Page du carnet tenu par une jeune fille de 14 ans.

Légende :

Le père de la jeune fille tient un relais de distribution d’essence, à Crest. Il n’a plus été approvisionné depuis de longs mois. Le 28 octobre, c’est la première livraison d’essence, soit près de 2 mois après la Libération.

Genre : Image

Type : Carnet

Source : © Collection Jeanne Sauvageon Droits réservés

Détails techniques :

Cette page est extraite d’un carnet de 65 x 105 mm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest

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Analyse média

Cette jeune fille a utilisé un carnet publicitaire de l’année 1933 dont les quantièmes correspondent à ceux de l’année 1944. Le carnet a été commencé le 1er juin 1944. Les annotations quotidiennes indiquent les évènements personnels, mais aussi ceux, extérieurs, situant bien le contexte de la période. Le dernier jour portant des indications est le 10 novembre 1944. L’ensemble recouvre donc une période extrêmement chargée en évènements.

La couverture de simili-cuir noir de ce carnet porte la publicité de la maison Pathé (disques à aiguille. Phonos. TSF. Amplis. Pick-Ups) et le nom du représentant local : Martin Hérold. Horlogerie – Bijouterie - Orfèvrerie. Crest (Martin Hérold et son fils André sont parmi les fondateurs de la Résistance à Crest).

Pour certaines périodes, l’écriture est faite à la plume à encre, pour d’autres c’est le crayon à mine de plomb qui est utilisé, l’écriture est alors beaucoup moins lisible.

La place réservée à chaque jour, 55 x 25 mm, est réduite et oblige à une notation condensée des évènements, voire elliptique ou abrégée.

Transcription de la page :

Samedi 28 octobre
Recevons 1 000 litres d’essence. Tout nouveau. Essence rose américaine.
Dimanche 29 octobre
Suis de baptême chez Odette.
Le soir, allons voir Les mystères de Paris. Eden.
Lundi 30 octobre
Essayons faire marcher la pompe. Ça va. Servons les 1ers clients.
Congé. Conférence.

C’est la première livraison d’essence au relais que tient le père de la jeune fille, soit près de deux mois après la libération (1er septembre dans la Drôme). De plus, il s’agit d’une essence « américaine » de couleur rose. Le dimanche, elle est invitée à un baptême chez une amie. Le soir, elle va en famille au cinéma voir le film Les Mystères de Paris. Le lundi, le relais est ouvert. On vérifie que la pompe qui n’avait pas servi depuis des mois fonctionne bien et l’on sert les premiers clients. Ce jour-là, l’école est fermée pour cause de conférence pédagogique pour les enseignants.


 

Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Collection Jeanne Sauvageon

 

Contexte historique

Ce carnet apporte des renseignements très précieux sur des évènements vus par une jeune adolescente de 14 ans. Il montre comment la vie reprend un cours plus normal, après la Libération.

La vie a été fortement perturbée pendant toute la période de guerre. Les moyens de communication ont été pratiquement supprimés dans les derniers jours du mois d’août 1944. Par les annotations portées sur le carnet, on voit comment la vie a repris après la Libération. Dès le 2 septembre, on peut circuler à bicyclette, les cars fonctionnent à partir du 11 septembre, les trains entre Valence et Lyon le 19 septembre mais ce sont des fourgons et à partir du 25 septembre entre Valence et Beaurières (ligne de la vallée de la Drôme). Le 17 octobre, il faut encore 12 heures pour rejoindre Lyon. Le téléphone est opérationnel à partir du 8 septembre (sa mère travaille à la poste). Le courrier est rétabli à peu près en même temps puisqu’une carte en provenance de Lyon arrive le 12 septembre. La rentrée des classes s’effectue le 2 octobre, mais certaines classes ne pourront fonctionner qu’à partir du 6 ; il faut d’abord les remettre en état après le passage des Allemands. La transhumance des moutons (une beille) peut reprendre, ils quittent les Préalpes pour regagner la Provence. Une première livraison d’essence a lieu le 28 octobre, suivie d’une autre le 31 octobre.

Il a fallu près de deux mois pour rétablir les communications et pour que la vie reprenne un cours plus normal. Tout n’est pas rétabli. Les restrictions subsistent encore pendant plusieurs mois. La carte de pain a perduré jusqu’en 1948.

Mi-septembre, les chevaux abandonnés par les Allemands sont vendus. Monsieur Armorin, futur maire de Crest, se rend à Loriol pour en récupérer un qui servira à son commerce.

Extraits du carnet :

Samedi 2 septembre
À partir d’aujourd’hui, autorisation d’aller à Valence en bicyclette.
Dimanche 3 septembre
Allons à Loriol. Des quartiers brûlés. Des camions de tous les côtés, calcinés. Beaucoup de morts allemands au Peyrou, un canon et ses obus. Beaucoup de chevaux errants, d’autres morts pas enterrés.
Vendredi 8 septembre
À partir d’aujourd’hui, le fil avec Valence est rétabli. [il s’agit du téléphone]
Dimanche 10 septembre
10 h 30, place de la Liberté.
Prise d’armes, décorations. Lt Cl Legrand.
Puis grand défilé des FFI. Cérémonie au monument aux morts.
Lundi 11 septembre
À partir d’aujourd’hui les cars pour Valence refonctionnent.
Mardi 12 septembre
Recevons une carte de Lyon. N’ont aucune nouvelle de nous.
Mercredi 13 septembre
Une nouvelle carte de Lyon : Gaby va venir par n’importe quelle occasion.
Vendredi 15 septembre
Papa va passer l’après-midi à Loriol avec le break de M. Armorin. M. Armorin m’invite à y retourner avec lui, le lendemain, pour chercher Fritz (nouveau cheval).
Vendredi 15 septembre
Nous ne ramenons pas Fritz, mais Frida, jument laissée par les Allemands, lors de leur retraite.
Mardi 19 septembre
À partir d’aujourd’hui, trains voyageurs (fourgons) entre Lyon et Valence.
Lundi 25 septembre
Premier train Valence - Beaurières. Le soir, il déraille à Die.
Lundi 2 octobre
Rentrée des classes. Nous, le Cours supérieur, ne rentrons que le 6.
Mardi 3 octobre
Allons nettoyer les placards, les boches ont tout tourné.
Reçois une carte de Meknès, Yvaine ne m’oublie pas.
Mardi 4 octobre
Vais à Valence. Occuliste. Achat souliers.
Vendredi 13 octobre
Passage d’une « beille ». Le berger nous donne 2 litres de lait tout frais. Maman fait un flan.
Mardi 17 octobre
Gaby ne peut partir qu’à 8 h moins 20 avec un autorail. Arrivée à Lyon à 8 h du soir.
Samedi 28 octobre
Recevons 1 000 litres d’essence. Tout nouveau. Essence rose américaine.
Lundi 30 octobre
Essayons faire marcher la pompe. Ça va. Servons les 1ers clients.
Mardi 31 octobre
Recevons encore 1 000 litres d’essence. Tout va bien.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Collection Jeanne Sauvageon