Colonne de prisonniers allemands

Légende :

Colonne de prisonniers allemands conduits de Romans-sur-Isère à Mours-Saint-Eusèbe par des maquisards

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Collection Robert Serre Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : Début septembre 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

Sous la surveillance de FFI armés (Forces françaises de l’intérieur), une colonne assez désordonnée de prisonniers de guerre allemands se rend à pied de Romans à Mours-Saint-Eusèbe. Ces PG (prisonniers de guerre) sont correctement vêtus et ne paraissent pas souffrir d’une discipline abusive. Ils seront regroupés quelques jours à Mours avant d’être dispersés vers de nouvelles affectations. En arrière-plan, au nord, on distingue la colline qui domine le village de Mours.


Auteur : Robert Serre

Contexte historique

Après la capitulation allemande du 8 mai 1945, il y a en France environ un million de prisonniers de guerre (PG) de l’Axe, pour l’essentiel allemands, dont les trois quarts ont été cédés, dans un état physique déplorable, par les Étatsuniens. Six fois plus qu’après la Première Guerre mondiale ! Dans un pays en ruines, où plus rien ne marche, où les Français souffrent encore d’une pénurie qui ne peut disparaître du jour au lendemain, leurs conditions de vie ne peuvent être bien fameuses.

La principale tâche à laquelle on va les employer sera évidemment de participer à l’effort de reconstruction. Pour le gouvernement français, le recours au travail des PG allemands est une nécessité vitale pour l'économie nationale. La population estime que c’est une compensation légitime alors que le pays manque de main-d’œuvre.
Mais comment loger, vêtir, alimenter un million d’hommes dans une France exsangue ?
L’organisation mise en place par l’autorité militaire pour gérer un tel nombre de prisonniers ne peut surmonter des difficultés quasi insolubles avant 1946, voire 1947. Les premiers temps sont marqués par les insuffisances et l’improvisation : les prisonniers sont logés dans les endroits disponibles, parfois à l’extérieur, l’hygiène est négligée, on n’a plus de linge ou de vêtements, l’alimentation est insuffisante. La ration alimentaire augmente en octobre 1945. Mais le Comité International de la Croix-Rouge ne l’estimera normale qu’à partir du printemps 1947.

Durant les premiers mois, les PG sont internés dans des camps. Dès la fin de l’année 1945, ils sont progressivement intégrés à des commandos de travail, sur des chantiers communaux, dans des usines ou chez des particuliers. La population française, d’abord inquiète, les accepte assez bien et leur situation s’améliore. En majorité, ils travaillent à la campagne, chez des paysans, et échappent ainsi au contrôle de l’armée.

Dans ces conditions de détention souvent difficiles, on relève un nombre important de décès en 1944 et encore en 1945. Il faut cependant relativiser : leur proportion est moins forte que celle des PG français morts en Allemagne de 1940 à 1945. Les causes principales sont la maladie et les explosions de mines.
Cinquante mille PG allemands sont en effet employés dans le déminage, malgré la Convention de Genève de 1929 qui interdit l’emploi de PG à des travaux dangereux. Là aussi, il faut relativiser : ils localisaient les engins, mais leur neutralisation était confiée à des démineurs français professionnels. Dans ce travail dangereux, la vie des prisonniers a bien été exposée, mais les périls ont été partagés : le nombre de morts allemands dans le déminage est d’ailleurs inférieur à celui des démineurs français (5,15 % contre 6 %).

Les autorités françaises vont se heurter à une double accusation : celle des Américains, celle d’une bonne partie de l’opinion française. La presse américaine accuse la France de mauvais traitements et de non-respect de la Convention de Genève. En France, la Croix-Rouge, l’aumônerie catholique, la presse, surtout nationale, alertent l’opinion à partir de septembre 1945. Témoignage chrétien, Le Figaro ou Le Monde développent autour du thème : « Un prisonnier, même allemand, est un être humain ». Ces écrits argumentent sur le refus de la loi du talion, sur les conditions parfois déplorables de captivité et sur les décès. De Gaulle lui-même expose qu’il convient de bien traiter ces hommes, pour des raisons humanitaires d’abord, mais aussi pour préserver la réputation internationale de la France et pour obtenir une plus grande efficacité dans les travaux.
Les accusations concernent en fait des pratiques individuelles que les autorités françaises reconnaissent en août 1946, dénonçant « des cas de mauvais traitement de la part d’une population qui venait de souffrir durement de l’occupation, à un moment où l’on découvrait les horreurs nazies des camps de concentration, et où les déportés regagnaient leurs foyers ».
Cette façon d’agir, on le comprend, se rencontrait fréquemment lors de la Libération et dans les moments qui l’ont suivie. Emmanuel Mounier décrit l'attitude d'une partie de la population de Dieulefit vis-à-vis de prisonniers allemands à la fin août 1944. Deux prisonniers allemands, un soldat blessé et une auxiliaire féminine, sont amenés en voiture et remis aux gendarmes. Des curieux, échauffés par la rumeur d’une exécution à proximité, puis par la supputation de l’un d’eux, voyant dans des deux prisonniers le chef de la Gestapo de Montélimar et sa femme, étaient à deux doigts de sortir le blessé et de l'achever.
Si l’on excepte ces cas de comportements outranciers, la dureté des conditions de détention des PG allemands provenait avant tout de l’impréparation et du délabrement matériel de la France à la Libération, et non d’une volonté de vengeance à l’égard des anciens occupants.

Les prisonniers sont progressivement libérés et rapatriés : en avril 1946, on en compte encore 810 000 ; en août, 660 000 ; au 1er janvier 1947, 630 000 ; en août 1947, 466 000 ; au 1er janvier 1948, 300 000 ; en juillet 1948, 105 000. En décembre 1948, les derniers sont libérés. Près de 140 000 choisissent de rester en France avec un statut de travailleur civil libre. Certains ont donc été captifs pendant plus de 4 ans. Cette longue durée nourrit aussi des griefs américains, surtout à partir de la mise en place du plan Marshall qui renforce la pression des USA sur la France pour resserrer les rangs occidentaux face à l’URSS. Mais ce départ est finalement difficile à accepter de la part des Français.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007. Fabien Théofilakis, « Les prisonniers de guerre allemands en mains françaises dans les mémoires nationales en France et en Allemagne après 1945 », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 100 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2010, Consulté le 25 septembre 2010. URL : http://chrhc.revues.org/index691.html. Durand Yves, Histoire générale de la Deuxième Guerre mondiale, Bruxelles, Editions Complexe, 1997. Azéma Jean-Pierre, Bédarida François, 1938-1948 Les années de tourmente, dictionnaire critique, Flammarion, 1995.