Georges Lapierre
Légende :
Georges Lapierre, membre de Libération-Nord et responsable national du Syndicat national des instituteurs (SNI)
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © Archives privées Georges Mayaud Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc extraite du CD-ROM la Résistance dans l'Aube, AERI, 2010
Lieu : France - Grand Est (Champagne-Ardenne) - Aube
Contexte historique
Fils d'une modeste famille d'agriculteurs, c'est à Barbuise, village situé dans l'ouest du département de l'Aube, qu'est né Georges Lapierre en 1886. Élève de l'école primaire de Barbuise, puis de l‘école supérieure de Bar-sur-Aube, il entre ensuite à l'École normale. Il enseigne à Paris à partir de 1909 dans plusieurs établissements successifs, puis en 1934 il devient directeur des deux écoles de la place Lucien Herr dans le 5e arrondissement. Son oeuvre pédagogique est multiple.
En 1923, il crée une section de pédagogie dans l'Association française pour l'avancement des sciences. Il participe à la création de la Société d'études locales de la région parisienne, présidée par le professeur Demangeon.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il fait également partie au sein de la CGT d'une commission d'études sur une réforme de l'enseignement pour l'ensemble des enfants, en y incluant les enfants ouvriers, avec la nécessité de créer des cours du soir pour les aider. Georges Lapierre se voit confier par les responsables du syndicat national des instituteurs (SNI) la mission de créer et d'animer une revue hebdomadaire. L'École libératrice voit ainsi le jour le 28 septembre 1929. Cette revue se donne pour but d'enrichir la pensée des instituteurs et donc celle des élèves.
Il est cofondateur en 1926, de la Fédération internationale des associations d'instituteurs pour favoriser le rapprochement franco-allemand puis des peuples. Il milite pour expurger des manuels scolaires leur côté "belliciste et revanchard".
En 1932, lors d'une réunion de la FIAI (Fédération internationale des associations de coopération intellectuelle) qui se tient au Luxembourg, il se prononce résolument pour la "compréhension des solidarités internationales", seule à même de préserver la paix entre les peuples.
Mais la crise économique internationale et l'arrivée au pouvoir d'Hitler en janvier 1933 modifient le contexte diplomatique. À l'espoir d'un rapprochement entre les peuples succède la peur d'une montée irréversible du fascisme en Europe et en France. Le climat politique français est marqué par des scandales politico-financiers et une montée de l'antiparlementarisme. La crise du 6 février 1934 où l'Assemblée nationale semble menacée par des groupes antirépublicains entraîne une prise de conscience d'un danger fasciste en France. Les partis de gauche et les syndicats jusqu'alors profondément divisés se rapprochent.
Le 5 mars 1934, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes(CVIA), dirigé par trois personnalités emblématiques des familles de la gauche, Paul Rivet, socialiste et professeur au musée de l'Homme, le philosophe Alain proche du radicalisme et le professeur Paul Langevin, sympathisant du communisme, publie un "manifeste précurseur du Front populaire par sa volonté unitaire".
Nicole Racine, qui a étudié l'action et l'influence de ce comité explique son succès par la capacité à rapprocher des personnalités et des partis jusqu'alors opposés : "au bureau élu en mai 1934, puis au congrès de novembre 1935, coexistent un groupe de communistes et communisants autour de Langevin (un tiers de membres environ), des socialistes comme Paul Rivet, des syndicalistes socialistes comme Georges Lapierre, des proches d'Alain...".
Lapierre fait donc partie des 31 membres du bureau du CVIA (outre Paul Rivet, Langevin, on trouve dans ce bureau des personnalités comme Frédéric Joliot-Curie, Henri Wallon ou l'historien Lucien Febvre...). Lapierre est donc logiquement approché pour se présenter aux élections législatives de 1936, mais contrairement à son ami aubois Pierre Brossolette, il renonce à cet engagement politique, préférant se consacrer au syndicalisme militant. Lors de l'exposition universelle de 1937, il demande à Léon Blum la possibilité de réunir plus de 4 000 instituteurs de 45 pays différents, toujours dans l'optique d'un rapprochement entre les peuples. Il est également membre du Grand-Orient de 1928 à 1938, et apporte son point de vue à la franc-maçonnerie sur l'entente franco-allemande.
