Couverture de l'ouvrage Des indésirables
Légende :
Couverture de l'ouvrage Des indésirables, Les camps d'internement et de travail dans l'Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre mondiale, par Vincent Giraudier, Hervé Mauran, Jean Sauvageon et Robert Serre - préface de Denis Peschanski, Valence, éditions Peuple Libre et Notre Temps, 1999, portant reproduction d'une huile sur toile intitulée "Les déshérités", peinte en 1953 par Evaristo Estivill, lui-même réfugié espagnol
Genre : Image
Type : Couverture de livre
Source : © Collection Jean-Louis Issartel Libre de droits
Détails techniques :
Photographie numérique en couleur.
Date document : 1999
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes)
Analyse média
La page de couverture de l’ouvrage présente le titre et le nom des auteurs sous une reproduction d’une œuvre du peintre Evaristo Estivill, une huile sur toile intitulée « Les déshérités ».
Les auteurs de l’ouvrage consacrent une notice à ce sujet : Evaristo Estivill est né en 1923 à Torre del Español dans un milieu paysan. Il fuit le franquisme en février 1939 et connaît la vie des camps d’internés. Après-guerre, tout en travaillant à Lyon dans l’industrie chimique, il peint en autodidacte des personnages faméliques au regard vide... Lors de la parution de l’ouvrage, Evaristo vivait à Vallon-Pont-d’Arc...
L’ouvrage est le résultat d’un travail collectif. 480 pages avec cartes, graphiques, photographies, chronologie de l’internement en France et en Ardèche et Drôme de 1938 à 1946, bibliographie, sommaire et index des lieux. Les auteurs Vincent Giraudier, Hervé Mauran, Jean Sauvageon et Robert Serre sont des historiens locaux qui avaient déjà mené des études portant soit sur la période révolutionnaire dans la Drôme (Jean Sauvagon et Robert Serre), soit sur la résistance au coup d’Etat de Napoléon-III dans la Drôme (Robert Serre), soit sur la résistance espagnole dans les Cévennes (Hervé Mauran), soit sur les « bastilles » de Vichy (Vincent Giraudier).
Leur contribution s’attache à un objet jusqu’alors en grande partie ignoré par la recherche historique : celui du sort réservé aux « Indésirables » français ou étrangers par l’Etat de la fin de la IIIe République à l’avènement de la IVe, avec un coup de projecteur approfondi sur la période de « L’Etat français ».
L’ouvrage, préfacé par Denis Peschanski, chercheur au CNRS, aborde dans une première partie collective les aspects généraux dans leur contexte à la fois national et évolutif, depuis la mise en place des camps d’internement des réfugiés espagnols dans les années 1938 et surtout 1939 par la IIIe République, puis celle des indésirables français (communistes ou assimilés) ou étrangers (allemands surtout) à la fin 1939-début 1940, toujours par la IIIe République, suivis par l’accueil confus des réfugiés fuyant les zones de combats ou les persécutions (juifs étrangers...) au moment de la débâcle ; le régime de Vichy prenant la relève en amplifiant l’internement de personnes pour leur appartenance à un groupe religieux, politique ou racial en dehors de toute décision de justice. D’exceptionnel et temporaire, l’internement devenait la règle. Les auteurs pointent néanmoins les éléments de continuité comme celui des Compagnies de Travailleurs Etrangers (CTE) mises en place en avril 1939, et qui deviennet les Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE) sous Vichy, l’Ardèche comptant notamment ceux de St-Maurice-d’Ibie et de St-Privat (ce dernier comprenant de nombreux juifs étrangers bientôt victimes des rafles et déportés).
Les auteurs notent que les combats de la Libération et la mise en place des nouvelles autorités n’entraînent pas immédiatement la disparition du régime d’exception de l’internement administratif, même si celui-ci prend à nouveau un caractère exceptionnel : en dehors de la réouverture de camps pour les personnes soupçonnées de collaboration, ils notent le maintien des Groupements de Travailleurs Etrangers où se trouvent mêlés Espagnols, mais aussi Italiens.... et la présence (en dehors du cas particulier des prisonniers de guerre allemands) de deux centres pour ressortissants soviétiques (souvent supplétifs de l’armée allemande), bientôt transférés en URSS où les attend un sort peu enviable... Hervé Mauran, qui consacre la dernière partie de l’ouvrage à cette question, note que la IVe République maintient des milliers d’étrangers de toutes nationalités dans des camps jusqu’au début des années 1950 avec un prolongement au moment des guerres coloniales par l’internement de ressortissants indochinois notamment...
Le cœur de l’ouvrage s’intéresse de façon approfondie au fonctionnement de centres ou de camps situés dans la Drôme et en Ardèche.
Pour ce qui concerne l’Ardèche, Hervé Mauran analyse la mise en place de 11 centres d’hébergement pour les réfugiés espagnols dans ce département à partir de la fin février 1939 avec notamment le centre de triage du Champ de la Lioure à Chomérac, un centre reconverti lors de la débâcle pour recevoir des populations fuyant la guerre (Belges notamment) tandis que les personnes d’origine germanique dont beaucoup avaient fui le nazisme avaient été détenues dès septembre 1939 à l’instar de Max Ernst, emprisonné à Largentière avant d’être enfermé au camp des Miles près d’Aix-en-Provence.... À Vinezac, une maison réquisitionnée sert en mai-juin 1940 pour le triage de réfugiés et d’israélites venus de toute l’Europe. Beaucoup de ces derniers seront amenés par les gendarmes lors de la rafle du 26 août 1942.
