Progression des avant-gardes américaines de Houdan à Mantes

Genre : Carte

Type : Carte

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Date document : 17 au 19 août 1944

Lieu : France - Ile-de-France

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Contexte historique

Alors que la bataille de Normandie fait rage, l'irruption du XVe Corps américain sur les arrières allemands amène le front à une soixantaine de kilomètres de Paris dès le 18 août. Aussitôt les groupes de la Résistance et les patriotes se mettent à la disposition des Alliés. Les patrouilles de reconnaissance repèrent les positions ennemies et préparent la route des colonnes américaines. Déjà, depuis la Normandie, presque chaque unité américaine dispose d'un officier de liaison français, ce qui facilite les contacts avec la population. Le plus connu, accompagnant le XVe Corps, se trouve être le Commandant Marin, ancien speaker de Radio-Londres et représentant du général de Gaulle, plus connu dans la résistance sous le nom de "Clergé-Vaucouleurs".

Précédée par le 106th Cavalry du Colonel Vennard Wilson, la 79th division US ouvre la route, avec pour objectif le franchissement de la Seine à Mantes. Laissant le 315th régiment en réserve à Houdan, le 314th sur la droite et le 313th sur la gauche, l'infanterie motorisée des régiments des colonels Robinson et Wood se taille un couloir de percée, étroit de quelques kilomètres seulement. Les maigres forces allemandes, généralement des unités composites de convoyeurs non combattants, surpris sur leurs arrières, sont bousculées et se retirent à gauche sur l'Eure, à droite sur la Mauldre. Quelques accrochages occasionnent ça et là des pertes en hommes et matériels au 106th Cavalry devant Houdan, Boutigny et Osmoy près d'Orgerus. Stoppée devant Houdan par un barrage d'artillerie, la "C" Troop du Capitaine Winkler est contrainte de se replier pour faire intervenir les chars légers. Trois blindés allemands montent sur Dannemarie.

Le maréchal Model qui vient de reprendre le commandement du groupe d'armée B, venait d'ordonner aux restes des 1ère et 10e SS Panzer Division de se rassembler au sud de Mantes. Il est déjà trop tard, les nouvelles sont alarmantes : "Les forces ennemies progressent vers Houdan. Montfort est menacé, la route de Versailles est coupée et, on parle d'une pointe de blindés ayant atteint les bois de Rosny-sur-Seine".

Les Allemands ont quitté Bazainville après avoir incendié le château et un dépôt de 10.000 litres de carburant et d'huile, servant au convoyage des blindés. Le 121e bataillon de reconnaissance du Colonel Homfeld arrive à 8 heures dans la localité ; le groupe FFI commandé par le sergent chef Giraud leur remet cinq prisonniers allemands. Le groupe est composé d'une trentaine d'hommes dont une quinzaine de soldats sénégalais, ex-prisonniers de guerre abandonnés par les Allemands, ainsi que cinq Français de l'Organisation Todt. Des missions de reconnaissance demandées par l'officier de liaison français auprès des Américains, sont lancées sur Houdan-Gambais-Richebourg-Tacoignières et la Queue-lez-Yvelines. Montfort l'Amaury ne sera libéré que le lendemain après un accrochage avec un groupe d'une vingtaine d'Allemands débouchant dans la rue principale. D'après le rapport de la Résistance, les Allemands se défendirent âprement, avec l'énergie du désespoir. Aidé par les Américains, le groupe FFI engage une courte lutte, trois GI's furent blessés mortellement, sept Allemands tués et le reste fait prisonnier. Un FFI dénommé Battu trouva la mort.

A Houdan, selon un rapport FFI : "Les chars allemands sont camouflés un peu partout, les FFI en dénombre 17 en tout : Tigres et Panthers, le volontaire Dybowski est parvenu à joindre la reconnaissance américaine à Boutigny. Durant la nuit Jean Claude Hyvert parvient à les rejoindre pour leurs annoncer que Houdan n'est pratiquement plus défendu, il était temps, les Américains s'apprêtaient à lancer 50 chars et 20 avions sur Houdan."

