Communiquer pour résister

Légende :

La Drôme en armes du 10 juin 1944 Le premier numéro de la Drôme en armes, créé par Louis Aragon et Elsa Triolet, est écrit à la main par Elsa

Genre : Image

Producteur : Louis Aragon et Elsa Triolet

Source :

Détails techniques :

21 x 27 cm, recto

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Donat-sur-l’Herbasse

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Analyse média

Louis Aragon et Elsa Triolet, après Nice, Comps et Lyon, viennent s’installer à Saint-Donat-sur-l’Herbasse, un bourg du nord de la Drôme, à partir du 1er juillet 1943. Outre la poursuite de l’écriture de poèmes, nouvelles ou romans, Louis et Elsa – que l’on ne connaît, à part quelques rares exceptions, que comme Elisabeth et Lucien Andrieux – ont de multiples activités clandestines portant en priorité sur l’organisation des milieux intellectuels, sur la création du journal Les Étoiles, etc.

Après le débarquement du 6 juin, en Normandie, ils proposent la création d’un journal local portant le nom de La Drôme en armes. Ils s’entourent des amis résistants de Saint-Donat. Pierre Lenoir s’était aussi réfugié à Saint-Donat, y avait créé un petit atelier de réparation de postes radio et avait dépanné un poste émetteur pour la Résistance. Il participe à la recherche d’informations dans la région pour le journal que proposait Aragon. Il en est de même pour René Montlahuc, instituteur à l’école du village, déjà impliqué dans le travail clandestin. D’autres sont contactés et constituent cette petite équipe de rédaction. Les renseignements et messages diffusés par les radios, la BBC, Radio Moscou ou Radio Sottens, sont une autre source d’information.

Il fallait faire vite. Le premier numéro, daté du 10 juin 1944 soit quatre jours après le débarquement, est vraisemblablement rédigé entièrement par Louis Aragon et Elsa.

Il est écrit à la main par Elsa. Il a été tiré dans la cabane du jardin du secrétaire de mairie. Ce n’était qu’un recto-verso, mais à l’heure actuelle, seule une photocopie du recto a été retrouvée. C’était acceptable pour un numéro d’essai, mais pas pour un tirage plus important.

Rapidement Louis Aragon a pu trouver un imprimeur acceptant de tirer les autres exemplaires du journal. Il s’agit d’Albert Gerin, de Romans.

Quatre numéros imprimés ont suivi, le n° 1 du 10 juillet 1944, le n° 2 du 1er août, le n° 3 du 26 août et le n° 4 du 5 septembre. Il faut y ajouter un supplément du 15 août annonçant le débarquement en Provence (recto seulement). Les numéros 1 et 2 ont deux pages (une feuille recto verso), les numéros 3 et 4, ont 4 pages, soit deux feuilles recto verso. Le format du n° 1 manuscrit est celui qui était courant alors, 21 x 27 cm. Celui des numéros imprimés est de 45 x 28 cm.

La réalisation du journal

C’ est une entreprise difficile, même avec l’expérience qu’avait Aragon dans ce domaine puisqu’il avait dirigé le journal Ce soir. Les conditions de préparation sont bien différentes dans le contexte de cet été 1944. La recherche des informations et la rédaction ne peuvent se faire avec les moyens que peut utiliser un journal ordinaire. Le téléphone, rare en 1944, ne peut être utilisé de crainte que les conversations soient écoutées Seuls, les informateurs, les « agents de liaison » peuvent apporter les nouvelles transmises de bouche à oreille, sans possibilité de les croiser avec d’autres sources. Même les messages écrits étaient évités le plus possible de peur qu’ils ne soient interceptés par l’ennemi. Parfois, ce sont des « correspondants de presse » qui sont envoyés dans le département pour recueillir des témoignages. Ce n’est pas sans risques non plus. Par exemple, René Montlahuc, est envoyé plusieurs fois à Dieulefit rencontrer les intellectuels résistants, Andrée Viollis, Pierre Emmanuel et bien d’autres, qui y séjournent, cachant les messages dans le tube de la selle de son vélo. Aragon lui demande d’aller faire un reportage chez les FTP du Diois. Il part en vélo peu après le 14 juillet, date des vacances scolaires. Dans le Diois, il rencontre ses amis résistants et s’apprête à revenir à Saint-Donat, le 21 juillet. Mais c’est le jour où les troupes allemandes investissent le Vercors. Impossible de passer après Die. Il n’a pu revenir à Saint-Donat que le 13 août. Il a alors rédigé son article qui a pu paraître dans le n° 3 du 26 août.

