Carré militaire au cimetière de Marcols-les-Eaux, Ardèche

Légende :

Stèles et entourage implantés en juillet 1946 sous l'égide de la municipalité présidée par Madame Marie Giraud en plein accord avec les famille des victimes, carré militaire au cimetière de Marcols-les-Eaux


Military Section of the Marcols-Les-Eaux Cemetery, Marcols-Les-Eaux, Ardèche 
The Cenotaph was erected under the direction of Mayor Marie Giraud in July of 1946 and with the permission of the victims' families in the military section of the Marcols-Les-Eaux cemetery. 

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Raoul Galataud

Source : © Municipalité de Marcols-les-Eaux Droits réservés

Détails techniques :

Photographies numériques en couleur prises par les services municipaux lors de la cérémonie du 70e anniversaire, le 2 novembre 2013.

Date document : 2 novembre 2013

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche - Marcols-les-Eaux

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Analyse média

C’est en 1946 que fut implanté un carré militaire dans le modeste cimetière du village de Marcols-les-Eaux, afin de recevoir les cercueils de six aviateurs de la Royal Air Force victimes du crash de leur avion sur le territoire de la commune, lors d’une opération de parachutage en direction de la Drôme, le 3 novembre 1943. Cette implantation faisait suite au désir des familles.

Il faut dire qu’auparavant les corps des victimes avaient été quelque peu "malmenés". Leurs restes calcinés furent en premier lieu récupérés après le crash par des éléments de l’armée allemande d’occupation et ensevelis le 8 novembre dans une même tombe sur le territoire de leur terrain d’aviation d’Ancône (Drôme). Dès le 11 novembre suivant, la tombe fut recouverte de fleurs par la population. Par ailleurs, l’équipe du Service Atterrissage Parachutage Drôme-Ardèche apposa clandestinement une plaque de marbre avec les noms des sept victimes ainsi libellée : « A la mémoire de sept aviateurs des nations unies tombés le 3 novembre 1943 près de Marcols-les-Eaux, Ardèche, lors d’une obscure mission apportant les armes libératrices à leurs camarades de la Résistance française pour que vive la France et renaisse la Liberté ».

C’est ce même texte, avec seulement la variante "percuté contre ce rocher", qui fut reproduit sur une plaque en marbre accolée au flanc du rocher de Bourboulas, lors d’une imposante cérémonie le 16 juillet 1944, en pleine période insurrectionnelle, alors que Privas, la ville préfecture distante de 40 kilomètres, était encore occupée par les Allemands.

Le 11 janvier 1945, les autorités militaires américaines prirent la décision de transférer les corps dans des carrés militaires officiels, le corps du capitaine James A. Estes, alias "Clarck", de nationalité américaine à Luynes (Bouches-du-Rhône). C’est du carré militaire de Draguignan que les six aviateurs de la Royal Air Force furent ramenés à Marcols par une mission militaire britannique, pour y être cérémonieusement ensevelis le 7 juillet 1946 (le corps de l’aviateur américain aurait été rapatrié aux U.S.A.). En date du 9 décembre 1951, le Conseil municipal de Marcols-les-Eaux régularise en prenant une délibération par laquelle il cède à l’Etat une parcelle de terrain de son cimetière communal afin d’en accorder la disposition sans limitation de durée à la commission impériale des sépultures militaires britanniques.

Chacune des six stèles situées au premier plan du carré est dédiée aux victimes dans l’ordre suivant de gauche  à droite :

Premier rang : sergent pilote H.F. Hodges (Anglais) ; radio opérateur Jacques Barthélémy (Français engagé volontaire dans la R.A.F.) ; bombardier R.K. Pulling (Anglais).

Deuxième rang : sergent navigateur Harry Smith (Anglais) ; mécanicien navigateur Harold Penfold (Canadien) ; sergent Knott (Australien).

En ce qui concerne les quatre stèles ajoutées en surplomb, l’une est dédiée au major John Brough, le rescapé miraculeux du crash, dont les cendres, selon son vœu, furent dispersées sur le carré militaire après son décès survenu en Angleterre le 4 septembre 1994. Les trois autres ont successivement voulu témoigner des cérémonies de cinquantième, soixantième et soixante-dixième anniversaires. 

