Message du commandant
Légende :
De Lassus Saint-Geniès (« Legrand ») précise les modalités des actions que doit conduire le capitaine Paul Pons.
Genre : Image
Type : Note
Source : © Collection Albert Fié, archives Pons Droits réservés
Détails techniques :
Texte dactylographie sur fragment de feuille de papier 21 x 27 cm.
Date document : après le 22 août 1944
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme
Analyse média
Le document aborde plusieurs sujets : le capitaine Pons dépend désormais du commandant Antoine (Antoine Bénezech), le difficile rapport entre la Résistance et l'US Army, les difficultés propres à la compagnie et les modalités d'action de la Résistance. De Lassus Saint-Geniès termine en félicitant Paul Pons pour l'embuscade tendue à Fiancey le 21 août 1944.
On peut remarquer la qualité médiocre de l'écriture ; fautes de frappe, d'orthographe. Cela traduit une précipitation certaine, très compréhensible au moment de la rédaction du message. Des combats violents se déroulent sur l'ensemble du secteur, l'armée allemande essayant de franchir le barrage que tente d'établir l'US Army.
Contexte historique
Le document se situe au début de ce que l'on dénomme la « bataille de Montélimar ». Les troupes de l'US Army et françaises ont débarqué le 15 août sur les côtes de Provence et remontent rapidement le long de la vallée du Rhône. Une task force, groupement interarmes, commandée par le général Butler, débouche sur la vallée du Rhône en ayant emprunté, à l'est, les routes alpines et descendu la rivière Drôme. C'est au niveau de la région de Livron que l'affrontement avec la Wehrmacht va avoir lieu. Les hauteurs à l'est de La Coucourde sont coiffées dès le 21 août par la task force Butler, menaçant la route nationale 7, voie de retraite de l'armée allemande. Les premiers accrochages, face à une armée allemande aguerrie et mordante, montrent que la task force manque d'une infanterie pour accompagner et soutenir ses éléments blindés. Le général Butler comptait sur les forces de la Résistance pour l'aider.
Le 19 août 1944, les capitaines John L. Wood et William E. Nugent, du 117ème régiment de cavalerie, reconnaissent sans encombre la route nationale 93. Vers 7 heures, ils arrivent à Crest et entrent en contact avec Paul Pons. Ils rencontrent ensuite de Lassus Saint-Geniès qui désigne Lucien Fraisse ("Xavier"), parlant bien l'anglais comme officier de liaison auprès du général Butler. Lucien Fraisse évoque cette rencontre : « Le 19 août, je vis arriver vers onze heures du matin directement à mon PC, la première jeep américaine, conduite par des officiers de liaison [...]. Nous les reçûmes avec joie, mais, je ne le cache pas, un certain sentiment d'amertume me faisait comprendre aussi que le beau rôle des FFI (Forces françaises de l'intérieur) était terminé. La guerre, pour nous, allait changer de forme. Néanmoins, nous avions encore des services à rendre ».
La mission des officiers états-uniens consiste à recueillir le plus de renseignements possible sur la situation et les effectifs allemands. De plus, elle doit reconnaître l'itinéraire qu'allait emprunter le gros de la colonne motorisée. De Lassus Saint-Geniès essaie de faire comprendre à Butler les limites de l'action des FFI et l'empêcher de faire bombarder systématiquement les villages où les Allemands essayaient de résister. Il doit assurer la coordination des opérations mais veut aussi conserver une certaine indépendance vis-à-vis des Alliés. Le 21, Butler établit son PC à Marsanne. De Lassus Saint-Geniès le rejoint en pleine nuit. Butler constate qu'il manque de renseignements sur la situation en France et localement. De Lassus Saint-Geniès est prêt à lui en donner. Il est convenu que les compagnies FFI ne seraient jamais engagées seules en première ligne. Elles combattraient encadrées par des unités étatsuniennes. En cas d'attaque de blindés, elles suivraient les premiers échelons en nettoyant les résistances ennemies ignorées par ceux-ci. De Lassus Saint-Geniès insiste auprès de Butler pour lui faire comprendre que les FFI n'ont pas le même degré d'entraînement que ses hommes et qu'elles manquent de moyens de transmission. Le 22 août, par l'intermédiaire de Lucien Fraisse, il s'élève contre la position de Butler vis-à-vis de la Résistance : « Je ne comprends pas comment le Général croit que nos maquis peuvent arrêter les Allemands alors que j'arrive de Puy-Saint-martin où j'ai vu 60 Allemands arrêter 25 chars lourds américains. Nous