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Ordre de mission du capitaine

Légende :

Ce type de document permet de bien comprendre les aléas de la vie d'un maquis.

Genre : Image

Type : Ordre de mission

Source : © Archives Albert Fié, fonds Pons Droits réservés

Détails techniques :

Texte dactylographié sur feuille de papier 13,5 X 21 cm, recto-verso.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Die

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Analyse média

Le document est un feuillet dactylographié recto-verso sur lequel le commandant du secteur Drôme-sud confirme le commandement d'une compagnie au capitaine Paul Pons et lui définit son théâtre d'opérations.

L'en-tête précise l'origine du document : le PC de la Résistance en Drôme-sud. On note quelques ratures ou surcharges. Les trois premiers paragraphes confirment l'affectation et le grade de Paul Pons, rectifiant une erreur antérieure. Le cheminement des rapports avec ses supérieurs varie selon l'urgence de la situation. Si les circonstances l'exigent, Paul Pons doit s'adresser directement au chef départemental de la Résistance, Jean Drouot (« L'Hermine »)

Cinq paragraphes délimitent les positions à tenir et les actions à conduire. À l'ouest de Crest, la région de Chabrillan-Grâne doit être coupée et le lieu d'un harcèlement. À l'est de Crest, la défense est renforcée par un barrage antichar auquel s'ajoute l'obstruction de la route conduisant à Cobonne et permettant l'accès au Vercors. Plus on se rapproche du pied du massif, plus les défenses se renforcent. À l'est de Saillans doit être établi un fort barrage antichar. Au sud de Crest, au lieu-dit Labri (Labry), sur la route départementale 540, en amont du défilé du Bridon, entre La Bégude-de-Mazenc et le Poët-Laval, un fossé antichars doit barrer la route conduisant de Montélimar à Bourdeaux. La traversée du massif de Saoû doit être interdite en contrôlant le col de Lauzun. Au total, le secteur imparti à la compagnie Pons est un carré de pratiquement 30 km de côté. Paul Pons le contrôlera à partir de son PC établi, au nord, dans le vieux village perché de Mirabel.


Auteurs : Alain Coustaury 

Contexte historique

La note d'"Alain" a été écrite quelques jours après le débarquement du 6 juin 1944. Si la Résistance opère désormais au grand jour, son organisation est encore embryonnaire quant à la désignation des chefs d'unités. Une certaine confusion règne et les commandants de secteur doivent préciser le rôle de chacun.

C'est dans cette situation que Pierre Raynaud (« Alain ») confirme l'affectation de Paul Pons comme commandant de la 1e compagnie du 3e bataillon de la Drôme. Le feuillet utilisé est intéressant par son en-tête. Les ordres proviennent du commandement des guérillas en Drôme-sud. Le pluriel employé définit bien la forme de combat qu"'Alain" veut mener ainsi que le caractère particulier des unités qui le pratiquent. Guérilla signifie attaque surprise et retraite immédiate en même temps qu'elle est synonyme d'une unité de résistants constituant un maquis. L'impression, de qualité, de l'en-tête témoigne d'une bonne organisation administrative de la Résistance. La composition en paragraphes bien ordonnés atteste une réflexion dans un climat encore relativement calme. Alain a le temps d'être très précis quant à l'affectation de Paul Pons et à la délimitation du secteur qu'il a à défendre. Les 2e et 3e paragraphes laissent supposer que tout n'est pas facile dans la répartition des commandements de la Résistance en centre Drôme. Le chef départemental de la Résistance, Jean Drouot (« L'Hermine ») aurait signifié, malencontreusement, une mauvaise affectation à Paul Pons. Alain rectifie cette erreur et confirme qu'il récupère Paul Pons dans son bataillon. En filigrane, on perçoit que les relations entre "Alain" et "l'Hermine" sont difficiles. Dans le 4e paragraphe, la chaîne de commandement est précisée ; ce n'est qu'en cas de circonstances graves que Paul Pons doit transmettre ses rapports au chef départemental.

