Plaque à la mémoire des 23 membres de l'Affiche rouge

Légende :

Plaque à la mémoire des 23 membres de l'Affiche rouge, située 19, rue au Maire, Paris IIIe

Genre : Image

Type : Plaque

Source : © Wikimedia Commons Libre de droits

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur.

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Contexte historique

L'expression "groupe Manouchian" est issue d'une construction de la mémoire qui trouve son origine dans la diffusion massive de l'Affiche rouge sur les murs des villes de France, au moment de l'exécution, le 21 février 1944 au Mont-Valérien, de 22 résistants. Ces combattants des FTP-MOI sont présentés par la propagande nazie sous les allures d'une "bande" dont Missak Manouchian, responsable militaire des FTP-MOI de la région parisienne, est le "chef". Il est remarquable que Joseph Epstein, chef des FTP de la région parisienne, supérieur hiérarchique direct de Manouchian, interpellé en même temps que lui, ait été jugé à part et exécuté le 4 avril. Au total, 68 militants dont une moitié de Juifs majoritairement étrangers sont arrêtés au cours d'un vaste coup de filet à l'issue des longues et patientes filatures des policiers français de la 2e Brigade spéciale de la Préfecture de police de Paris. Comme le remarque Adam Rayski dans ses mémoires, "ce groupe n'a jamais porté pendant la Résistance le nom de Manouchian, qui n'était connu que sous son pseudonyme. Les premiers qui parlent du "groupe Manouchian" sont les services de propagande allemande, en février 1944, au moment du procès".
Le "groupe Manouchian" représente le noyau dur des combattants des FTP-MOI, tombés pour la plupart entre le 12 et le 17 novembre 1943. L'arrestation de Missak Manouchian a eu lieu le 16 novembre, suivie dans l'après-midi de celle de Olga Bancic et de Marcel Rajman et, le lendemain, de Moka Fingerweig, de Wolf Wajbrot… Avec Schloïme Grzywacs, les visages de ces militants juifs d'origine polonaise ornent quatre des dix médaillons de l'Affiche rouge. Sur les 22 résistants fusillés le 21 février 1944, la moitié sont identifiés comme Juifs et quatre sont issus du deuxième détachement, dit détachement juif, des FTP-MOI : Marcel Rajman a été versé au sein de l'Equipe spéciale, tandis que Moïshe Fingercweig, Wolf Wajsbrot et leur aîné, ancien des Brigades internationales, Schloïme Grzywacs ont été mutés au quatrième détachement.
Cette dernière équipe, dite des dérailleurs, représente, en y ajoutant Thomas Elek, la moitié des 10 visages figurant sur l'Affiche rouge et 9 fusillés sur 22 ; ne sont pas représentés les visages de Jonas Geduldig, alias Michel Martiniuk, de Léon Goldberg, de Willy Schapiro, tous trois Juifs d'origine polonaise, ainsi que du Hongrois Emeric Glasz. L'insistance sur les déraillements de train tente manifestement de sensibiliser une opinion utilisant alors massivement le réseau de la SNCF ; sur l'Affiche rouge, trois des six photographies évoquant des attentats sont des clichés de déraillements ferroviaires.
Avec Marcel Rajman, l'Italien Spartaco Fontanot et l'Espagnol Celestino Alfonso font partie de l'Equipe spéciale. Les deux premiers, à l'image de 12 des 22 fusillés du 21 février 1944, sont âgés de moins de 24 ans au moment de leur exécution, le Français Roger Rouxel, membre du troisième détachement, majoritairement italien, n'ayant pas atteint son dix-huitième anniversaire. Cinq autres membres de ce détachement paient alors le prix   fort : Cesare Luccarini, Antonio Salvadori, Amedeo Usseglio, Rino Della Negra, le Français Georges Cloarec et Robert Witchitz, présenté comme Juif hongrois.
Missak Manouchian et Arpen Tavitian, respectivement âgés de 38 et de 45 ans, sont les seuls militants d'origine arménienne fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Ils ne sont donc représentatifs ni par l'âge, ni par l'origine, de la génération des rafles, celle des jeunes militants juifs en majorité polonais qui ont vu leurs parents disparaître dans les déportations. La recension des noms des fusillés demeure encore imparfaite. Les ouvrages les plus récents ne mentionnent par exemple à aucun moment la présence, parmi les 22 fusillés, de Stanislas Kubacki, Juif polonais sans doute âgé de 34 ans. La représentation du "groupe Manouchian" est le résultat de ce que les auteurs du livre Le sang de l'étranger nomment "un processus d'occultation de la mémoire MOI qui durera près de quarante ans". L'impact immédiat de l'Affiche rouge collée sur les murs des villes de France en février 1944 reste discuté. Sans prégnance importante sur les consciences et donc sur l'élan de la Résistance, l'Affiche rouge a construit le "groupe Manouchian" en objet de mémoire, comme en témoigne en 1985 Mélinée Manouchian dans le film de Mosco Des "terroristes" à la retraite : "Il y a des jours où je ne peux pas m'empêcher de penser que peut-être si les nazis n'avaient pas fait cette Affiche rouge, personne n'aurait parlé de Manouchian, de Boczor, de Rajman, d'Alfonso et des autres combattants étrangers. On les aurait enterrés et oubliés. Regardez les survivants, qu'est-ce qu'ils sont devenus ?" A l'appui de ces remarques, l'historienne Annette Wieviorka a noté : "La légende véhiculée par le poème d'Aragon chanté par Léo Ferré veut qu'une main ait écrit "morts pour la France". Rien ne le prouve. Seul Maurice Benadon, parmi ceux avec qui nous nous sommes entretenus, a le souvenir d'une telle inscription." Dans ses souvenirs intitulés La Belle Age, Lionel Rochman, ancien résistant juif communiste à Guéret, cité par Annette Wieviorka, évoque explicitement un sentiment de honte : "Se fussent-ils appelés Martin ou Durand, j'aurais communié dans leur mort et dans leur martyre. Mais ils s'appelaient Grzywacz et Wajsbrot et Fingercweig et c'était imprononçable. Oui les propagandistes firent bien leur besogne en imprimant l'Affiche rouge. Oui, après des années de martèlement antijuif, même les résistants se devaient d'être de bons Français de souche, bien de chez nous. […] Le pieux mensonge d'une France communiant secrètement dans la douleur au moment où fut apposée l'Affiche rouge, mensonge entretenu par notre "bonne conscience nationale", a trop longtemps masqué que la propagande (on dirait aujourd'hui la désinformation) a le pouvoir de créer de toutes pièces une vérité seconde qui peu à peu supplante la vérité tout court". Cette vérité seconde a été nourrie, dans les années d'après-guerre, par une littérature du ressentiment, mêlée à des règlements de compte idéologiques et à une vision policière de l'histoire.

