Musiciens d'aujourd'hui, n°3, avril 1942

Légende :

Organe du Front national des musiciens

Genre : Image

Type : presse clandestine

Source : © Musée de la Résistance nationale, fonds Claudine Chomat, carton 7 Droits réservés

Détails techniques :

Journal ronéotypé

Date document : Avril 1942

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

"C'est en septembre 1941 que le premier comité de Front national, le FN de la musique, fut formé avec Roger Désormière, Elsa Barraine et Roland Manuel. Bientôt venaient se joindre à eux Auric, Poulenc, Charles Münch et Manuel Rosenthal. Claude Delvincourt, directeur du Conservatoire, avait été nommé par Vichy. Il n'avait accepté ce poste que pour mieux défendre l'enseignement du Conservatoire contre les entreprises idéologiques des Allemands. Pas un des élèves de Claude Delvincourt - Monsieur Julien, dans la Résistance - ne fut déporté en Allemagne. Son bureau était une officine de faux papiers et abrita les réunions secrètes du comité du Front national...". Extraite d'une interview réalisée dès le mois de septembre 1944 par Catherine Morgan, cette citation de Roland-Manuel établit l'existence, dès l'automne 1941, d'un groupement de musiciens résistants, affilié au Front national - mouvement initié par le parti communiste français (PCF) - dans lequel se côtoient, autour d'adhérents et de militants du PCF tels que Roger Désormière ou Georges Auric, l'ancien chef de l'orchestre national, Manuel Rosenthal, et le nouveau directeur du Conservatoire de Paris, Claude Delvincourt.
La création de ce mouvement de résistance fait suite à l'appel lancé en mai 1941 par le PCF pour la constitution d'un Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France. Rassemblant quelques-uns des meilleurs compositeurs, chefs d'orchestres et interprètes français, c'est à une logique d'engagement déterminée d'abord par l'appartenance au corps professionnel de la musique que semble répondre le comité de Front national de la musique. Du PCF à l'Action française, les divergences d'opinions politiques des membres du comité de Front national de la musique sont susceptibles d'exercer des tensions pouvant susciter l'éclatement d'un mouvement certes fédérateur selon une logique socioprofessionnelle, mais dont l'unité est néanmoins conditionnée par un décloisonnement entre milieux étanches en temps ordinaires. Pour le noyau fondateur (Elsa Barraine et Roger Desormière, en liaison avec Pierre Villon et Louis Durey, alors replié en zone non-occupée) il faut s'engager dans un processus d'ouverture à tous les acteurs potentiels d'une Résistance musicale. Elle a ainsi la possibilité de s'épanouir à travers les engagements intentionnels et successifs de personnalités mues par un même idéal-type : défendre le patrimoine musical français, donc lutter pour la liberté et l'indépendance nationale. Le ralliement de Claude Delvincourt revêt alors une importance symbolique, tout autant que sa participation à la rédaction d'un manifeste pour la profession, en octobre 1941.
Il paraît dans le numéro clandestin de L'Université Libre aux côtés de ceux en direction des universitaires, des intellectuels de zone non-occupée, des médecins, des écrivains et des plasticiens. Son intitulé est sans équivoque : "Nous refusons de trahir". Il plaide l'engagement de l'artiste quand Vichy et l'occupant prônent la neutralité. À la formule controversée "L'Art n'a pas de patrie", le comité de Front national de la musique répond : "les artistes en ont une".
Autour du manifeste se regroupent, entre l'automne 1941 et le printemps 1942, Roland Manuel, Georges Auric, Francis Poulenc, Charles Münch, Manuel Rosenthal, Henry Barraud, Irène Joachim, Monique Haas, Marcel Mihalovici, Henri Dutilleux et Geneviève Joy. Autour du journal clandestin Musiciens d'Aujourd'hui dont le titre est dessiné par le plasticien André Fougeron, le groupe développe une résistance originale, spécifique sur plusieurs fronts : Musiciens d'Aujourd'hui tiré à 1.600 exemplaires, Le musicien patriote, et une dizaine de tracts clandestins dénoncent l'aryanisation et la vassalisation de la musique réalisées par l'occupant et l'État français. Dans le même mouvement sont affirmées les positions éthiques à prendre par la profession et la défense du patrimoine musical français et celle des oeuvres des compositeurs étrangers, notamment allemands, mis à l'index. S'ils doivent consacrer une large part de leur temps à des travaux alimentaires, tous font preuve d'une grande activité créatrice et de recherche.
De nombreuses oeuvres sont créées, notamment sur un répertoire de poésie clandestine, des travaux de musicologie sont entrepris. Des créations ou des oeuvres de contrebande sont jouées dans des concerts autorisés ou clandestins. Mais les mentions relatives aux "actions concrètes", ainsi qualifiées par Elsa Barraine, restent mitigées. En effet, l'organisation d'une Résistance musicale se heurte à l'autocensure des musiciens : donner un concert de contrebande en public a pour conséquence la renonciation à l'exercice du métier.
Un éditorial de la feuille clandestine Musiciens d'Aujourd'hui est en partie consacré à la question des contraintes socioprofessionnelles : "mais que peut-on faire si on n'a pas le coeur ou la possibilité de rejoindre les Francs-Tireurs, quand on est un musicien peu préparé à ce rôle ? Eh bien, on peut toujours commencer par refuser à l'ennemi toute collaboration, même si elle n'apparaît que “purement” musicale ! L'échec complet qu'il a subi dans le domaine de la littérature doit nous être une leçon et un exemple". Deux modes d'action sont alors déterminés : la "Résistance passive", qui consiste à refuser de prêter son concours aux manifestations émanant de l'ennemi et à composer des programmes exaltant le sentiment national, et la "lutte active", grâce au regroupement de "musiciens patriotes" au sein de divers comités de Résistance parmi lesquels le Front national de la musique. À l'image de Francis Poulenc qui intègre à une de ses compositions l'air d'une chanson de la guerre de 1870, "Non, non, vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine, et nos coeurs resteront français", les compositeurs du Front national de la musique sont invités à créer des oeuvres glorifiant la France.