Au milieu de la nuit du 17 au 18, une formidable explosion retentit, les Pionniers du Major Ebernach ont fait sauter le pont sur la Vesgre à l'aide d'un "Goliath" un petit char bourré d'explosifs. La 13e compagnie du bataillon 813 disposait d'une centaine de ces engins. A l'instruction, les mois précédents à Issou, le bataillon parviendra à se replier sur Paris où il recevra l'ordre de préparer la démolition des ponts sur la Seine. Quelques autres Goliath sont débusqués ça et là et rapidement neutralisés. Des traînards allemands sont appréhendés, trois au Moulin du Mesnil alors qu'ils sont attablés : escarmouche, le FFI Roger Thiseas est blessé puis transporté par une ambulance américaine à l'hôpital. "Dans l'après-midi du 18 les premiers chars américains défilent sans arrêt. Nous leur distribuons des bouteilles de vin. Notre ami Jack Martin (pilote allié parachuté) nous rejoint et c'est la joie complète. Robert du réseau Comète le fera rapatrier. Nous nous inscrivons en hâte à la mairie pour loger les Américains, ils sont accompagnés par un capitaine français des affaires civiles venu de Londres. C'est l'état-major de la Division Croix de Lorraine."

A Orgerus est arrivée la "C"  Troop du 121e peloton commandée par le Captain Brady, elle a pour mission de monter sur Epône. La colonne précédée par deux automitrailleuses M8 se dirige sur Osmoy par Moyencourt. Un char allemand embusqué en périphérie d'Osmoy, bien dissimulé sous des branchages, allume coup sur coup les deux blindés américains, se souvient Monsieur Bruillé. De source locale on dénombre deux morts et un blessé. Echaudée, la Reconnaissance se replie sur Septeuil. Le 106e Cavalry fait état de son côté, de l'interception par trois chars allemands de la colonne du 2e peloton : "Les véhicules sont touchés un à un et prennent feu, le Lieutenant McNally est blessé ainsi que trois autres soldats, le caporal Snider a trouvé la mort." Sur Prunay-le-Temple, un accrochage avec trois véhicules allemands aura occasionné la mort du Private Glenn Batcher de la "C" Troop

La "A" Troop du Captain Winkler arrive devant Septeuil en fin d'après-midi, la Reconnaissance stoppe sur les hauteurs le temps de neutraliser les dernières résistances en ville. Le rapport des FFI Curvelier et Baton mentionne : "Informés de la présence d'une compagnie allemande en ville, les Américains remettent au lendemain la libération. Néanmoins quelques uns pensent pouvoir y faire des prisonniers sans coup férir, une jeep descend alors en ville et surgit rue de la poste, une ébauche de négociation s'entame avec des Allemands prêts à se rendre. C'est alors qu'un  sous-officier SS ouvre le feu à l'arme automatique sans distinction sur le groupe ; un Américain est tué, un autre grièvement blessé ainsi que des soldats allemands".

Ayant contourné les poches de résistance, le 313e régiment du Colonel Sterling Wood, en tête de la 79e division, arrive en vue de la Seine sur les hauteurs de Jouy-Mauvoisin au soir du 18 août. Aux abords de Perdreauville, les éléments précurseurs détruisent un convoi allemand se dirigeant vers la Seine. Ils capturent, de plus, une dizaine de véhicules appartenant à la 9e Panzer Division SS Hohenstauffen. A La Belle Côte, le 313e aidé par la résistance faisait 125 prisonniers, une vingtaine d'Allemands sont tués. On identifie des éléments d'un bataillon du transport ferroviaire et des SS de la compagnie d'état-major de la 9e Panzer qui avaient reçu l'ordre de passer la Seine à Rosny.

A Méricourt, site du barrage sur la Seine qui va s'illustrer dans les heures qui viennent,  l'ingénieur note à la date du 18 août : "Nombreuses alertes aériennes, mitraillages et bombardements des bateaux circulant sur la Seine. Vers midi, bombardement des ouvrages, une bombe sur la petite écluse l'endommage, porte défoncée, borne de manœuvre cassée. Vers 20 heures, les troupes allemandes de la HVP chargées de la garde des ouvrages, évacuent et passent sur la rive droite après avoir fait sauter leurs mitrailleuses. Passage d'un détachement démontant derrière lui les planches de la passerelle sur une travée et demie. Vers 23h une vedette allemande arrive aux écluses ; l'équipage la saborde et s'enfuit par la route".

De son côté, un rapport des FFI mentionne : "Les groupes Franck et Louis font sauter le barrage de Méricourt en présence de nombreuses troupes allemandes, ce qui a pour but de bloquer le matériel allemand de l'autre côté de la Seine, les bacs de Guernes, Rosny et Dennemont sont rendus inutilisables par suite de la baisse de niveau".

