Attestation de Marcel Abraham en faveur de Jean Zay
Légende :
Attestation manuscrite signée par Marcel Abraham en faveur de Jean Zay le 21 février 1949
Genre : Image
Type : Attestation
Source : © Service historique de la Défense, 16P606687 Droits réservés
Détails techniques :
Lettre manuscrite
Date document : 21 février 1949
Lieu : France
Analyse média
La question des rapports entre Jean Zay et la Résistance ne cesse de se poser dans l’esprit de ceux qui se penchent sur son histoire, historiens ou proches. C’est en Résistant que le dépeint Madeleine Zay, sa femme, dans sa lettre au président de la Haute Cour de Justice, au moment du procès de Philippe Pétain. Marcel Abraham et Jean Cassou, à la fois proches collaborateurs du ministre d’avant-guerre, amis fidèles puis attachés à son souvenir, et eux-mêmes résistants indiscutables, ont obtenu, en 1949, la reconnaissance de l’appartenance de Jean Zay à la Résistance, – mais sans être cependant en mesure de la fonder sur des arguments circonstanciés, ce qui se pratique normalement dans ce genre de documents. Il y a de plus une contradiction logique dans ce dossier de résistance : à la rubrique « réseau ou mouvement », Marcel Abraham, son ancien directeur de cabinet à l’Éducation nationale, écrit : « isolé ». Les isolés de la Résistance existent, mais pas en prison, ils existent par leur action.
Le cas de Jean Zay présente donc une difficulté particulière : enfermé dès le 15 août 1940, au Maroc, il ne peut être en contact libre, encore moins en action, avec des organisations de résistance qui ne se fondent d’ailleurs que dans les mois suivants. Certes les exemples de Louis-Auguste Blanqui ou de Nelson Mandela montrent qu’on peut être actif et efficace en prison, mais il faut pour l’historien trouver à quoi et où aboutit le travail du prisonnier. Par ailleurs, la position de martyr de Vichy, arrêté, condamné, enfermé, impose de Jean Zay une image de résignation qui est en rupture avec ses comportements d’avant-guerre, et même avec l’image de lui que l’on peut percevoir à travers sa façon de vivre la détention. En effet, son livre Souvenirs et solitude, écrit en prison, témoigne d’une énergie sauvegardée par une grande exigence envers soi-même ; l’affirmation de la nécessité du travail y est constante. La tentation est donc grande d’aller chercher dans la production d’écriture de Jean Zay, son activité carcérale essentielle, ce qui peut le rapprocher de l’expérience vécue par beaucoup de ses proches et où ils veulent l’inscrire : la Résistance.
C’est d’ailleurs bien en arguant de la rédaction de textes que Marcel Abraham peut attester l’appartenance de Jean Zay à la Résistance. Jean Cassou le désigne comme « un patriote actif qui a travaillé dans la Résistance » ; dans la prison de Riom, comment a-t-il pu travailler « dans la Résistance » ? Le seul exemple précis est donné par Marcel Abraham : il a fourni à ses amis « les tracts donnant l’essentiel des déclarations des accusés au procès de Riom ». Mais cet exemple est à la limite du domaine de la Résistance… Et cela parce que les accusés au procès de Riom ne le sont pas pour résistance, et qu’ils seront, eux aussi, comme Jean Zay, dérobés au problème du choix de l’engagement actif dans la Résistance par leur emprisonnement même.
La question de cette limite est d’ailleurs intéressante en elle même : aux yeux des résistants, et malgré le discrédit global de la Troisième République, malgré aussi des réticences évidentes ici ou là, les accusés de Riom sont, par le fait même qu’ils sont accusés ainsi et par Vichy, englobés dans le bon camp. Néanmoins, c’est un peu court pour fonder une appartenance à la Résistance, d’autant plus que nous ne possédons pas ces tracts. C’est au fond, et sans intention péjorative, d’une sorte de résistance d’honneur qu’il s’agit là. De fait, d’ailleurs, les proches de Jean Zay sont souvent résistants, comme les deux que je viens de citer, les Parisiens du cabinet comme les Orléanais, et ils tiennent à intégrer à leur démarche celui qui fut avant-guerre un inspirateur. Le rattachement de Jean Zay à la Résistance, opéré par ses proches, demande donc, pour être validé par l’analyse historique, non seulement de trouver des textes clairement identifiables comme de la période de l’incarcération, mais aussi de démontrer qu’au-delà d’une communauté de pensée, il s’établit un rapport concret entre des résistants et lui.
Verny Benoît,« Chapitre 13. Jean Zay et la Résistance », in Antoine Prost , Jean Zay et la gauche du radicalisme, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Académique », 2003 p. 209-224
Contexte historique
Marcel Abraham est né le 17 juin 1898 à Paris. En 1932, il entre au ministère de l'Éducation nationale, où il est directeur de cabinet d'Anatole de Monzie (1932-1934), Jean Zay (1936-1939). Il est également rédacteur en chef des Cahiers orléanais puis directeur du Mail, collaborateur des Cahiers de la Libération et du journal clandestin Étoiles (sous le pseudonyme de Jean Villefranche), fondateur de Quarantequatre.
Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, il est engagé volontaire. Révoqué le 1er octobre 1940 de son poste d'inspecteur général de l'Enseignement français à l'étranger, en application de la loi sur le statut des Juifs du 17 juillet 1940, il intègre le réseau du Musée de l'Homme et participe à son journal Résistance. En 1941, il se réfugie à Toulon après le démantèlement du réseau et forme avec John Mentha, un assureur d'origine suisse, le noyau du réseau local de Franc-Tireur.
À Toulouse avec Jean Cassou à la Libération, il retrouve sa place à l'Université et rejoint l'UNESCO, avant de diriger le cabinet de Pierre-Olivier Lapie. Puis il devient directeur des Affaires culturelles au ministère de l'Éducation nationale, directeur du service universitaire des relations avec l'étranger et président du Bureau international d'éducation. A la Libération, il devient membre de l'Alliance israélite universelle. Il meurt le 17 février 1955 à Paris.
Source : Mémorial de la Shoah