Il existe également beaucoup d'autres types de résistance... Les membres du comité de Front national de la musique organisent et développent la solidarité envers leurs collègues juifs exclus, ou en exil : collectes ; planques des biens et des personnes ; fausse déclaration pour la perception des droits d'auteur, etc. Avec d'autres résistants, particulièrement Marie-Louise Böllmann-Gigout, militante de Défense de la France, s'organise la résistance au STO, l'aide aux réfractaires : elle fournit à Claude Delvincourt l'ensemble des faux papiers nécessaires à la dissolution de l'orchestre des Cadets. En liaison avec Jean Rieussec, chef tapissier de l'Opéra de Paris et Camille Dézormes, dirigeants des groupes du Front national à l'Opéra (orchestre et personnels) et dans les théâtres lyriques nationaux, le front économique et social n'est pas délaissé.
Se mettent en place l'organisation des luttes contre le Comité d'organisation des entreprises du spectacle, la défense des conditions de travail et des salaires, l'indépendance des arts du spectacle remis en cause par les accords passés entre la firme allemande Continental et la Metro Goldwin Meyer. Le 18 août 1944, ils se joignent à l'appel à la grève insurrectionnelle lancé par la fédération clandestine des syndicats du spectacle. Un groupe de plus de cent FTP composé d'artistes et de techniciens de l'Opéra et des théâtres lyriques nationaux participe aux combats de la libération de Paris. Quelques élèves du Conservatoire de Paris se joignent à eux : Jean-Claude Touche et Michel Tagrine y laissent leur vie.
Dans le même temps, autour de Pierre Schaeffer, dans le studio d'essai de la radio, les compositeurs, et les musiciens du Front national des musiciens, Henry Barraud en tête, participent à la reconstruction et à la renaissance de la radio de la Libération : une radio de service public assurant l'enseignement et la diffusion de la culture.


Aurélien Poitevin in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Sources et bibliographie : 
Musée de la Résistance nationale, fonds Pierre Villon ; fonds Georges Cogniot ; presse clandestine (Musiciens d'Aujourd'huiL'Université Libre).
Aurélien Poidevin, Claude Delvincourt, un musicien en Résistance (automne 1941 - été 1944), Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction de Danielle Tartakowsky, Université Paris VIII, 2003.
Myriam Chimènes (Dir.), La vie musicale sous Vichy, Ed. Complexe, Coll. Histoire du temps présent, publié en collaboration avec l'Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical en France (IRPMF) / CNRS, Bruxelles 2001. 
Nicolas Guillot (Dir.), Actes du colloque Roger Désormière, Vichy - septembre 1998, Coédition comité pour la célébration du centenaire de la naissance de Roger Désormière / Musée de la Résistance nationale, Vichy 1999. 
Daniel Virieux, Le Front national de lutte pour l'indépendance de la France, un mouvement de Résistance - Période clandestine (mai 1941-août 1944), Thèse de doctorat d'Histoire (à paraître), Claude Willard (Dir.), Université Paris VIII, 1995. 
Daniel Virieux, " La “direction des intellectuels communistes” dans la Résistance française, missions, organisations, pratiques ", in Sociétés & Représentations, publication du CREDHESS, n°15, Paris mai 2003.