Les cinq secteurs de la région confiée à Paul Pons sont décrits sur le verso du feuillet. Ils sont bien définis. On peut noter que leur localisation est assez peu précise et suppose que Paul Pons connaisse bien la région. "Alain" situe les lieux par « derrière Crest, derrière Saillans, à Labri ou à l'endroit le plus favorable, au-dessous de la Chaudière». Cette imprécision est assez surprenante chez un militaire. En même temps, elle laisse une large marge de manœuvre à Paul Pons. Il faut noter la grande étendue du secteur confié à une unité qui ne compte guère plus de 200 hommes. Avec un tel effectif, est-ce que le terrain et les défenses demandées pourront être tenus ?

Le secteur de Chabrillan-Grâne est une sorte de poste avancé sur la rive gauche de la Drôme, en aval de Crest. Sans plus de précision, il est demandé de harceler l'ennemi. En amont, rive droite de la rivière, le secteur de Blacons est tenu par le groupe de Charles Chapoutat. Ce dernier deviendra une compagnie indépendante de celle de Paul Pons dès le 20 juin. L'unité, suivant les ordres d'"Alain", établit un barrage en minant la route, au niveau du quartier des Grands Chenaux, entre Aouste-sur-Sye et Blacons. C'est elle qui subira le premier choc de l'attaque générale du Vercors le 21 juillet 1944. La route de Cobonne qui permet d'accéder au Vercors doit être également barrée. Les consignes de défense deviennent plus précises pour le secteur situé en amont de Saillans, au niveau d'un rétrécissement de la route. Un barrage routier important doit y être établi. Il sera constitué, à l'instar de la ligne Maginot, par des morceaux de rail encastrés dans des chapes de béton. Quatre rangées de rail verrouilleront la route nationale 93. Tous les secteurs décrits concernent directement, par la vallée de la rivière Drôme, l'accès sud-ouest du massif du Vercors. Le 4e secteur confié à Paul Pons se situe plus au sud et étend d'une façon hasardeuse le rayon d'action de la compagnie. Il lui est demandé de contrôler, en amont de La Bégude-de-Mazenc, au niveau du rétrécissement du Bridon, vers le lieu-dit Labri (Labry), l'accès au cœur du Diois. Un fossé antichar doit être creusé sur la route départementale 540 qui conduit à Bourdeaux. Cet obstacle rejoint le type d'obstruction classique dans les combats contre les chars. Il demande du temps pour le réaliser et il est particulièrement visible quand on le survole. La protection du flanc sud du secteur doit être complétée par le contrôle du massif de Saoû et du col (pas) de Lauzun (Lauzens), permettant d'accéder à la vallée de la Drôme. Le col de la Chaudière, au rôle sensiblement équivalent à celui de Lauzun, doit également être défendu sur son flanc sud.

Les rails plantés, le fossé antichar sont contradictoires avec la forme de guerre qu'est la guérilla qui exige surprise et discrétion. Étant donné le rapport de force entre la Résistance et la Wehrmacht, la conduite des opérations selon les techniques de la guerre classique va se révéler dramatique pour les maquisards à partir du 21 juillet, début de l'attaque générale du Vercors. Le minage des routes, plus discret a été aussi utilisé par la Résistance sur les routes d'accès au Vercors. Dans le document étudié, il n'est pas évoqué.

Le document est riche en information quant à l'organisation de la Résistance en Drôme sud. Les techniques de combat évoquées expliquent l'échec de la Résistance pour arrêter l'avance allemande à partir du 21 juillet. Les résistants, relativement peu nombreux, mal armés, paieront un lourd tribut en voulant tenir des barrages qu'ils ne pouvaient défendre faute d'armes appropriées et ce malgré tout leur courage.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Mémoire d\'un vieil homme, manuscrit d\'Albert Fié, archives Pons.