Boeuf Jean-Marie

Légende :

Jean-Marie Bœuf, engagé à 18 ans dans l’Armée de l’État français, séjourne chez ses grands-parents à La Bégude-de-Mazenc, au cours d’une permission en 1941 ou 1942

Genre : Image

Producteur : M. Chalons

Source :

Détails techniques :

Photographie, noir et blanc ; 8,7 X 6,1 cm

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Bien qu’en permission, Jean-Marie Bœuf a revêtu l’uniforme complet, des bottes au calot en passant par la ceinture : sans doute a-t-il soigné sa tenue de militaire, non sans une certaine fierté. Né le 7 février 1923, il a 19 ans, à l’occasion de ce cliché.

Il est photographié dans le jardin potager de ses grands-parents, une partie de leur maison se profilant en arrière plan, à La Bégude-de-Mazenc, Quartier de La Roustagne, en 1942. La scène se déroule vraisemblablement au cours de l’hiver, si l’on en juge l’état des arbres – sans feuillage – et du jardin – laissé provisoirement à l’abandon durant dans la saison froide.

Ce pays, il le connaît bien : en effet, pendant sa petite enfance, il était de santé délicate et a dû quitter ses parents et demeurer dans la Drôme, chez ses grands-parents, M. et Mme Chalons, jusqu’à 7 ou 8 ans. Il n’intègre l’école primaire qu’à ce moment-là, dans la région parisienne.

En effet, ses parents, son frère, sa famille, au sein de laquelle il se retrouve alors en pleine santé, dans les années trente, est installée à Clamart. Elle est engagée dans l’action militante aux côtés du Parti communiste.

Avec 1939, la drôle de guerre, l’interdiction du Parti communiste, l’effondrement français et l’invasion allemande, … la famille se sent menacée : le frère aîné est arrêté ; il parvient, plus tard, à s’échapper. Après l’Armistice de 1940, le père appelle son dernier fils à fuir Clamart pour trouver refuge en zone non occupée. Ainsi, Jean-Marie et un copain passent le contrôle à la ligne de démarcation avec un paysan, dans sa charrette, sous des fagots. Les Allemands donnent quelques coups de baïonnettes dans le chargement afin de vérifier que personne ne soit caché, sans les atteindre. Le jeune homme n’oubliera pas cette traversée de Loches, sur l’Indre, l’un des passages obligés entre les deux zones. Le paysan les dépose donc ensuite dans la zone non occupée du sud-est de la France, dirigée par le gouvernement de Vichy et le Maréchal Pétain.

Bien sûr, la présence des grands-parents dans la Drôme n’est pas étrangère au choix de la famille Bœuf. Mais cela ne peut suffire à assurer le lendemain, à un moment où l’avenir semble se dessiner à l’avantage des vainqueurs.

C’est dans ces conditions que, peu après, en 1941-1942, Jean-Marie Bœuf, dans l’année de ses 18 ans, précisément le 15 janvier 1942, décide de s’engager dans « l’armée de l’armistice » commandée par Pétain ; cette armée ne compte que 100 000 hommes et ne peut intervenir que dans les limites imposées par le vainqueur. La photo exposée date de cette période.

Bien entendu, d’autres éléments sont nécessaires pour comprendre ce qui a conduit le jeune homme à la Résistance dans les rangs d’une unité FFI, plus tard sous le commandement du général états-unien Patton, et à combattre pour la libération de Paris, de Metz, … jusqu’à la fin de la guerre.


Claude Seyve, Michel Seyve

Sources : Jean-Marie Bœuf, témoignage et documents, 20 et 24.2.13 ; 6 et 8.3.2013

Contexte historique

Jean-Marie Bœuf était encore dans ses 18 ans lorsque, désormais coupé du port d’attache familial de Clamart, il se trouve livré à lui-même en zone sud.

En obtenant l’ « autorisation d’engagement … au 72° R.A.», à Châteauroux, le 13 janvier 1942, il s’assure une situation légale ; il est également autonome et n’a pas à solliciter l’aide de ses grands-parents. Il sert donc à partir de cette date, dans le 72ème Régiment d’Artillerie, étant enregistré à Issoudun et cantonné avec son unité à Dun-sur Auron. C’est en tant que permissionnaire de cette unité qu’il rend visite, sans doute à la fin de l’hiver 1941-1942, à sa famille au Quartier de La Roustagne à La Bégude-de-Mazenc.

Mais, le 11 novembre 1942, les Allemands envahissent la zone non occupée : « tout le monde se barre », dit Jean-Marie ; l’armée d’Armistice est en fait dissoute. « Du 27 novembre 1942 au 28 février 1943, il est homme de troupe du 72ème Régiment d’Artillerie 4ème batterie, en permission renouvelable », précise un document militaire. Le Centre de Démobilisation du canton de Dun-sur-Auron lui décerne le lendemain, le 28, un acte dans lequel on indique sa « Profession (exercée avant les hostilités) : boucher », profession qu’il a effectivement exercée pendant 3 ans ½ avant son départ en zone non occupée.

Il regagne Clamart et se fait embaucher à proximité, dans une usine métallurgique d’Issy-les-Moulineaux. En contact avec la Résistance, son engagement au sein des FFI est officiellement reconnu, du 19 août au 7 septembre 1944, à la 25ème Subdivision Ouest 3ème Compagnie Secteur Sud. Il participe alors, dans le canton de Vanves, à des actions destinées à perturber le trafic ferroviaire des Allemands ou leur approvisionnement électrique et, bientôt, à la libération de la Forêt de Clamart puis de la ville elle-même – du 19 au 24 août, étant promu caporal dès le 19 août.