Rédigé, il faut encore imprimer le journal, c’est l’affaire d’Albert Gerin et de ses deux fils, André et Albert, mais certains membres de l’équipe de « rédacteurs » participent à cette phase. Le nombre de tirages n’est connu que par ce qu’écrit André Gerin : « Ce journal fut tiré à 4 ou 5 000 exemplaires » qu’il corrige ensuite, en surchargeant par 2 à 3 000. Il est vraisemblable que le n° 3, du 26 août, et, surtout, le n° 4, du 4 septembre, aient été tirés en plus grand nombre.

La distribution est un autre problème à résoudre. C’est Albert Gerin, le fils de l’imprimeur, qui dit que les exemplaires sont récupérés le matin par MM. Bonfils et Lenoir, avec leurs bicyclettes, mis dans des cageots de fruits et légumes ou son frère André qui écrit : « Pour distribuer ce journal, nous avions des vélos avec des cageots, et c’est sous la paille des lapins et des poules que nous effectuions nos livraisons à des endroits tenus secrets ». Pour les premiers numéros, on peut penser que la petite équipe de rédaction était aussi mobilisée pour la diffusion avec quelques camarades sûrs.

Le 26 août, le sud du département est libéré. Aragon conçoit d’y étendre son réseau de distribution. Louis Aragon, Elsa Triolet, Jean Bonfils, l’homme de confiance connaissant bien les itinéraires, et Pierre Lenoir, comme chauffeur, remplissent le coffre de la voiture, bourrent les paquets de journaux entre les jambes et partent vers le Sud. Les routes ne sont pas encore toutes dégagées et, pour éviter, les Allemands en retraite, il faut bifurquer par Combovin et le sud-ouest du Vercors. Puis, c’est Bourdeaux, Dieulefit, Nyons, Valréas, Montélimar libérées.

Le contenu de La Drôme en armes

Chaque numéro comporte, en Une, un éditorial en italiques qui traduit les impératifs résistants et déjà politiques (union, etc.) de l’heure au moment où le journal sort des presses. Aragon a dit que c’était Elsa qui écrivait ces éditoriaux. Cet éditorial est entouré de nouvelles générales de la guerre dans le monde et d’une chronique des combats et exactions nazies dans la région. Peu à peu, les notules ironiques sur l’occupant et les collabos viennent agrémenter la lecture.

Les articles sont souvent séparés par des slogans, des consignes, voire des conseils destinés aux combattants patriotes ou dirigés vers les paysans (la Drôme en majorité et la région de Saint-Donat en particulier sont des régions rurales) pour qu’ils ne répondent pas aux réquisitions et vers les gens en général qu’on incite à rester discrets (de nombreuses exactions allemandes ou miliciennes ont été déclenchées suite à des indiscrétions), ce sera leur façon de participer. Dans le n° 3 (26 août), nous sommes à la veille de la libération – une partie du territoire drômois est libérée – mais ce n’est pas encore la victoire finale et il faut aussi penser aux absents, les prisonniers et les déportés. Lorsque le n° 4 (5 septembre 1944) paraît, la Drôme est libérée, il faut aussi débarrasser le pays de ceux qui ont trahi et penser les jours à venir où la bataille va se dérouler sur un autre terrain, la remise en place des institutions dans laquelle il ne faudra pas oublier ceux qui ont participé aux combats.

La Drôme en armes donne une orientation globale dans ses éditoriaux et ses articles de fond sur la politique nationale et internationale, sans négliger les informations départementales. Yves Farge, commissaire de la République de la région, a dit que c’était le meilleur journal de la Résistance. C’est un contrepoids important à l’entreprise de propagande vichyste et allemande.


Jean Sauvageon

Contexte historique

Communiquer pour rÉsister  C’est le thème du Concours National de la Résistance et de la Déportation en 2013 : « Communiquer pour résister »

La Résistance a pris des formes très diverses

Celle qui est la mieux connue est certes la Résistance armée. Mais comment aurait-elle pu lutter efficacement si d’autres formes d’opposition à l’occupant nazi et à ses valets de Vichy n’avaient pas appuyé les combats, les sabotages.

Il était nécessaire notamment de communiquer :

Communiquer entre compagnies, entre groupes de résistants.