ne sommes pas sous ses ordres mais je veux bien l'aider en pratiquant la guérilla. Je refuse la bataille rangée. Nous sommes faits pour la guérilla et uniquement pour cela. Si vous êtes à l'EM (état-major) du général Butler c'est pour lui faire comprendre nos possibilités ». Ces premiers contacts mettent bien en évidence les difficultés des relations entre les alliés. Pour Butler, le besoin de renseignements est primordial. Pour "Legrand", les FFI doivent s'intégrer dans le dispositif de Butler sous certaines conditions. "Legrand" veut toujours conserver une certaine indépendance dans les décisions d'actions. Il le rappelle à Paul Pons après l'accrochage de Fiancey le 21 août. Ce jour là, Pons tend une embuscade à une colonne allemande au niveau du quartier de Fiancey, commune de Livron-sur-Drôme. À 15 heures, la compagnie attaque un convoi de 20 camions allemands. Elle se replie sur Allex qu'elle rejoint à 19 heures 30, où elle rencontre la Task Force Butler. Pons est amené chez Butler, à Marsanne, qui lui demande de ré attaquer au même endroit le lendemain. Il lui promet l'appui de chars. Le 22 août, la compagnie Pons subit, sans pertes graves, l'assaut de chars allemands. C'est cette demande de Butler qui amène de Lassus Saint-Geniès à préciser le rôle de la Résistance. Il refuse que ses hommes soient mis à la disposition de l'US Army car il considère, à juste titre, qu'ils ne constituent pas une armée régulière. Les résistants manquent de formation, d'entraînement, d'armement adapté et ne peuvent jouer le rôle d'infanterie de soutien. On peut aussi penser que de Lassus Saint-Geniès est jaloux de ses prérogatives de commandant en chef des FFI de la Drôme et qu'il ne veut pas être subordonné à Butler. La volonté d'indépendance est bien marquée et les résistants doivent continuer de combattre en pratiquant la tactique de guérilla. Le document révèle bien les difficultés des relations entre la Résistance et l'US Army. De Lassus Saint-Geniès n'est pas le seul à ressentir ce malaise.
Emmanuel Mounier, alors à Dieulefit, exprime bien l'ambiguïté des rapports entre la Résistance et les GI's (soldats de l'armée américaine) :
« Depuis l'arrivée des troupes américaines, il y aussi une tension latente entre elles et les FFI. Ce n'est pas que dans l'ensemble elles montrent aucune insolence. Leur admiration est grande au contraire pour cette armée en guenilles, surgie du sol, faisant tant avec si peu de moyens. Mais ils ne peuvent pas ne pas être ce qu'ils sont, une armée riche, magnifiquement équipée, armée, éclaboussante de puissance. Il leur est facile de remporter des victoires spectaculaires avec un tel instrument, des victoires que nos vieux FFI aimeraient bien remporter, parce qu'elles s'appellent Normandie, Loire, Rhône, Dauphiné. Ceux qui depuis deux ou trois ans tiennent le maquis, traqués, mal nourris, rageant de ne pas recevoir assez d'armes de ceux qui aujourd'hui en montrent tant, qui se battent encore, comme l'autre jour à la Bégude avec une mitraillette pour dix hommes contre un adversaire quatre ou cinq fois supérieur en nombre, ne peuvent retenir une amertume envers cette armée de luxe, ces victoires de luxe qui leur volent les gloires éclatantes. […] Et puis leurs points de vue sont différents. Ils sont du pays. Ils tiennent à cette ville, à ce village, se feront tuer au besoin en vain pour que l'Allemand n'y entre pas ; son retour, ils savent combien ce serait de maisons pillées ou brûlées, les leurs, de gens qu'ils connaissent passés par les armes. Le Général de Boston ou de San Francisco, lui, n'a pas à Romans ou à Crest de frères, de sœurs ou de camarades de café. Il a deux consignes : aller le plus vite possible en économisant le plus d'hommes possible. […] Quant à la guerre, ils semblent la faire ici avec quelque détachement, comme un travail lointain et nécessaire commandé par l'ingénieur en chef : Notre ennemi, me dit l'un, notre Allemagne, c'est le Japon. » Tout est dit dans cet écrit du philosophe.
Malgré les difficultés citées, la coopération entre les résistants et l'US Army est importante et sera reconnue. C'est pour cette reconnaissance que de Lassus Saint-Geniès exhorte Paul Pons à accentuer l'action de sa compagnie malgré les fatigues de plusieurs semaines de combats et de vie aventureuse dans les montagnes drômoises.
Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Albert Fié, Mémoires d'un vieil homme, archives Pons. Mounier Emmanuel, Journal de Dieulefit.