Il prend ses distances avec la franc-maçonnerie à partir de la conférence de Munich : lui le pacifiste des années 1920, s'oppose à la position munichoise prise par une majorité de francs-maçons en faveur de la paix à tout prix. Tout comme Paul Rivet, il refuse la position munichoise adoptée par une partie des socialistes et des membres du CVIA.
Au début de la guerre, il devient secrétaire général du SNI (Syndicat National des Instituteurs) et participe à la création de l'oeuvre d'accueil des enfants évacués, en liaison avec la Fédération des pupilles de l'école publique. Compte tenu de ses engagements dans les années 1930, quels choix fait-il au lendemain de la défaite française de 1940 ?
L'entrée en Résistance de Lapierre se fait alors à l'automne 1940. Il héberge tout d'abord Josef Fisera, enseignant tchèque réfugié en France durant l'été 1940 (ce professeur d'université, décédé en 2004, a obtenu le titre de Juste devant les Nations en ayant sauvé des enfants juifs dans le sud de la France). Par ce geste, Lapierre s'oppose à la clause 19 de l'Armistice qui réclame de livrer aux Allemands les ressortissants étrangers ayant fui le régime nazi. Puis c'est le temps de la rentrée scolaire. Il faut avaler des couleuvres avec l'obligation de lire le message du maréchal Pétain, mais l'espoir demeure à travers un message adressé aux élèves de tonalité très patriotique.
Avec Claude Bellanger et René Paty, il organise à Paris la manifestation pour la libération de son ami le professeur Langevin, puis participe à la manifestation du 11 novembre 1940. Comme beaucoup de résistants pionniers, Lapierre participe à Paris à la création de petits noyaux résistants. Pour lui, cela se passe tout d'abord dans le cadre de la SFIO ("groupes de cinq", chaque militant doit recruter quatre autres personnes).
Lapierre est révoqué par Vichy en février 1941 car il a exercé avant-guerre la fonction de vénérable de la loge maçonnique L'Étoile polaire. Privé de son logement de fonction, il revient dans l'Aube, son département natal, et s'installe à Périgny-la-Rose.
Durant l'année 1941, Lapierre souhaite se servir de la structure du SNI pour recruter un groupe d'instituteurs désireux de poursuivre le combat. Il prend peu à peu contact avec les anciens membres du SNI (tout d'abord parmi les amis, les connaissances, les camarades socialistes, les résistants francs-maçons), aussi avec des étudiants (en lien avec le réseau Maintenir de Claude Bellanger, ancien secrétaire du secrétaire général de la Ligue de l'enseignement avant-guerre, qu'il connaît bien grâce à René Paty).
Il engage aussi un rapprochement des instituteurs avec l'OCM de Blocq-Mascart, à la fin de 1941. Ce mouvement, implanté dans la zone occupée, a l'originalité de mélanger des gens de gauche et de droite, des industriels, des militaires mais aussi des intellectuels. En mars 1942, dans le cadre du procès de Riom, Georges Lapierre est sommé de faire une déposition au tribunal de Nogent-sur-Seine sur la responsabilité des enseignants dans la défaite de 1940. Il ne se démonte pas et critique ouvertement ce point de vue véhiculé par Vichy et le maréchal Pétain. Le premier avril 1942 est une date importante : une rencontre est organisée au domicile de Pierre Brossolette entre le colonel Rémy de la Confrérie-Notre-Dame (CND) et Lapierre. Rémy est particulièrement intéressé par l'ancien secrétaire général du syndicat des instituteurs, il souhaite que ceux-ci deviennent, au même titre que les prêtres et les médecins, des cadres de la CND pouvant faciliter la libération du territoire attendue pour 1943. Louis François, professeur d'histoire au lycée Henri IV, capitaine dans l'armée de 1940 dans le régiment du général de Gaulle, a servi d'intermédiaire entre Brossolette, Lapierre et le colonel Rémy. Les liens amicaux entre Brossolette et Lapierre datent de la fin des années 1920, quand ils participaient tous deux à des congrès pour la construction de la paix dans le monde. Lapierre a aussi publié les premiers articles de Brossolette dans L'École libératrice en 1929 et connaissait très bien le père de Brossolette. Les circonstances de la guerre et le nazisme les entraînent à mettre de côté leur idéal pacifiste et les rapprochent finalement dans un même combat résolu contre le totalitarisme. L'enregistrement du sous-réseau que constitue le SNI dans la CND est annoncé officiellement à la BBC en juin 1942, avec message humoristique : "On ne dit pas Métropolitain, mais Pétain mollit trop". Le BCRA attribue désormais un financement des missions au SNI clandestin. À partir de là, les rôles sont partagés.