In 1946 this military section was added to the modest cemetery in the village of Marcols-les-Eaux upon receiving the bodies of six Royal Air Force pilots who had died in the crash near the village during an airdrop operation heading for the Drôme department on November 3rd 1943. This site was completed on behalf of the wishes of the pilot’s families.

It must be said that beforehand the bodies of the victims has been previously mistreated as their bodies were first recovered from the crash site by German soldiers and were then buried on November 8th in a mass grave in the landing fields of Ancône in Drôme. On the 11th of November the local community gathered to lay flowers at the grave and furthermore the team from the Service Atterissage Parachutage (Landing and Airdrop Service) ifrom Drôme-Ardèche secretly installed a marble plaque that reads “In the memory of the seven pilots of the Allied forces who fell on the 3rd of November 1943 near the town of Marcols-les-Eaux, Ardèche, during a difficult mission of transporting arms to their comrades of the French Resistance in order to save France and help regain its freedom”.

The text was slightly changed to say, “crashed against these rocks”, and was reproduced on a marble plaque that was attached to the side of a boulder in the town of Bourboulas, during an impressive ceremony held on July 16th 1944 despite being held during a time full of insurrection, in which the town of Privas only 40km away was still under German occupation.

On January 11th 1945, American military authorities made the decision to move the body of one of the pilots, Captain James A. Estes, an American, to Luynes and then eventually being repatriated to the United States. The military section of Draguignan brought the six remaining bodies back to the town of Marcols on a British military mission to be ceremoniously buried on July 7th 1946. As of December 9th 1951 the municipal council of Marcols-les-Eaux decided to grant the permanent availability to a section of the communal cemetery to the British Imperial War Graves Commission.

Each of the six cenotaphs on the first section of the map is dedicated to the victims in order from left to right.

First row: Pilot Sargent HF Hodges (English), Radio operator Jacques Barthélémy (French volunteer engaged in the Royal Air Force), Bombardier R.K. Pulling (English)

Second Row: Sargent navigator Harry Smith (English); Mechanical navigator Harold Penfold (Canadian) and Sargent Knott (Australian). 

Regarding the four additional cenotaphs, one is dedicated to major John Borough who miraculously survived the crash and in his wishes had his ashes spread within the military gravesite upon his death on September 4th 1994 while the three others mark the 50th, 60th and 70th anniversaries of the crash.


Raoul Galataud

Traduction : Sarah Buckowski

Contexte historique

1943 fut l’année de la montée en puissance du combat de la Résistance et de l’apparition des premiers maquis constitués notamment de réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO). Il était évident pour les dirigeants des mouvements de Résistance que ces maquis ne pouvaient survivre que grâce à des parachutages d’armes et de moyens de subsistance. Le Bureau Central de Renseignements et Action militaire (BCRA), en charge des relations de Londres avec la Résistance intérieure, crée à cet effet un Service Atterrissage et Parachutages (SAP).

Pour les départements Drôme et Ardèche, une équipe du S.A.P. est créée en mai 1943 sous le commandement du capitaine Henri Faure, de Valence. Sa première tâche est de prospecter des terrains de parachutages affectés de noms de code et de conventions de messages à recevoir de Radio Londres. Lors de leurs déplacements pour prospecter des terrains autour du Gerbier de Jonc, où la Résistance bénéficiait de la complicité de la famille Champel, propriétaire du chalet, Henri Faure et ses hommes empruntaient au plus court les routes sinueuses à partir de la vallée de l’Eyrieux vers le col de Mézilhac. C’est ainsi qu’ils eurent l’occasion au passage de lier des relations de confiance avec l’hôtelier de Marcols-les-Eaux, M. Elie Combe, ce qui s’avérera fort utile.

