Parachutage et littérature

Légende :

Le terrain de parachutage Framboise se situe à quelques kilomètres de Beauvallon, un des quartiers de Dieulefit.

Genre : Image

Type : Vue aérienne de Comps (Drôme)

Producteur : Alain Coustaury

Source :

Détails techniques :

Photographie argentique couleur ; vue aérienne oblique, altitude de prise de vue : 1 600 m

Date document : 2013

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Comps

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Analyse média

Le terrain d'atterrissage et de parachutage Framboise profite d'un secteur relativement plat au nord de la commune. Mais son approche est assez délicate du fait de la présence des sommets de la montagnes des Ventes et de Saint-Maurice qui culminent à plus de 900 mères d'altitude alors que le terrain de parachutage est à moins de 700 mètres. Il faut y ajouter que la zone est balayée par le vent du sud et surtout par le mistral, vents créant des turbulences dangereuses tant pour les avions que pour les parachutistes. De nombreuses haies ou murets augmentent encore les risques à l'atterrissage. Plusieurs accidents graves émailleront l'atterrissage de parachutistes.

Ce sont les parachutages sur ce terrain que décrit Emmanuel Mounier qui était réfugié à la pension Dourson à Beauvallon, un des quartiers de Dieulefit.

La photographie signale aussi la ferme de Lauzas qui abrita quelque temps Louis Aragon, Elsa Triolet et, surtout, Hermann Nuding, Ella Schwartz-Winzer, deux anti-nazis allemands, pendant toute la guerre


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Nous possédons de nombreux témoignages de parachutages. Celui d’un grand écrivain, philosophe apporte une vision particulière sur un des épisodes les plus célèbres de la Résistance.

Emmanuel Mounier, à Dieulefit, évoque à plusieurs reprises les parachutages. Il remarque particulièrement ceux où sont parachutés des soldats alliés.

Le 2O juillet (1944):

«Ce matin, jour de marché, quelques officiers ont été vus dans les rues, des officiers canadiens parachutés la nuit dernière, dit-on» On peut observer que l’origine canadienne des soldats alliés est souvent citée. Le 21, à Vassieux-en-Vercors, au sol, on pense que les planeurs amènent des Canadiens. Quelques lignes plus loin, Emmanuel Mounier reconnaît son ignorance de l’origine des hommes parachutés. Il les décrit comme faisant partie d’un Kommando, terme allemand alors qu’il faut écrire OG (groupe opérationnel). L’imprégnation linguistique allemande est réelle !

C’est l’époque de nombreux parachutages.

«Les deux nuits précédentes ont bourdonné de parachutages, en effet, exceptionnellement abondants. Entre un champ de blé et un champ de luzerne, on voit des jeunes gars employés à enfourner un tas de parachutes ou une pyramide de mitraillettes, pour vingt quatre heures, dans quelque grangeon (terme local d’un petit bâtiment de quelques mètres carrés) abandonné d’où ils seront emmenés plus loin. A l’heure du repas, le travail fini, la pile est recouverte d’une bâche ou de deux, trois gerbes de blé fraîchement coupé, et attend au bord d’un chemin, plus ou moins gardée, que l’équipe revienne. Les avions allemands ne sont pas curieux ! » Comme il le fait souvent, de façon un peu ironique, Emmanuel Mounier décrit un parachutage et la légèreté ou l’inconscience des maquisards devant les risques encourus. Quant à la curiosité des Allemands, elle est, en réalité, très aiguisée. Mais, en juillet 1944, ils manquent de moyens de reconnaissance aérienne et ils sont peu présents dans la région de Dieulefit.

Le 4 août :

En poète, il relate l’ambiance d’un parachutage.

«Nuits de clair de lune bourdonnantes d’avions parachuteurs. Le ronronnement s’annonce de loin, déjà plein, soutenu, amical. Il a creusé une brusque angoisse chez le dormeur de la ville, il déchire en tous sens le calme de ces corps immobiles et de ces esprits inoccupés ; chez nous où il n’apporte au contraire qu’aide et protection, il soulève doucement le sommeil comme une main accoutumée, il répand sur ce réveil sans secousse une nappe de confiance et d’espoir. Nous étions tard sur les chemins hier quand la première vague est venue. La campagne, sous la lune, était blanche de lumière. A mesure que la note invariable, étonnamment régulière des moteurs grossissait, les yeux cherchaient en vain à repérer une présence opaque dans le ciel. Le bruit s’est rapproché, est devenu puissant, s’est dispersé, sillonnant le ciel en tous sens. Toujours rien n’était visible, ni avions, ni parachutages. Demain, il y aura un certain nombre de soldats et de caisses d’armes en plus dans le pays. Tout cela se sera formé magiquement de l’immuable clarté lunaire fécondée par le bombardement de grands oiseaux invisibles.»