Communiquer avec la hiérarchie, l’état-major.

Communiquer avec Londres ou Alger.

Informer la population par : * des papillons, tracts, graffitis… * des journaux, revues, livres… * les radios.

Les moyens de communication n’étaient pas ceux d’aujourd’hui :

Le téléphone n’était pas automatique mais manuel. Cela avait des avantages (complicité des opératrices), mais aussi des inconvénients (facilité d’écoute des conversations).

Pas d’internet.

La radio était utilisée mais les postes émetteurs étaient facilement repérables. Il fallait changer très souvent de lieux d’émission.

Les émissions de radios étrangères (Radio-Londres, Radio-Sottens (Suisse romande), Radio-Moscou) en direction de la population étaient journalières. Elles contrecarraient la radio officielle, notamment Radio-Paris.

Les messages annonçant des évènements importants, des parachutages étaient envoyés par Radio-Londres sous des formes codées. Les transports (trains, autobus) étaient surveillés.

Une autre forme de Résistance

Pour contrer la propagande vichyste et celle de l’occupant, la Résistance devait imaginer des formes de communication : papillons, tracts, inscriptions sur les murs, journaux clandestins, revues clandestines, édition de livres.

Ceux qui ont imaginé, conçu, rédigé, composé, imprimé, transporté, distribué les journaux clandestins, l’ont fait souvent dans des conditions périlleuses, dangereuses. Le plus grand secret est de rigueur. Il faut se méfier des voisins que le bruit des machines importune. C’est Aragon qui s’inquiète du bruit de sa machine à écrire qu’entendent ses voisins, mais ceux-ci ont compris que monsieur Andrieux, écrivait. Dans les imprimeries, entrent les autres clients, les fournisseurs qui ne doivent pas se rendre compte de ce qu’on est en train de préparer ou de tirer. Aussi les impressions se font-elles en dehors des heures habituelles de fonctionnement de l’imprimerie.

La propagande vichyste

La propagande vichyste, très présente, utilise des moyens directs ou détournés, notamment les journaux régionaux collaborationnistes, à grand tirage, comme Le Petit Dauphinois, édité à Grenoble. La radio est aussi un vecteur puissant, nombre de foyers se sont équipés, avant la guerre (10 millions de postes en 1939), de postes à lampes qui diffusent chaque jour, sur Radio-Paris, la pensée distillée par le Commissariat général à l’Information, constitué en septembre 1939.

Dès l’été 1940, sont instaurées à Vichy des conférences de presse au cours desquelles le chef du service de presse s’emploie à informer la quarantaine de journalistes convoqués pour prendre bonne note des orientations souhaitées par le gouvernement de Vichy. Le chef du service de la Presse est le subordonné du ministre de l’Information (Pierre Laval jusqu’en décembre 1940, Darlan jusqu’en avril 1942, puis à nouveau Laval). Tous les responsables d’un organe de presse reçoivent régulièrement des notes orientant l’information à diffuser, les fameuses « feuilles roses », provenant du ministère du Mensonge comme il est nommé dans le n° 1 de La Drôme en armes.

En zone sud, le gouvernement de Vichy met progressivement en place des services de censure. Aucune publication ne peut échapper à leurs services. Tout article doit être soumis au censeur. Si des parties de texte ont échappé à la vigilance du service, elles sont censurées, le journal paraît avec des encarts laissés en blanc.

Tracts, papillons, graffitis…

Il fallait répondre à cette propagande.

Un morceau de craie, un pot de peinture et un pinceau permettent d’inscrire des slogans sur les murs ou des « V » associés à la Croix de Lorraine ou, parfois, à la faucille et le marteau

D’autres formes simples sont d’abord employées. De petits papillons, écrits à la main ou à la machine, de tout petits formats sont distribués dans les usines, dans les boîtes aux lettres ou collés sur les poteaux, les murs.

Lorsque les groupes de résistance sont mieux organisés, on utilise des tracts imprimés le plus souvent ou « ronéotés » que l’on distribue clandestinement en plus grande quantité.