Le 3 novembre 1943, l’équipe drômoise du S.A.P. reçoit le message "Le sang est rouge" annonçant un parachutage sur le terrain Temple, situé dans la vallée du Rhône sur un petit plateau près du village de Livron, terrain qui a l’avantage d’être situé à proximité de la ferme d’une famille de résistants valeureux, les Chabannes, dont le père et les fils participent aux opérations de parachutages. Vers minuit, l’extinction des lumières de la ville proche de Valence est le signe d’une alerte aérienne confirmant l’approche de l’avion attendu. Hélas, rien ne se produit. L'un des hommes du S.A.P. a cependant remarqué une lueur étrange sur les proches montagnes ardéchoises… 

Effectivement vers minuit et demi, le bombardier Halifax, parti du sud de l’Angleterre pour effectuer la mission de parachutage, s’approche de la vallée du Rhône en survolant la route des crêtes de Mézilhac au col de l’Escrinet. Il vole à basse altitude pour éviter d’être décelé par les radars. Hélas, cela lui vaut d’accrocher sur sa gauche le flan d’un monticule rocheux dit "rocher de Bourboulas". Le bombardier s’écrase au sol, explose et s’enflamme. L’équipage est composé de huit aviateurs. Sept sont carbonisés. Le huitième, le sergent anglais John Brough, qui venait juste de remplacer en queue d’avion son camarade Jacques Barthélémy, transi de froid, est projeté au sol au travers de la coupole en plexiglass éclatée. Etourdi, brûlé, blessé mais vivant, il peut se traîner pendant près d’un kilomètre vers une habitation, la ferme de Sénoulis, où demeurent les époux Croze et leurs onze enfants. Au petit matin, le fils aîné est envoyé à Marcols prévenir le maire. Au passage il a la bonne idée d’informer son oncle Georges Croze, un homme prudent et qui n’aime pas le régime de collaboration avec les nazis. Avant toute chose, celui-ci tient à demander conseil à Madame Marie Giraud, la fille d’un petit industriel local, une femme cultivée de forte personnalité que tous les habitants du village ont l’habitude de consulter pour résoudre leurs difficultés. Marie Giraud, qui parle couramment l’anglais, stoppe aussitôt la démarche auprès du maire et part avec les deux hommes à la ferme de Sénoulis. Bien déterminée à soustraire l’aviateur anglais à l’ennemi, elle réussit à convaincre les époux Croze d’attendre avant de déclarer l’accident aux autorités. L’aviateur, muni de vivres, est en premier lieu caché dans un bois en attendant la nuit au cours de laquelle Georges Croze en le soutenant le conduit par des sentiers de chèvres jusque chez Marie Giraud, qui l’héberge, le soigne et le dissimule aux recherches.

Il était temps ! Dans la journée du 4 novembre, les gendarmes de St-Pierreville sont déjà sur les lieux du crash pour enquêter. Le 5 novembre vers 9 h du matin, des feldgendarmes allemands en garnison à Privas arrivent à leur tour. Ils récupèrent les cadavres et ce qu’ils jugent intéressant parmi les débris calcinés qui jonchent le sol.

Les jours suivants, Henri Faure est à son tour prévenu des événements par l’hôtelier Elie Combe. Après avoir réussi - non sans peine - à vaincre la méfiance de Marie Giraud, il récupère John Brough et l’emmène à Valence où il l’héberge à son domicile, avant de le conduire à Lyon où il est pris en charge par le chef régional du S.A.P. John Brough sera rapatrié en Angleterre le 8 février 1944 dans le même avion Lysander, venu récupérer les époux Aubrac sur le terrain Orion dans le Jura.

La tragédie du "rocher de Bourboulas" est un des nombreux exemples des risques encourus par les aviateurs de la Royal Air Force lors de leurs missions périlleuses. Un exemple aussi du soutien apporté à la Résistance, avec modestie, par une majorité croissante des populations de la France profonde. Marie Giraud fut en Ardèche la première femme élue maire de sa commune en 1945. 

Plusieurs stèles souvenir sont dédiées en Ardèche à la mémoire des aviateurs alliés qui firent le sacrifice de leur vie en venant nous parachuter les armes de la liberté.

Vu les difficultés d’accès, il n’y a plus de cérémonie au pied du "rocher de Bourboulas", mais tous les cinq ans, à l’appel de la municipalité de Marcols-les-eaux, des autorités départementales, des anciens combattants de la Résistance et du S.A.P., les honneurs sont rendus devant le carré militaire du cimetière de Marcols au cours d’une toujours imposante cérémonie, avec la  présence fidèle des familles des héros venues de leur lointaine Angleterre. Les petits élèves de l’école publique sous la conduite de leurs maîtres participent aussi au devoir de mémoire par la lecture de poèmes émouvants, comme en témoignent encore les photos du soixante-dixième anniversaire (voir album).