Jean-Marie Bœuf rapporte cette anecdote : « le jour de la libération de Clamart, ma mère rencontre une connaissance qui s’exclame : “Tu sais qui est-ce que je viens de voir sur un char américain ?... Ton fils, Jean-Marie ! ” »

Il faut rappeler ici, qu’à la suite du débarquement anglo-américain, le 6 juin 1944 sur les côtes normandes, Paris est libérée le 24 août conjointement par les Français de l’intérieur (FFI) et les Français de l’extérieur (la Division Leclerc débarquée d’Angleterre au début du mois). L’aventure dont on vient de faire le récit, évoquant la présence de chars états-uniens au sud de Paris, s’explique très bien lorsque l’on sait que la 2ème DB de Leclerc avait été équipée de pieds en cap par les États-Unis dès sa formation en Afrique l’année précédente.

D’un autre côté, l’aide apportée par les FFI, qui connaissent parfaitement le terrain, à l’armée régulière a souvent surpris celle-ci : ainsi, Jean-Marie Bœuf, évoquant l’attaque de l’aérodrome de Villacoublay et sa libération, mentionne la capture par sa compagnie de 37 soldats allemands. « Mais naturellement, dit-il, comment assurer la surveillance, la sécurité, l’approvisionnement, le couchage permanent de 37 prisonniers ?… » D’évidence la collaboration, dans ce cas précis, mais dans beaucoup d’autres également, avec les Alliés, s’imposait, pour eux, comme pour la Compagnie FFI ! « Les 37 hommes ont été remis finalement aux Américains », dit-il.

« Un exemple d’entraide encore, ajoute Jean-Marie : plus loin, dans notre progression à l’est vers la libération complète de la France, à Thionville, notre bataillon assure la protection de l’unité de Génie US occupée à la construction d’un pont flottant nécessaire au passage de l’Armée elle-même. »

Reprenons le fil chronologique des événements. Après la libération de Clamart, vient celle de Paris, de ses gares… Jean-Marie fait mouvement avec son unité FFI. Cependant, la guerre est loin d’être terminée ; des restructurations s’imposent afin de poursuivre la lutte. C’est ainsi que le 7 septembre 1944, dans la capitale, il est incorporé comme caporal dans l’Armée française, au 8ème Bataillon de Chasseurs Portés (BCP) 3ème Compagnie. Il participe sur le champ dans les rangs du 8ème BCP, unité combattante – parmi les Bataillons d’honneur de la Ville de Paris – à de nombreux défilés et réceptions, dans une liesse difficile à imaginer de nos jours.

La bataille se poursuivant à l’Est, le 8ème BCP marche sur la Moselle, de même que l’armée du général Patton (USA). Plus de deux mois de bataille sont nécessaires – comme en 1918 – pour libérer Metz, le 22 novembre. Des poches de résistance allemandes, après cette date, subsistent encore à l’extérieur et demeurent à vaincre. La ville tient à honorer ses libérateurs au point d’inscrire sur le livre d’or de la mairie, le nom de quelques-uns d’entre eux ; Jean-Marie est de ceux-là (voir l’album). « Cette médaille, remarque l’ancien combattant de la Résistance, équivaut en valeur à celle de Verdun en 1914-1918. »

« Les hasards de l’avance des troupes alliées ont trouvé le résistant Jean-Marie Bœuf sous l’aile du général Patton, avec qui il terminera la guerre » (Dauphiné Libéré, 14.02.2013), le 8ème BCP conservant une autonomie relative dans l’armée états-unienne.

Remarquons que le tableau faisant état de l’octroi de la médaille de Libérateur à Jean-Marie par la Mairie de Metz, porte en exergue le drapeau des États-Unis d’Amérique enveloppant discrètement le drapeau tricolore de la France et quelques éléments symboliques de l’architecture messine : ce geste signe la volonté d’exprimer la reconnaissance locale à l’égard des alliés américains et du rôle essentiel qu’ils ont joué pour leur pays à la fin 1944.

La Moselle, Trèves… Jean-Marie Bœuf termine la guerre le 8 mai 1945 à Cologne ; il est alors caporal-chef. Libéré de ses engagements militaires quatre mois plus tard, il arrive en Gare de Lyon à Paris le 11 septembre 1945. Il est définitivement démobilisé le 10 octobre 1945 et va être civil dans la Défense nationale.

Le fait d’avoir été ancien combattant lui permet d’entrer au SEA (Service des Essences des Armées) à Reuilly, y travaillant à la caserne en tant que civil. Ayant eu une formation de chaudronnier, il en démissionne pour entrer aux Arsenaux à Versailles où il demeure 10 ou 12 ans, puis à l’ACTM, une entreprise métallurgique de Montélimar, pour terminer, dans le nucléaire, toujours dans le Sud, à EURODIF, puis à Cruas. Il habite d’abord à Montélimar (Cité Montlouis) puis à La Bâtie-Rolland (Village).

Sa vie professionnelle et citoyenne a été constamment marquée par son engagement syndical et politique ; il demeure un passionné de rugby (voir l’article de presse en album).

Il est retraité depuis le 2 novembre 1984 et poursuit une vie active en famille et dans la vie associative.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve

Sources : Témoignage et entretiens, Jean-Marie.Bœuf, 20 et 24.2.2013 ; 6.3 et 8.3.2013