Des antifascistes allemands dans la Résistance

Légende :

C’est dans la ferme du Lauzas, à Vesc que séjournèrent des antifascistes allemands, les « Bauer »

Genre : Image

Producteur : Jean Sauvageon

Source :

Détails techniques :

Photo numérique

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vesc

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Cette ferme isolée dans la montagne a hébergé Ella Schwartz-Rumpf et Hermann Nuding, alias Bauer, de février 1942 au début septembre 1944, et Louis Aragon et Elsa Triolet, de fin novembre au 31 décembre 1942.

C’est Elsa Triolet qui dit, dans « Préface à la clandestinité » : « La planque se trouvait au-dessus de Dieulefit, dans la montagne, on ne pouvait l’atteindre qu’à pied. Nous l’appelâmes, conspirativement, le ciel : une maison-ruine, seule au carrefour de trois communes, si bien qu’on ne savait au juste à laquelle des trois elle appartenait. C’était comme si elle n’existait pas.

Coupés du monde, enfouis dans la neige de l’hiver 1942, introuvables, toute liaison pratiquement impossible… Ça ne pouvait durer, il fallait au plus vite descendre de cet étrange ciel vide et retrouver la terre occupée, où nous pouvions exister sous notre identité. Je pris le chemin de Lyon pour nous procurer des faux papiers.

Le temps nécessaire à les fabriquer, et je rentrai dans la solitude blanche, après un difficile voyage à pied, en cars, trains, avec nuits d’hôtels et de gares. Tu m’attendais au pied du ciel. Une longue, longue montée dans la nuit de Noël et, au bout, cette maison perdue, gardée par trois immenses peupliers, où tu as fait flamber dans l’âtre des genévriers à trente-six mille étoiles ».

Cette description montre bien l’isolement de ce refuge. La ferme est située sur le territoire de la commune de Vesc, mais tout près des limites des communes de Comps et Dieulefit. Si Louis Aragon et Elsa Triolet n’y sont restés que quelques semaines, Ella Schwartz-Rumpf et Hermann Nuding, dont les pseudonymes étaient monsieur et madame Bauer, y ont vécu la plus grande partie de la guerre. Les conditions de vie y étaient très précaires. Il semble aussi que les rapports entre les deux couples aient été assez difficiles, voire conflictuels, certainement exacerbés par les mauvaises conditions de vie. D’autre part, les missions de Louis Aragon et Elsa Triolet dans la Résistance demandaient des liaisons, des contacts ce qui n’était guère possible à partir de la ferme du Lauzas.


Jean Sauvageon Sources : « Préface à la clandestinité », volume n° 6 des Œuvres romanesques croisées. Éditions Robert Laffont. juin 1964. DVD, Louis Aragon et Elsa Triolet en Résistance, Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet (SALAET), novembre 2004.

Contexte historique

C’est dans la ferme du Lauzas que deux antifascistes allemands ont vécu de février 1942 à septembre 1944 et participé à la Résistance, sous le pseudonyme de Bauer.

« Les "Bauer", qui parlent un français à fort "accent étranger", ont été reçus, cachés, protégés, servis ensuite par la population rurale de la montagne moyenne avec un loyalisme sans faille, en dépit du danger. Plusieurs de leurs compagnons de vie ou de lutte ont fini par savoir qu’ils n’étaient pas alsaciens, mais allemands. Cela n’a pas altéré la confiance de la population ni la solidarité des combattants de la Résistance engagés à leur côté, voire sous leur commandement. »*

Qui sont ces Allemands qui ont participé activement à la Résistance française ?

Ella Winzer (1907-2002) est originaire de Berlin. Elle devient couturière, puis acquiert une formation de secrétaire et sténographe. Elle adhère au KPD en 1923 dans lequel elle milite activement. En 1926, elle épouse Rudolph Schwartz. Elle travaille au Comité central du parti même après l’arrivée des nazis au pouvoir. La Gestapo assassine son mari en 1934, il avait 30 ans. « Recherchée, elle se cache à Prague, puis à Moscou. Au service du Komintern, elle voyage beaucoup en Europe du Nord, et reçoit mission d’organiser les relations entre l’Internationale et le KPD, sous les ordres de Hermann Nuding. Elle est formée pour le combat des partisans : chiffrage et établissement de faux documents, morse, lecture des cartes et utilisation des armes »*