Cette description, cette perception d’un parachutage est le fait d’un écrivain de haute volée. Beaucoup de récipiendaires des parachutages avaient une approche très différente, vivaient avec d’autres craintes et d’autres espoirs beaucoup plus terre à terre quand ils attendaient l’arrivée des hommes et des armes. Cela n’enlève rien à la description littéraire d’une opération militaire.

Le 8 août:

« Chaque nuit, pendant une ou deux heures, les avions parachuteurs bourdonnent sur nous, lâchant dizaine par dizaine, outre les armes et les munitions, les troupes d’élite des corps francs. On les voit apparaître un jour ou deux après, fugitifs comme des dieux, nés de la nuit, sitôt partis vers leurs postes de combat, aux limites des vallées et du bas pays.»

Emmanuel Mounier conte de façon épique ces moments forts. Mais il exagère le nombre des hommes parachutés. Les parachutages se faisant de nuit, l’obscurité est source d’erreurs et favorable à l’exagération. Sans l’exprimer de façon littéraire, une bonne partie de la population ressent la même exaltation. Elle est renforcée quand on voit des signes spectaculaires. L’expression «corps francs» est mal venue. Il faut écrire groupe opérationnel, OG. Parmi les parachutés, Michel Poniatowski atterrit le 30 juillet 1944 avec un groupe parti d'Algérie.

« Nos enfants auront peine à imaginer l’allure d’un gros bourg comme Dieulefit, en août 1944, à quinze kilomètres des routes que sillonne l’armée allemande. Uniformes militaires et colonnes armées dans les rues (même sur la Grand-Place, deux soldats américains avec en brassard une bannière étoilée de deux mains de large avaient amassé un large attroupement. A un moment, l’un d’eux tire de sa poche un mouchoir : il le déplie d’un geste, l’étale : c’est une carte sur soie du midi de la France)

Ces soldats font partie d’un OG. On comprend l’étonnement, l’admiration et l’espoir des Dieulefitois devant la bannière étoilée et surtout le mouchoir-en-soie-carte de leur région. « (…) à chaque petit grangeon perdu dans les champs des camions qui sortent des tubes cylindriques parachutés, mitrailleuses, grenades, et les entassent dans ces temples champêtres qui n’abritaient plus que des vieux outils. »

Emmanuel Mounier exagère aussi le nombre de caches, il se laisse lui-même entraîner dans l’exaltation du moment, d’autant plus que les parachutés annoncent un débarquement proche dans des conditions qui sont rêvées et non réelles.

« Tous les parachutés annoncent un débarquement proche dans le Midi, que leur présence présage à elle seule. Ils parlent du 10, du 15, annoncent des lâchers de plus en plus importants, une division par planeurs, pour finir, en plein jour. À travers ces bruits divers, insuffisamment autorisés de la part de simples exécutants, il est difficile de deviner ce que sera la réalité prochaine dans la région… »

Lucide, Emmanuel Mounier doute de la véracité des bruits qui courent, notamment de l’atterrissage de planeurs. Ce dernier a lieu mais pas sur la Drôme. Il se déroule au Sud vers le Luc ou le Muy. Les parachutistes apportent aussi des informations. «Interrogé des parachutés qui la veille encore étaient à Alger, apportant dans leur poche un journal datant de vingt-quatre heures, rédigé dans un autre univers, du moins selon les apparences.»

On cite rarement cet aspect de l’arrivée d’hommes venant d’Alger, un monde totalement différent de la région et surprenant pour la majorité de la population. Cette situation est source d’incompréhension mutuelle. «Ils sont très surpris (les parachutés) et scandalisés des divisions A.S., F.T.P. qu’ils trouvent sur place et semblaient ignorer

Les parachutages d'hommes et de matériel sur Framboise ont fortement inspiré le philosophe chrétien qu'était Emmanuel Mounier. Il les décrit de remarquable façon et leur donne un sens philosophique que l'on retrouve rarement dans la littérature historique traitant de ce sujet. La description d'un parachutage par Elsa Triolet est de la même veine. Dans la nouvelle, Le premier accroc coûte deux cents francs, c'est un parachutage nocturne dans le nord de la Drôme qui est relaté avec beaucoup de finesse.


Auteurs : Coustaury Alain
Sources :Emmanuel Mounier, Journal de Dieulefit, bulletin des amis d'Emmanuel Mounier, numéro double, décembre 1955