Pendant ce temps à Mantes, les patriotes et la Résistance après des années de clandestinité commencent à apparaître au grand jour, les derniers Allemands en ville sont neutralisés, le Comité de Libération s'ébauche avec Louis Racaud et René Martin. Les Allemands évacuent en hâte la Kommandantur ; des équipes de démolition incendient dépôts et matériels ; des escarmouches ont lieu avec les résistants qui se soulèvent. L'aviation alliée harcèle les convois allemands se dirigeant précipitamment vers la Seine. Le 18 au soir, la 79e Division américaine a atteint  la ligne La Belle-Côte - Buchelay – Magnanville – Boinville. Depuis Houdan le Général Wyche fait monter l'état-major avancé au Tertre-St Denis, point culminant de la région au sud de Mantes. L'état-major du XVe Corps du Général Haislip arrivant de Dreux s'installe à Houdan. Le 315e régiment y assure l'arrière-garde de la division et la sécurité des communications du corps face à des attaques menaçantes sur les flancs. 

La 5th Armored Division en charge de la protection du flanc gauche du XVth Corps, après avoir au cours de violents combats emporté Dreux, recevait pour mission de foncer sur la Seine à l'ouest de Mantes pour commencer à réduire le triangle de la poche Eure – Seine qui se dessine.  Le 18 août, le 85e bataillon de reconnaissance, précédant le combat command de la 5e division blindée arrive à Bréval vers 15 heures. Le centre de la résistance, rassemblé à la gendarmerie appréhende quelques retardataires allemands, ils accompagnent les Américains à la gare où quatre prisonniers sont capturés, les patrouilles ramènent un officier et un sous-officier de St Illiers-la-Ville. Dans le courant de la nuit, l'officier de liaison français, le lieutenant Avolte, demande des volontaires pour reconnaître les lignes allemandes, y déceler les positions, forces, armement et l'état des bacs sur la Seine, enfin tout renseignement pouvant faciliter l'avance des troupes alliées. Vers 5 heures, la patrouille du gendarme Julien Cornuejols part pour Rosny et Gassicourt, celle d'Albert Dantel pour Pacy-sur-Eure, et René Baudet pour Bonnières.

A Dammartin-en-Serve, ce 18 août,  l'instituteur parvient à établir une communication téléphonique avec René Martin à Mantes. Nouvelle incroyable "Les Américains sont là !". A l'écouteur on entend distinctement le grondement des chars dans la rue.
Le jeune FFI Jacques Simonnet engagé dans l'armée américaine écrit : "Avec les Tanks du 813e bataillon nous continuons vers le nord par Dammartin puis Longnes. Six Piper-cub, nos guides et anges gardiens, se posent dans un herbage au bord de la route”.
A Magnanville, Ernest Collobert raconte : “Dans l'après-midi, les FFI avec les frères Julien attendent l'arrivée des Américains, mais c'est une moto allemande qui arrive essuyant des tirs depuis Soindres et tombe en plein sur les résistants, le pilote opère un demi-tour sportif sous les balles mais casse le câble des gaz, immobilisant la moto. Les deux occupants s'enfuient à pied, l'un vers la mare il est fait prisonnier, l'autre par la route de Mantes, il est abattu par les FFI qui surgissent de derrière la citerne, place de l'ancienne mairie". Jacques Simonnet continue : “Nos Tanks Destroyers avancent jusqu'à Soindres, avec Kelly et la base, nous nous replions à l'entrée du Tertre-Saint-Denis pour passer la nuit dans un abri à bestiaux sous une pluie diluvienne”.