En 1984, à l'occasion du quarantième anniversaire de l'exécution du "groupe Manouchian", l'idée que le PCF aurait sciemment sacrifié ses militants étrangers est portée à la connaissance de l'opinion. Dans son Histoire intérieure du PCF, Philippe Robrieux suggère, en maltraitant la chronologie, que l'origine de la chute du "groupe Manouchian" serait la trahison de Jean Jérôme, grand argentier du parti communiste français. Cette version d'un sacrifice cynique visant à rendre à la Résistance communiste une image nationale et donc "respectable" est portée par le film de Mosco Des "terroristes" à la retraite, avec la caution de Mélinée Manouchian, la veuve du responsable militaire des FTP-MOI de la région parisienne. Après avoir échoué à faire interdire en 1985 la diffusion télévisée du film de Mosco, le parti communiste décide de se défausser en faisant peser le doute sur l'une des personnalités déjà mise en cause dans le film. Il lance, dès l'année suivante, un ouvrage publié aux éditions Messidor sous la signature de l'Arménien Arsène Tchakarian et qui désigne un bouc-émissaire en la personne de Boris Holban, le prédécesseur et le successeur de Missak Manouchian à la direction militaire des FTP-MOI de la région parisienne. Cette querelle a en même temps provoqué des réponses et des réévaluations historiques nuancées qui semblent avoir épuisé les enjeux de mémoires. Si la mémoire communiste s'est ainsi longtemps focalisée sur la figure de Missak Manouchian, c'est, selon l'historienne Annette Wieviorka, en raison "de la possibilité de récupérer la mémoire de ces combattants en les inscrivant et dans l'Histoire du parti communiste et dans celle de l'Arménie soviétique où Mélinée Manouchian vécut de nombreuses années après la guerre. Les Juifs sont d'un maniement plus délicat".


Michel Laffitte, "Le groupe Manouchian" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004