Les journaux locaux et leur comportement

Plusieurs journaux diffusés seulement dans quelques cantons de la petite région existaient avant la guerre. Ce sont surtout des publications d’annonces légales. Leur orientation est, en général, de droite, souvent catholique. Ils ont continué à être imprimés pendant la guerre, soit en adoptant les thèses vichystes, soit en voulant rester neutres, en s’adaptant aux exigences de la censure et en publiant, sous la pression, des textes de la propagande collaborationniste. Leur attitude modérée leur a permis de survivre, malgré la censure. Pour quelques-uns cette parution officielle est une couverture permettant des publications clandestines. Après la guerre des enquêtes sont ouvertes pour juger de leur attitude de l’armistice à la Libération.

Le commissaire du gouvernement, le 10 mai 1946, indique, à propos du Petit Valentinois : « ce journal n'a pas volontairement fait de la propagande pour les Allemands. Il s'est borné à insérer quelques articles imposés par Vichy et, au contraire, a adopté une attitude résistante, procurant des fausses cartes d'identité à de nombreux jeunes gens. »

À Nyons, le journal Le Pontias paraissait hebdomadairement avant 1939 et publiait surtout des annonces légales et des informations locales. N'ayant pas signé le contrat du gouvernement de Vichy, l'imprimerie n'a pas d'attribution de papier et la parution devient mensuelle. « De nombreuses fois, j'ai été dans l'obligation d'insérer des extraits des feuilles roses envoyées par Vichy et intitulées "Documents réservés à la presse". [...] à plusieurs reprises, j'ai été en butte avec le censeur de Valence qui trouvait que je n'étais pas assez docile », déclare l’imprimeur, le 9 mars 1946. Il a imprimé clandestinement des tracts pour la Résistance.

Le Bonhomme Jacquemart, journal hebdomadaire romanais, est dirigé par Albert Gerin. Un rapport portant le tampon du ministère de l'Information, certainement de 1945, indique : « Tendance modérée, catholique. Gouvernemental et conformiste, a toujours soutenu la politique de Vichy. […] En dépit d'articles d'inspiration correcte […] et le fait qu'il ne s'est pas associé de son propre mouvement aux campagnes antisémites et antimaçonniques, "Jacquemart" a apporté un appui, peut-être inconscient, mais réel, aux propagandes vichyssoise et allemande. » Pour sa défense, Albert Gerin déclare le 13 mars 1946 : « Pendant l'Occupation, comme tous les journaux, j'étais obligé de faire paraître des articles qui m'étaient inspirés par les fiches de documentation, il m'est arrivé de ne pas faire paraître de tels articles et, une fois, j'ai été suspendu pendant huit jours à titre de sanction. » Mais sous cette couverture de journal plutôt collaborationniste, l'imprimerie Gerin a participé à l'impression clandestine de documents favorables à la Résistance. Dans le "questionnaire sur les journaux ayant paru sous l'Occupation", Albert Gerin répond : « En 1943-44, nous avons imprimé des milliers de cartes d'identité et fourni des faux tampons. En 1944, nous avons imprimé La Drôme en armes, Les Étoiles, Franc-Tireur, des tracts et des romans de la série Bibliothèque française. » Plus loin, il est indiqué : « Au moment de la Libération, à laquelle il a participé les armes à la main, ainsi que ses deux fils aînés (17 et 18 ans), il imprimait le Franc-Tireur, La Drôme en armes ainsi que des tracts communistes ou autres. A créé lui-même la maquette du Patriote romanais et Péageois et a contribué activement à sa parution, en compagnie des membres du Front national local (Le Patriote R. & P. remplaçant Le Bonhomme Jacquemart). En est l'imprimeur dévoué. A aidé puissamment à relancer l'organe départemental du Parti communiste, La Voix Populaire qu'il imprime toujours. »

Le papier est strictement contingenté. L’existence d’un journal ayant reçu l’autorisation officielle permet de toucher un contingent de papier. On peut soupçonner les imprimeurs de tricher sur le nombre d’exemplaires afin de pouvoir se procurer du papier en supplément, alimentant ainsi les parutions clandestines. Le papier peut aussi être acheté au marché noir, ce qui augmente considérablement les frais. Les Résistants peuvent s’en procurer aussi lors de coups de main.

Il est parfois difficile de dénouer chez les imprimeurs-éditeurs la part de collaborationnisme, d'opportunisme, de souci de perdurer, de nécessité de percevoir le papier contingenté, mais aussi la recherche d’une couverture officielle qui permet d'imprimer des tracts, des journaux, des documents clandestins.

Les journaux clandestins

Face à la situation de propagande gouvernementale permanente, les tracts, les journaux clandestins ont joué un rôle essentiel de mobilisation et de recrutement. Limités souvent à un recto verso, ils ont contré la propagande vichyste et fasciste.