Le groupe de résistance de Bonnières-sur-Seine a été anéanti les mois précédents, on compte déjà cinq patriotes fusillés. Seuls restent quelques isolés ayant pu échapper aux arrestations.  L'ancien Maire écrit : "Dans la nuit du 18 au 19, huit chars accompagnés de deux cents SS s'organisent dans Bonnières. Au matin, les rues sont barrées, des Allemands en tenue de combat contrôlent les carrefours et interdisent aux habitants de quitter la ville. On sait que les Américains sont arrivés à Lommoye, leur artillerie bombarde le secteur, les avions mitraillent les rues. Les Allemands partent en faisant sauter le relais radio, les installations de la poste sont réduites en un tas de pierres, et incendient les dépôts. L'infanterie SS traverse la Seine, les chars partent sur Vernon”. Le Gendarme Maurice Laurent, alors membre du Front National de la Gendarmerie à la brigade de Bonnières témoigne : "Vers 15 heures, bien que Bonnières soit encore occupé par des éléments SS, nous avons, Mr Lengagne, quelques FFI et moi, démoli un barrage que les Allemands avaient édifié pour retarder l'avance alliée. Une heure après, j'ai vu Lengagne  passer à moto, se dirigeant vers un char  Tigre qui brûlait à la sortie nord de Bonnières. Peu après il est repassé à la brigade muni d'une mitraillette allemande. Il m'a dit alors : "Tiens, nous allons à la Kommandantur voir s'il y a des Allemands". Nous sommes partis au pas de course. Arrivé à hauteur de la gare, un véhicule amphibie monté par un officier et plusieurs soldats allemands armés de mitraillettes, déboucha de la ruelle du quai de Seine à 15 mètres de nous environ. Lengagne voulut tirer sur les Allemands, mais sa mitraillette s'enraya ; je ne pus rien faire étant armé d'un simple pistolet 7,65. Les Allemands surpris, pensant avoir à faire aux premiers éléments alliés, Lengagne étant habillé en kaki et botté de cuir fauve, firent demi-tour sans utiliser leurs armes".

Côté allemand, à la Roche Guyon, au PC du Groupe d'Armée B,  le Maréchal von Kluge a reçu la veille son successeur le Maréchal Model, un homme énergique et capable de redresser la situation. Ce 18 août, Kluge, rendu responsable par Hitler de la défaite en Normandie, n'est plus qu'une ombre errant dans le château. Model aussitôt sur le terrain, après une journée d'inspection et de conférences, prend le commandement du GA 2 à minuit. Von Kluge ayant appris qu'il ne pourra pas rencontrer le Führer, rédige une lettre en forme de testament avant de se suicider sur la route du retour en Allemagne.

Côté allié, à Houdan, le commandant de la 3e armée, le Général Georges Patton, se rend  auprès du Général Haislip à l'état-major du XVe corps installé dans une propriété au cœur de la cité. Le Général Wyche vient faire son rapport sur la progression de sa division sur Mantes. Les nouvelles sont favorables, aucune opposition sérieuse n'a été rencontrée ; la percée américaine, le franchissement du fleuve à Mantes puis le gigantesque mouvement d'encerclement prévu au nord de la Seine semble pouvoir se dessiner.

Le 19 août au matin  la 79e division est arrivé sur la Seine, le contact s'établit avec la Résistance, souvent des patriotes isolés, les réseaux ayant été pratiquement anéantis précédemment. Mantes est libéré sans coup férir. A Méricourt, le contact est établi avec le groupe de résistance de Georges Pain du secteur de la boucle de Moisson et de Rosny sur Seine. Les Américains sont demandeurs d'informations sur les forces allemandes au nord du fleuve, pour lancer leur tête de pont. Des actions improvisées sont lancées aussitôt et, il est même question d'aller attaquer l'état-major de Model à la Roche-Guyon. Les Résistants de Rosny avec René Boulineau renforcés par les FTP de Mantes lancent une attaque sur Guernes, ils sont une vingtaine équipés d'armes de prise qui débarquent rive nord. Les Allemands, une petite centaine, ne sont que des éléments retardataires abandonnés sans ordres. Arrivés au pied de la vieille côte, les Résistants sont accueillis par des tirs et jets de grenades, André Mandon est tué et deux autres sont blessés ; la troupe poursuit pour faire sa jonction avec les Francs-tireurs de Guernes qui nettoient le village. Ils se heurtent à des Allemands retranchés dans la Maison Bourlon où se trouve un dépôt ; depuis le café, le groupe FTP tiraille sur les ouvertures, Roger Girardat s'élance seul et pénètre dans la maison. A l'étage, au cours d'un corps à corps, il est tué et s'écroule au bas de l'escalier. L'artillerie alliée qui a tiré sur le village a fait deux jeunes victimes. Les Américains n'investiront la localité que le lendemain vers 11 heures en venant de Flicourt.

Au matin du 19 août, les Américains avec la 79e division et la 5e DB tiennent fermement la rive sud depuis Port Villez à l'Ouest de Bonnières à Epône, lançant une reconnaissance vers Les Mureaux et Orgeval. Soit un front d'une quinzaine de kilomètres au total. A Mantes, le Commandant Marin rassemblant les divers groupes de la Résistance, déclare la cité libérée et installe un PC de liaison pour organiser l'action au côté des Américains.


Bruno Renoult in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004