Hermann Nuding (1902-1966) est né dans le Wurtemberg, dans une famille d’ouvriers. Sa mère meurt alors qu’il n’avait pas encore un an. Il travaille comme ouvrier agricole dès l’âge de 11 ans, puis entre en usine en 1918. En 1920, il adhère au KPD. Recherché par la police, il passe une année aux Etats-Unis. À son retour, il devient un dirigeant de la Jeunesse communiste et, en 1927-1928, suit l’École des Cadres Internationaux à Moscou. Il est arrêté le lendemain de l’incendie du Reichstag (nuit du 27 au 28 février 1933) et enfermé jusqu’au 6 juillet 1934. Il est déchu de la nationalité allemande. Il assume des responsabilités à Prague, Moscou. On lui adjoint Ella Scwartz-Rumpf. Ils viennent à Paris, fin 1936. En 1938, suite aux purges de Moscou, il est accusé de "fractionnisme », on lui retire toutes ses responsabilités. Il se cache dans le Midi de la France, puis à Lyon où « Ella le retrouve en septembre 1939, elle aussi en délicatesse avec le KPD et le Komintern ».*

Arrêtés tous les deux, Nuding est placé en internement administratif au camp de Chambaran (Isère) où il contracte une tuberculose. Il est envoyé au sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet jusqu’en août 1940. Ella a été envoyée au camp de Gurs. Gravement malade, elle est hospitalisée à Lyon.

Ella et Hermann se retrouvent à Lyon en 1941. Fichés par la police, ils demandent la protection du Père Chaillet. L’abbé Glasberg les "marie" et leur donne de faux-papiers au nom de Jean et Joséphine Bauer. Ils sont mis à l’abri à Dieulefit où ils sont reçus par Marguerite Soubeyran. Elle accueille et protège les deux communistes allemands et les installe à la ferme du Lauzas. Cette installation est facilitée par les contacts de Marguerite Soubeyran avec les membres du Parti communiste local auquel elle adhèrera en janvier 1946.

« Les habitants du pays nous ont prêté des casseroles, une machine à coudre, des draps, des couvertures et du linge. Pour une somme modique, ils nous procurèrent également un appareil radio. Cela était très important pour nous. Les informations que nous pouvions capter étaient très utiles pour nos rencontres et pour réaliser les tracts que Hermann faisait ensuite diffuser par les agents de liaison. Plus tard, l’appareil allait nous servir à capter les messages de Londres annonçant les parachutages », écrit Ella.

Ella, ancienne couturière, allait dans les fermes avec sa machine à coudre et Hermann aidait aux travaux agricoles. Ils sont ainsi bien intégrés dans cette population rurale.

« Au printemps 1943, les communistes de Dieulefit demandent aux deux clandestins allemands de mettre en place une zone sécurisée de parachutage en montagne sur un plateau discret, et de gérer les messages de la radio anglaise. Les premiers parachutages, au printemps 1943, sont destinés à soutenir les maquis de réfractaires (chaussures, sucre, farine, vêtements chauds, cigarettes, graisse). Parallèlement, Nuding entame un vrai travail de formation politique, à la fois pour accueillir davantage de réfractaires et transformer les maquis en lieux de résistance : "L’année 1943 fut l’année durant laquelle nous logions des personnes dans les fermes, nous mettions le maquis en place, prenions contact avec les gaullistes, faisions un travail de publication pour le parti […] Nous informions les paysans et nous nous servions de leur connaissance des gens et du pays, nous organisions la collecte des vivres, nous recueillions des informations et diffusions des messages […]" »*.

Le 9 août 1944, Marguerite Soubeyran, vice-présidente du Comité de Libération de Dieulefit délivre un certificat en faveur des époux Bauer pour leur rôle actif où elle indique : « … camouflage d’armes, parachutage, formation de milices patriotiques, tracts et articles de journaux ». Ce document se trouve au Bundesarchiv de Berlin.

Aussitôt après la Libération, Nuding et Ella rejoignent Paris. « Malgré des routes divergentes et des accidents de parcours, ni Ella Rumpf ni Nuding n’oublièrent leur maquis de la Drôme. Jusqu’à leur mort respective, ils restèrent en contact avec plusieurs familles de Vesc, Dieulefit, Comps et alentours. »*

Cet exemple montre comment quelques antifascistes allemands ont pu s’intégrer pleinement dans la Résistance française. « Les uns et les autres avaient surmonté les barrières de la langue, de la nationalité, de l’appartenance sociale, le poids de l’histoire franco-allemande, pour lutter contre l’ennemi commun et se conduire en fraternels "antifaschisten". »*

* Extraits du chapitre « Des dirigeants communistes allemands dans la Résistance de la montagne dieulefitoise », de Bernard Delpal, dans l’ouvrage VERCORS DES MILLE CHEMINS. Figures de l’étranger en temps de guerre.


Jean Sauvageon Sources : « Des dirigeants communistes allemands dans la Résistance de la montagne dieulefitoise », de Bernard Delpal, dans l’ouvrage VERCORS DES MILLE CHEMINS. Figures de l’étranger en temps de guerre.