La question des GTE particulièrement étudiée dans la Drôme, est renvoyée pour ce qui concerne l’Ardèche à la publication d’un ouvrage d’Hervé Mauran qui était alors à paraître, L’archipel oublié : les camps de travail en Basse-Ardèche (1940-1945).
Vincent Giraudier décrit le camp de Chabanet où sont internés dans des conditions de plus en plus dures les «indésirables français », communistes ou assimilés de février 1940 à janvier 1941, avant d’aborder la question de l’internement administratif à Vals-les-Bains d’anciens hauts responsables politiques (Paul Reynaud, Georges Mandel....), ou militaires (général Cochet...) ou d’industriels israélites (Marcel Bloch, constructeur d’avions...) de la IIIe République considérés comme responsables de la défaite par le maréchal Pétain.
Enfin, Vincent Giraudier et Hervé Mauran s’intéressent aux camps « humanitaires » mis en place par Vichy sous l’égide du Service du Contrôle Social des Etrangers : celui de St-Agrève, qui accueille à partir de décembre 1941 les soldats de l’armée polonaise reconstituée en France après l’invasion de la Pologne en septembre 1939, pour la plupart invalides ou convalescents et retirés des GTE, et dont une partie rejoindra la Résistance au sein de l’AS au moment du débarquement en Normandie ; et celui d’Alboussière ,ouvert en mai 1943 pour l’accueil de juifs étrangers, souvent âgés, retirés du camp de Gurs, et qui finiront pour la plupart victimes d’une rafle de la Gestapo le 18 février 1944...
Les auteurs situent à chaque fois le contexte administratif et juridique dans lequel sont enchaînés les « indésirables », le tout étayé par de nombreux et précieux témoignages vivants sur un aspect longtemps ignoré.
Auteur : Jean-Louis Issartel
Sources : Des indésirables, Les camps d'internement et de travail dans l'Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre mondiale, par Vincent Giraudier, Hervé Mauran, Jean Sauvageon et Robert Serre - préface de Denis Peschanski, Valence, éditions Peuple Libre et Notre Temps, 1999.
Contexte historique
La parution de cet ouvrage se place dans un contexte particulier que décrit Denis Peschanski dans sa préface :
« La mémoire sociale a conservé inégalement la trace de ces camps d’internement, d’hébergement, de concentration... qui relèvent tous de mesures administratives et non d’une décision de justice. On oublia souvent que des centaines de milliers d’Espagnols furent internés en février 1939, juste après la défaite de la République espagnole. On oublia surtout que, plus tard, l’administration française participa à une entreprise d’exclusion qui était au cœur du régime de Vichy et à l’organisation qui symbolisaient cette entreprise... car occultation il y eut bien pendant des décennies sur le rôle exact de Vichy. Au sortir de la guerre se mit rapidement en place l’image d’un peuple uni derrière ceux qui avaient effectivement mené le combat de la Résistance. En la matière, gaullistes et communistes se retrouvaient pour renvoyer au peuple français cette image réconciliatrice, garante de la reconstruction nationale et sociale. Le peuple lui-même s’y retrouvait largement. Non qu’il s’assimilât aux résistants eux-mêmes ; il savait pertinemment que la Résistance fut le fait d’une minorité. Mais il se retrouvait dans une communauté de souffrances, chacun ayant à sa façon souffert de l’Occupation.... Il y avait bien cependant les sentiments envers le maréchal Pétain qui venaient troubler le tableau ; c’est cette réalité qu’il était alors impossible de voir. Vichy ne pouvait avoir sa place dans ce dispositif mémoriel, dans cette reconstruction historique de la mémoire sociale. Si le peuple se retrouvait derrière la Résistance et de Gaulle, si les uns et les autres se trouvaient confrontés dans un combat sans merci face à l’Allemagne nazie, il n’y avait pas de place pour un Etat français ayant sa politique et son idéologie propres...
Ce long détour explique pourquoi, plusieurs décennies durant, les travaux sur les camps français d’internement furent très peu nombreux. Mais cela explique également pourquoi depuis une quinzaine d’années (*en 1999), on ne peut plus parler d’occultation quand on évoque Vichy ou sa politique de répression et de persécution. L’actualité judiciaire (instruction Bousquet et Leguay, procès Papon) et les campagnes médiatiques n’ont cessé de revenir sur les diverses facettes de l’Etat français... Dans le même temps, de nombreux historiens ont tenté de mieux analyser et faire connaître la politique d’internement. Certains l’ont fait en s’attachant à telle ou telle catégorie, ainsi les Allemands et Autrichiens, les Juifs, les communistes ou les Espagnols ; d’autres ont privilégié l’approche locale ou régionale. C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit l’ouvrage qui vous est présenté.... ».
Auteur : Jean-Louis Issartel
Sources : Des indésirables, Les camps d'internement et de travail dans l'Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre mondiale, par Vincent Giraudier, Hervé Mauran, Jean Sauvageon et Robert Serre - préface de Denis Peschanski, Valence, éditions Peuple Libre et Notre Temps, 1999.