Henri Caillet
Légende :
Ce cheminot qui a permis de sauver 69 personnes de la déportation.
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Studio photographique de Saint-Rambert-d’Albon
Source : © Collection Annette Michalet, fille d’Henri Caillet Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Date document : 1948
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Andancette
Analyse média
Sur la photographie, Henri Caillet (« Coutrier ») a alors 55 ans, quatre ans après son acte de bravoure qui a permis de sauver 69 personnes de la déportation.
Il aimait bien s'habiller quand il quittait sa tenue de cheminot ou de paysan. Et dans les grandes occasions, il préférait le noeud papillon à la cravate, dit sa fille. Il porte une moustache bien taillée comme c’était la mode alors.
Auteurs :Jean Sauvageon
Contexte historique
Henri Caillet est né le 12 octobre 1893, à Andancette. Il avait donc 50 ans en 1944. Il avait été mobilisé pendant la guerre de 1914-1918 et avait été affecté au groupe cycliste de la 6ème division de cavalerie à Lyon, puis dans le Génie comme sapeur-mineur. Son action courageuse lui avait valu, le 9 juillet 1918, une citation à l’ordre de la 22e Division : « Le 27 mai a fait preuve de courage et de sang-froid en retournant seul, malgré un violent tir de barrage, chercher le fanion et les documents secrets de la compagnie pour ne pas les laisser aux mains de l’ennemi. »
Marié en 1919, le ménage habite dans un des bâtiments de l’usine Saint-Gobain désaffectée dont il assure le gardiennage et en cultivant les terrains attenants. Il entre comme « chauffeur de service », à la SNCF. Rattaché à la gare de Saint-Rambert-d’Albon, il devient ensuite « mécanicien ».
En 1939, Henri Caillet n’a pas été mobilisé, vu son âge. En tant qu’ancien combattant, il aurait pu être séduit par la propagande de la Légion française mise en place par Pétain. Ses convictions l’ont rapidement amené du côté de ceux qui aspiraient à redonner sa dignité à la France. Il avait des contacts avec un groupe-franc de la région. Tous les jours cependant, il assurait son métier de cheminot.
Le 1er août 1944, en début d'après-midi, 71 ou 72 détenus (suivant les sources), Juifs ou politiques, sont rassemblés à la gare de Marseille Saint-Charles, soumis à deux appels en plein soleil, puis enchaînés par deux et chargés dans un wagon de voyageurs sous la surveillance de douze soldats allemands commandés par un sous-officier. Le convoi inclut aussi un wagon postal.
Le court voyage vers Lyon traîne en longueur : bombardements alliés, sabotages sur les voies, entraves des cheminots accumulant les difficultés. Au cours des arrêts forcés dans les gares, les cheminots, avertis par les deux postiers, apportent à boire aux prisonniers.
Ce n'est que le 3 août que le train atteint Le Teil, sur la rive droite du Rhône, en Ardèche. À 11 h 45, l'état-major FFI (Forces francaises de l’intérieur) prévenu donne ordre à un corps-franc et un groupe FTPF (Francs-tireurs et partisans français) bien armés de libérer les prisonniers du train. Mais le train repart avant leur tentative. Toutes les gares suivantes sont prévenues, mais les conditions d’interception ne sont jamais réunies.
Vers 21 heures, le train est en gare de Peyraud (Ardèche). Une alerte aérienne le contraint à une longue attente. Le lieutenant Novat, des FFI de l’Ardèche, est chargé de diriger une opération de récupération. Un petit groupe s'infiltre dans la gare. Constatant que le train de déportés voisine avec un train de militaires ennemis, il est convenu d'utiliser la ruse : diriger le train vers une autre voie, la ligne de Saint-Rambert à Firminy passant par Annonay. Un groupe d'hommes déguisés en aiguilleurs inspecte le convoi.
Pendant ce temps, à Saint-Rambert-d'Albon, sur la rive opposée du Rhône, deux cheminots drômois sont au travail : le mécanicien Henri Caillet, et son chauffeur Rigoudy trient les wagons. On les prévient qu'ils doivent aller assurer le dépannage d'un train à Peyraud. Ils mettent en route une locomotive et vont s'accrocher au train.
Au moment de partir, un résistant les informe de ce qu'on attend d'eux : transporter 72 déportés avec leurs gardiens allemands jusqu'à Annonay. Caillet accepte immédiatement cette tâche bien particulière. Un problème, cependant, le préoccupe : sa locomotive à grandes roues, faite pour les rapides, franchira-t-elle la rampe de Peyraud ?