Georges Lapierre dirige le réseau depuis l'Aube et se rend aussi régulièrement à Paris pour des rencontres, mais c'est surtout Maurice Dirand et Augustin Malroux qui jouent le rôle d'agents de liaison et de recruteurs dans la plupart des départements de la zone occupée. Dirand a pour couverture un emploi à la société d'assurance parisienne La Séquanaise, et Malroux est représentant de commerce et vend des livres auprès de ses anciens collègues.
Tous les deux ont été révoqués par Vichy en 1941. Malroux fait partie des 80 députés qui ont refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940 et Maurice Dirand a été révoqué en tant que franc-maçon. Ils testent les opinions des collègues et engagent parfois dans le réseau ceux qui leur semblent sûrs. Ils éprouvent néanmoins une difficulté certaine à recruter, en 1942, dans un milieu d'enseignants encore assez craintif des nombreux risques à encourir. Le passage à la Résistance et à tout ce que cela implique d'esprit de "désobéissance" n'a rien d'évident pour un milieu certes attaché à la République, mais aussi respectueux de l'ordre et de l'autorité.
L'objectif du SNI de Lapierre n'est plus de nature syndicale, il s'agit en fait d'obtenir des renseignements de nature militaire (mouvements des troupes, nombre de soldats, de divisions, plans des bases) et de les transmettre au BCRA. En ce sens, il s'agit bien d'un réseau et non d'un mouvement à visée politique. Malgré les obstacles, des contacts avec des instituteurs sont néanmoins établis à la fin de 1942 dans de nombreux départements de la zone occupée : Aisne, Marne, Seine, Calvados, Orne, Côtes-d'Armor, Vendée, Indre-et-Loire, Charente, Côte-d'Or, Gironde. Les instituteurs recrutés sont souvent rattachés à la CND, à l'OCM ou à Libération-Nord et jouent souvent un rôle organisateur de la résistance locale.
Lapierre participe aussi à la préparation de la libération par des travaux de propagande. En septembre 1942, avec René Paty et Bellanger, Georges Lapierre publie dans le deuxième Cahier de l'OCM un projet de réforme de l'Éducation nationale. Les sujets abordés sont dans l'esprit des réformes du Front populaire et de son ministre Jean Zay : l'orientation plutôt que la sélection, l'allongement de l'obligation de scolarité, pas de discrimination entre l'enseignement classique et professionnel, la possibilité pour tous d'accéder à la culture générale, la formation des instituteurs plus élevée, la priorité donnée à l'enseignement de l'éducation civique.
Ce texte de plus de cent pages, peu connu il est vrai, a servi de point d'appui aux réformes de l'après-guerre et notamment au plan Langevin-Wallon. Ce cahier clandestin a été diffusé à 2 000 exemplaires dans la zone occupée.
La qualité du texte est reconnue par l'historien Guillaume Piketty. Pour lui, il s'agit d'ailleurs d'une qualité équivalente aux Cahiers politiques de Marc Bloch.
En décembre 1942, Georges Lapierre participe aussi activement aux travaux du réseau maçonnique Patriam recuperare. Au nom de la Ligue de l'enseignement, il approuve, avec son ami René Paty, le texte envoyé par Alfred Kirchmeyer au général de Gaulle qui demande le retour à la République, l'organisation d'élections libres et l'épuration des collaborateurs.
Au niveau local, Lapierre est aussi en relation avec de nombreux mouvements de la résistance auboise. Avec Germain Rincent, dans Libération-Nord, il essaie de recruter des instituteurs du département, mais la tâche s'avère difficile. Dans l'Aube, George Albertini, ancien professeur de l'école normale de Troyes, devenu secrétaire général du RNP de Marcel Déat, exerce une influence contraire sur beaucoup d'enseignants. Il est aussi en contact avec Georges Wauters du mouvement CDLL (qu'il rencontre à Troyes). Il voit régulièrement son ami Paul Langevin, mis en résidence surveillée à Troyes. Charles Racine, du mouvement Libération, le rencontre à cette époque durant des réunions clandestines à Romilly-sur-Seine.
Rémi Dauphinot, "Georges Lapierre" in CD-ROM la Résitance dans l'Aube, AERI, 2010.