Mais se livrer à ces activités comporte beaucoup de risques. Le 18 décembre 1942, une ordonnance concernant la sauvegarde de l’autorité occupante prescrit que « quiconque aura confectionné ou distribué des tracts sans y être autorisé, sera puni de la peine de travaux forcés ou de celle de l’emprisonnement et, dans les cas particulièrement graves, de la peine de mort ». À partir de 1942, l’augmentation du tirage des journaux, la création de faux papiers en grand nombre nécessitent une professionnalisation : beaucoup d’imprimeurs deviennent résistants et des résistants apprennent le métier d’imprimeur et d’éditeur.

Les journaux clandestins sont une de ces formes de Résistance. Les titres de journaux dépendant de mouvements nationaux sont nombreux : Combat, Libération, Franc-Tireur, Le Père Duchesne, La Marseillaise, L’Humanité, Le Populaire, La Voix Populaire, La Vie Ouvrière, Défense de la France, Les Lettres Françaises, Les Étoiles, Les cahiers de Témoignage Chrétien, etc. Il n’y a pas de papier, pas d’argent, pas de locaux. Dans les imprimeries, il faut travailler la nuit avec des prodiges d’ingéniosité. Les imprimeurs, les typographes sont les plus menacés. Il faut aussi, après, assurer la diffusion de ces feuilles clandestines.

Dans le département de la Drôme, trois journaux nationaux clandestins sont imprimés, L’Humanité, Libération jusqu’à l’arrestation des imprimeurs et, plus tard, Le Franc-Tireur.

Le soir du 1er septembre 1943, les gendarmes découvrent, à Tain, une imprimerie clandestine. Les gendarmes effectuent trois arrestations. Le quatrième résistant se défend et abat un gendarme. Il est grièvement blessé avant d'être arrêté à son tour. L'imprimerie dirigée par André Aversenq imprimait L'Humanité clandestine, les Cahiers du Communisme et des tracts pour la zone sud. Dès les jours suivants, un tract est diffusé sous le titre "Sauvez-les !". André Aversenq, blessé, est transporté à Grenoble où il est condamné à 20 ans de travaux forcés. Déporté à Mauthausen, il y mourra en 1945.

Pendant toute l'année 1943, le journal clandestin Libération est imprimé à Montélimar, chez Eugène Groullier, 39 ans. Dénoncé par le traître Meubruger qui a pu réussir à travailler à l’imprimerie, toute la famille et le personnel sont arrêtés par la Gestapo, le 11 décembre 1943. Ils sont emmenés à la prison Montluc à Lyon. En janvier 1944, Eugène Groullier est déporté à Buchenwald où il survivra. Son épouse et une employée, Mme Lafargue, sont mortes à Ravensbrück. Deux autres membres de l’équipe, Yvon Borel et Louis Ravix, ont également fini leurs jours en déportation.

Le journal Le Franc-Tireur, créé à Lyon en 1941, est l’organe du mouvement Franc-Tireur. Trente-sept numéros ont été imprimés, à Lyon surtout, et les derniers à l’imprimerie d’Albert Gerin à Romans-sur-Isère.

La Drôme en armes n’est pas le seul journal résistant du département de la Drôme. Le Comité Départemental de Libération crée Le Résistant de la Drôme dont le premier numéro est daté du 14 juillet 1944. Le Vercors est l’organe du Mouvement de Libération Nationale créé en juin 1944. À la veille de la Libération et dans les jours qui suivent d’autres journaux apparaissent comme Le Patriote romanais, imprimé aussi chez Gerin. Les presses de la SRI (Société Romanaise d’Imprimerie) n’ont pas chômé en cette fin d’août 1944 puisque Le Franc-Tireur n° 37 est daté du 25 août, le n° 3 de La Drôme en armes du 26 août, Le Patriote romanais du 2 septembre et le n° 4 de La Drôme en armes du 5 septembre auxquels s’ajoutent quelques tracts.

Les journaux clandestins sont un contrepoids important à l’entreprise de propagande de la presse et de la radio collaborationnistes. De plus, ces feuilles locales peuvent apporter des informations sur la région, au plus près des lecteurs. Elles ont contribué, surtout après le 6 juin 1944, à sensibiliser la population qui, de plus en plus, percevait l’espoir d’une libération prochaine, à la mobiliser.

