ma mère avait défait les bagages qui étaient prêts. Nous avons été ajoutés sur la liste au dernier moment, pour quelle raison ? Nous sommes partis le 13 novembre 1940 [...] avec 30 kilos de bagages seulement. Un car nous a pris en charge jusqu’à Heming (des habitants de Heming ont séjourné à Clérieux) où nous sommes montés dans un train. Les expulsés d’autres villages nous ont rejoints […]. Nous ne savions pas où on nous envoyait : France ou Allemagne ? Nos parents ont poussé un soupir de soulagement quand nous sommes passés à Avricourt : nous allions donc en France. Nous sommes restés deux jours dans ce train. Il s’est d’abord arrêté à Mâcon où la Croix-Rouge a servi du lait aux enfants. À Lyon, le train est resté à l’arrêt toute la nuit (c’étaient des vieux wagons en bois, je dormais dans les filets). Nous avions froid. On réchauffait le biberon de Richard Nopre qui n’avait que 8 mois, avec des bougies. Les wagons ont été dispersés dans différentes régions. Nous avons été dirigés vers Romans dans un camp de baraquements situé à Bourg-de-Péage. Les habitants de chaque village étaient regroupés dans une seule baraque, avec un fourneau à bois à chaque extrémité. Les châlits en bois étaient séparés d’à peine un mètre. Les enfants dormaient au-dessus et nous nous amusions à courir d’un lit à l’autre. Nous avions froid, l’hiver 40-41 a été très dur, il y avait beaucoup de neige. […] Nous sommes restés tout l’hiver dans ce camp. Nous nous étions organisés. François Fohrer avec d’autres se sont occupés de la cuisine. Il y avait une popote, mais c’était maigre : carottes, topinambours et rutabagas. Un baraquement avait été transformé, moitié en école, moitié en chapelle. C’est là que j’ai fait ma première communion. Les cours étaient donnés par sœur Céleste pour les petits, et monsieur Noël et madame Denis Maire pour les plus grands, dans le collège attenant à notre camp où nous avions notre «  école lorraine ». Ensuite tout le monde s’est organisé pour trouver un logement et du travail en ville : la poste pour mon père, le secrétariat de la mairie de Romans pour André Nopre. Romans était encore la capitale de la chaussure, avec toutes ses usines réputées, ce qui a donné du travail à plusieurs expulsés. Les patrons de ces usines avaient de grandes villas avec des jardins ; ils ont employé de nombreux Lorrains. […] Au printemps 1941, après avoir passé tout l’hiver dans le camp, nous avons été logés à Romans même, dans la caserne Bon qui est devenue aujourd’hui « Marque Avenue ». Ensuite nous avons trouvé un logement au bord de l’Isère, près de la collégiale Saint Barnard, où l’abbé Varoqui faisait fonction de vicaire : il logeait au presbytère voisin et prenait ses repas chez nous. La sœur Céleste a été relogée chez des sœurs, à Bourg-de- Péage, et continuait à enseigner aux petits de l’école maternelle. Nous avions également notre chapelle à Bourg-de-Péage, où tous les expulsés se retrouvaient le dimanche à la messe dite par l’abbé Varoqui ou par l’abbé Mazerand, curé de Languimberg, expulsé lui aussi avec ses ouailles. Pour certains, les conditions de vie étaient difficiles. Les demoiselles Deleau et le docteur Bénard étaient logés dans des pièces insalubres et non chauffées. Tous les jours, ils venaient chez ma mère chercher de la chaleur et remplir leur bouillotte d’eau chaude. Le ravitaillement était rare ; nos parents ont eu faim ; ma sœur Paulette allait dans les fermes aux alentours pour y trouver un peu de nourriture au marché noir. La présence toute proche du Vercors nous exposait souvent à des fusillades. La nuit, les maquisards descendaient en ville chercher des chaussures dans les usines. Nous assistions aussi à des rafles dans la journée. Je me souviens aussi d’avoir vu des Mongols de l’armée Vlassov monter vers le Vercors. Les Allemands embarquaient des hommes jeunes ou vieux dans des camions pour les conduire à Lyon. À Romans, il y avait des miliciens et beaucoup de dénonciations. Les Allemands arrêtaient et torturaient tous ceux qu’ils soupçonnaient d’appartenir à la Résistance. Nous sommes rentrés le 13 mai 1945. Les cloches de l’église nous ont accueillis en sonnant à toute volée. Lorsque nous étions arrivés à Romans, la population se méfiait de nous, pensant que nous étions un rebut de la société. Par la suite, une chaine d’amitié s’est formée au point que des familles se sont installées définitivement à Romans [...].Plusieurs personnes sont mortes à Romans [...] Le retour a été très difficile pour beaucoup, certains retrouvant leur maison saccagée ; les mentalités avaient changé ; nous n’avions pas vécu la même guerre. Il y a eu des haines, des jalousies, des soupçons. La réintégration a été si difficile que nous avons souvent regretté d’être revenus. »

Le récit traduit bien l'histoire des expulsés lorrains depuis l'angoisse du départ, les peurs de leurs hôtes drômois, les liens d'amitié qui se sont finalement noués et les rancœurs quand ils ont retrouvé leur village. Cette situation a été aggravée par le fait que d'autres habitants de la commune furent déportés vers les contrées orientales (Sudètes) du IIIe Reich, en 1943. Le drame des expulsés est difficilement évoqué dans de nombreuses communes mosellanes tant il révèle les multiples fractures liées à la langue, au patriotisme et à l'histoire de cette région frontalière. Dans la Drôme, le souvenir de cet épisode douloureux ne s'est pas traduit par des monuments commémoratifs, si ce n'est, à notre connaissance, par une plaque de remerciements dans l'église de Clérieux, plaque apposée sous la statue de ... Jeanne d'Arc.


Auteurs : Alain Coustaury, Patrick Martin

Sources  :

Internet : Histoire du village d'Abreschviller,

De gré ou de force, l'expulsion des Mosellans 1940-1945, Libel Lyon, novembre 2010, 128 pages plus un dvdr

 dvd-rom : la Résistance dans la Drôme-le Vercors , AERD/AERI 2007