Caillet et son compagnon chargent un tas de mâchefer qui, jeté devant les roues, les empêcherait de patiner. Les surveillants allemands ne se rendent compte de rien.
Après Peyraud, dans la pente qui oblige à ralentir, un Allemand a un doute sur la destination. Il vient lui mettre sa mitraillette sur le ventre. Caillet saisit le canon de l'arme et dévie le tir dans le charbon du tender. Mais sa main est profondément brûlée. Il intime l’ordre à son chauffeur de charger le foyer à bloc. Une bagarre sans merci oppose Caillet et le soldat allemand handicapé par ses chaussures cloutées sur le plancher métallique de la locomotive. Caillet réussit à attraper un bloc de charbon avec lequel il assomme son adversaire dont il cache le corps inerte sous le cendrier de la locomotive.
Vers 3 heures du matin, le train arrive près d’Annonay. Les résistants ardéchois, renforcés par quelques Américains récemment parachutés, sont en place sur les hauteurs et cernent le convoi. Le chef du détachement vient voir ce qui se passe : il est cueilli par les maquisards. La bataille se déclenche.
Le deuxième sous-officier allemand prend le commandement. Il fait coucher à terre les déportés. Les résistants tirent ; les Allemands ripostent. Au lever du jour, après avoir immobilisé les locomotives au bazooka, les maquisards attaquent. Les Allemands se servent des déportés comme boucliers : trois sont mortellement touchés. Finalement les Allemands, dont trois sont blessés, se rendent et sont faits prisonniers.
On brise les chaînes des déportés. Trois d’entre eux ont été tués, les 69 autres sont emmenés à Saint-Agrève où ils resteront cachés jusqu'au 1er septembre 1944 avant de retrouver une vie normale. Après avoir été soigné de ses blessures, Caillet peut rentrer chez lui, ainsi que Rigoudy.
Ce sont les résistants ardéchois qui ont imaginé et réussi ce coup de force. Mais il a bien fallu que le cheminot Henri Caillet fasse preuve, à nouveau, de détermination et de courage. Il a certainement envisagé que pour sauver ces déportés il risquait sa propre vie.
Henri Caillet a repris son métier de cheminot. Mais dans les jours qui ont suivi, Raymond Barthelmess, un écrivain connu sous le nom d’Henri Calet, qui a dirigé à la fin de la guerre, l’usine d’électrocéramique d’Andancette, a narré cet épisode dans un texte. La mise en évidence de cet acte de courage a certainement aidé à ce qu’Henri Caillet soit cité à l’ordre de la brigade, par le colonel Descour, commandant la 14e Région militaire et chef régional FFI :
« Mécanicien SNCF a détourné un train de déportés en partance de Saint-Rambert-d’Albon, le 5 août 1944 et l’a conduit à la gare d’Annonay qui était occupée par les Forces Françaises de l’Intérieur. A soutenu seul sans armes pendant le trajet une lutte contre un Allemand armé d’une mitraillette, qui s’était aperçu de la fausse destination du train.
A réussi à se débarrasser de son ennemi et à conduire sa machine jusqu’à la gare permettant ainsi la libération de 72 déportés et la capture par les FFI du détachement allemand de surveillance. A été blessé pendant l’occupation.
La présente citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec Étoile de bronze.
Lyon, le 5 septembre 1945. »
Au cours des deux guerres, Henri Caillet a fait preuve d’une courageuse détermination face au danger. Ils sont peu nombreux ceux qui ont eu deux citations lors des deux guerres, c’est le cas d’Henri Caillet, cité et décoré à 25 ans et à 51 ans. Henri Caillet est décédé en 1954. Pendant les 10 ans de vie qui ont suivi cet évènement, il ne voulait pas qu’on le considère comme un héros. Cependant, sauver 69 personnes de la déportation et d’une mort quasi certaine dans les camps, permettre par son acte la capture de 12 soldats ennemis est un exploit dont peu d’hommes ou de femmes peuvent être fiers. Il n’avait « réclamé ni la gloire ni les larmes », comme le dit Aragon. Henri Caillet ne remplissait pas les conditions de reconnaissance de Combattant volontaire de la Résistance. Pourtant comme d’autres Drômois, des femmes notamment, il a fait son devoir, tout simplement. Mais, on ne trouvera pas son nom dans les fichiers officiels.
Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.