Tous les journaux de la Résistance glorifiaient l’action des Résistants, tous amplifiaient les pertes ennemies et minimisaient celles des patriotes. Il fallait créer un esprit optimiste pour accélérer le moment où l’occupant et ses valets de Vichy débarrasseraient notre sol, tout en montrant les difficultés pour atteindre cet objectif.

Les revues clandestines

Les écrivains ont eu des attitudes différentes pendant la guerre.

Certains ont collaboré : Lucien Rebatet, René Gilloin, Céline, Drieux la Rochelle…

Parmi les autres, certains se sont contentés de se mettre à l'abri dans des villages reculés. D'autres ont pris les armes comme René Char, dans les maquis du Vaucluse, ou Jean Prévost, capitaine Goderville, dans les maquis du Vercors, chef d'une compagnie, tué près de Grenoble, à Sassenage, le 1er août 1944.

Mais nombreux sont ceux qui ont contribué, avec leur arme, l'écriture, à la lutte contre l'occupant et le gouvernement de Vichy. La publication des poèmes, des nouvelles, des romans était très surveillée. Les revues qui les publiaient étaient clandestines. Citons :

- Poésie 40, Poésie 41, 42, 43… dirigée par Pierre Seghers, à Villeneuve-les-Avignon,

- Confluence, à Lyon, créée par René Tavernier (père de Bernard Tavenier, le cinéaste).

- Fontaine, à Alger, créée par Max-Pol Fouchet. 

- Les cahiers du Rhône, créée à Genève par A. Béghin. C'est par l'intermédiaire d'André Lachenal, consul de Suisse à Vichy, que transitaient, dans un sens, les manuscrits des auteurs, et, dans l'autre sens, les revues imprimées qui passait ainsi, sans encombres, la frontière. Les revues étaient ensuite distribuées "sous le manteau".

Les livres

La publication des livres subissait les mêmes contraintes. La liste des auteurs interdits et celle des ouvrages autorisés avaient été dressées, en accord avec la puissance occupante (liste Otto, du nom de l'ambassadeur allemand Otto Abetz). Dans cette liste figuraient 140 éditeurs. Parmi les auteurs, on trouvait Duhamel, Aragon, Kessel, Maurois, Claudel, Malraux…, ainsi que les œuvres des écrivains allemands réfugiés en France. La liste comprenait 1 060 titres.

Le Parti communiste crée l'édition de la Bibliothèque française dont quelques livres ont été imprimés à Romans, chez Gerin.

C'est aussi clandestinement que sont créées, en 1943, Les éditions de minuit. Le premier livre édité est Le silence de la mer, de Jean Bruller qui a dû, à ce moment-là choisir un pseudonyme, Depuis tous ses livres étaient signés Vercors. En effet, les écrivains ne pouvaient publier leurs œuvres sous leur nom, Il leur fallait le faire sous un nom d'emprunt, un pseudonyme, Par exemple Aragon en a utilisé plusieurs, François la Colère, Blaise d'Ambérieux, Georges Meyzargues, Jacques Desting, Arnaud de Saint-Roman, et quelques autres. Ces publications ont contribué largement à informer la population, même si les conditions de diffusion en limitaient la portée. Les revues, les livres, les poèmes, une fois lus, étaient communiqués aux amis. Autre moyen de diffusion, plus aléatoire, c'est le largage de poèmes ou autres textes, par les avions alliés.

Ainsi la résistance intellectuelle a pu participer, avec ses armes propres, à la lutte pour la libération du territoire.

Le 31 octobre 1943, prononçant un discours à Alger, le général de Gaulle, rend hommage aux écrivains français de la Résistance et à ses poètes : Un jour l’historien «constatera que la Résistance, c’est-à-dire l’espérance nationale, s’est accrochée sur la pente à deux pôles qui ne cédèrent point. L’une était le tronçon d’épée, l’autre la pensée française. […] la dignité de l’esprit fut sauvegardée malgré toutes les épreuves. Elle le fut d’abord par les plus grands. […] Comment n’être pas saisi par la valeur passionnée des revues clandestines… ? […]  Comment ne pas sentir la déchirante qualité de ces poèmes qu’aujourd’hui toute la France récite en secret ? Ainsi les vers d’Aragon :

Le visage sacré, s’il doit renaître un jour

Ma patrie est la faim, la misère et l’amour. »


Jean Sauvageon