1943 was the year during which the power of the Resistance rose significantly as well as the first appearances of maquis (rural Resistance fighters) defecting from the German imposed compulsory work service, (Service du Travail Obligatoire (STO). It was becoming clear to the leaders of the Resistance movement that the maquis could only continue to fight if they were provided with airdrops of weapons and supplies. The Central Office of Information and Military Action (BCRA), in charge of relations with the London Resistance, created the Service Atterrissage et Parachutages (SAP, standing for Landing and Airdropping Service ) especially to meet the needs of the Resistance fighters within France.

For the Drôme and Ardèche departments a SAP team was created in May of 1943, under the command of captain Henri Faure from Valence. His first task was to locate airdrop sites and file them under code names that are were to be sent in secret to Radio London. During an investigation of potential landing sites near Gerbier de Jonc, where the Resistance had been greatly helped by the Champel Family, Faure and his men took the winding roads of the Eyrieux valley towards Mézilhac pass. During their trip the men were able to connect with the hotelier Elie Combe from Marcols-les-Eaux, which would prove be a connection of great use to them.

On November 3rd 1943 the S.A.P team of Drôme received the message “The blood is Red”- announcing a parachute drop at the site called “Temple” in the Rhône Valley, flying over the road of Mézilhac and the Escrinet pass. The plane was flying at a low altitude as to not be detected by radar, but because of this the plane crashed into the left side of a rocky hill known as Rocher de Bourboulas bursting into flames upon impact. All but one of the eight men on board died upon impact. Sargent John Brough who had only just taken the spot of Jacques Barthélémy in the rear of the plane before the crash, was projected from the plane through its Plexiglas dome and though numb with cold, and burned from the crash ,was able to walk to the farm Sénoulis a kilometer away to find shelter. To avoid being discovered by the enemy Brough managed to convince the owners of the farm, The Crozes family, to wait to report the incident to the authorities. After having been provided with food, Brough took shelter in the woods for the night while Mr. George Croze walked to the home of Marie Giraud who would take in the pilot and hide him from enemy forces.

Finally on November 4th the police forces of St-Pierreville arrived to investigate the crash site. The following morning around 9 am the German feldgendarmes stationed in Privas arrived at the site where they recoverd the bodies and several other pieces of debris that were of interest to them.

In the days that followed, the hotelier, Elie Combe, informed Henri Faure of the events of the crash and where he could find the lone survivor. After successfully gaining the trust of Marie Griaud, Faure took Brough to his home in Valence and then to the head of the S.A.P in Lyon. Brough was finally repatriated to England on February 4th 1944 on a Lysander-type plane, the very same plane that had just retrieved Mr. and Mrs. Aubrac in Orion, in Jura.

The tragedy of the Rocher de Bourboulas is just one of the many examples of the risks taken by the pilots of the Royal Air Force during their perilous missions to help the Resistance in France. It also serves as an example of the growing support the Resistance gained in rural areas, as Marie Giraud was the first woman to be elected as mayor of her town in 1945.

This is just one of the many many cenotaphs found in Ardèche commemorated to Allied pilots who risked their lives in supplying arms in the fight to liberate France.

There is no longer a ceremony at the Rocher de Bourboulas due to its almost inaccessible location, but every five years the town authorities of Marcols-les-Eaux, departemental authorities, former Resistance fighters and the families of the pilots, gather in the military section of the Marcols-les-Eaux cemetary for a moving ceremony. Pupils from the local elementary school under the direction of their teachers participate in the ceremony as well where they are asked to recite selected poems, as seen in the photos taken of the ceremony memorializing the 70th anniversary of the crash.


Auteur : Raoul Galataud 

Sources :

Louis-Frédéric Ducros, Montagnes ardéchoises dans la guerre, tome II, éditions L-F Ducros, 1977.
Henri Faure, Etais-je un terroriste ? Témoignage Nice, 1985.
Archives municipales de Marcols-les-Eaux.
Archives départementales de l'Ardèche.
Fonds Musée de la Résistance et de la Déportation en Ardèche, Le Teil.

Traduction : Sarah Buckowski