Le sabotage: derrière la technique, la question de l'opportunité

Légende :

Deux extraits de deux documentaires réalisés juste après la Libération reconstituent les deux techniques principales du sabotage des voies ferrées (le principal type de sabotage effectué en France sous l’Occupation).

Genre : Film

Type : Film

Source : © Ciné Archives - Fonds audiovisuel du PCF - Mouvement ouvrier et démocratique Droits réservés

Détails techniques :

Montage de deux extraits vidéos
Durée totale : 58 secondes

Date document : Sans date [1944]

Lieu : France

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Analyse média

Les premiers sabotages de voies ferrées, au deuxième semestre 1941, ont eu des résultats très variables car ils étaient réalisés avec des explosifs récupérés et sans grande concertation avec les cheminots et leurs connaissances. Ceux-ci ont ensuite aidé à mettre au point la technique du sabotage par écartement des voies, qui se révéla  bien meilleure,  jusqu'à ce que les Alliés parachutent des explosifs accompagnés d'un système précis de déclenchement à retardement. Ces explosifs étaient plus rapides à mettre en place et moins visibles que le "détirefonnage" (déboulonnage). Cela dit, celui-ci continua à être largement utilisé, d'une part parce que lesdits explosifs n'arrivaient pas partout, mais aussi parce que cette technique restait rentable pour les lignes à trafic faible ou peu surveillées.

Le premier extrait provient du film 10 minutes sur les FFI, monté sans doute durant l’hiver 1944 à partir de séquences déjà montrées dans les actualités filmées de la Libération. On entrevoit la technique du "détirefonnage" (déboulonnage)  Déboulonner les éclisses et dévisser les tire-fonds des rails nécessitait le matériel des cheminots (une clé à tirefonds, avec deux hommes pour la manier), et des connaissances précises pour obtenir le meilleur résultat. La longueur du déboulonnage à effectuer variait suivant le type de rail. Il fallait aussi reconstituer une liaison entre les rails par un fil conducteur de fer ou de cuivre (la signalisation des voies passait par un fil à courant très faible longeant les rails). En ligne courbe, on conseillait de déboulonner le rail extérieur et en ligne droite, le rail intérieur pour que le déraillement bloque la voie à double sens. Et les meilleurs endroits étaient l'entrée d'un tunnel ou les abords d'un pont ou, s'ils étaient gardés, un secteur où la voie était soit encaissée, soit surélevée par rapport au terrain environnant.

Le deuxième extrait est tiré du film R5. Autour d’un maquis, qui reconstitua juste après la Libération les faits d’armes en Limousin du maquis de Georges Guingouin. Il montre un sabotage par explosifs, avec du matériel parachuté. Plusieurs pains de plastic sont disposés le long d'un rail, reliés entre eux par un fil et actionnés par un crayon allumeur à retardement. L' homme armé d'un pistolet mitrailleur Sten a une fonction de guet et de protection - ce qui, en creux, souligne que ce type de sabotage se distingue par sa rapidité de mise en place, particulièrement utile sur secteurs où la surveillance des voies ferrées es renforcée.


Bruno Leroux

Contexte historique

Le sabotage ferroviaire était un mode d’action éminemment problématique. Il nécessitait une grande fiabilité des renseignements sur la circulation des convois, sous peine de faire dérailler un train de voyageurs français par erreur. Il fallait donc s'assurer la complicité de cheminots pour les obtenir. Or, ceux-ci pouvaient être réticents puisque les sabotages causaient fréquemment des pertes chez les « roulants » (mécanicien ou chauffeur).

Cependant, en 1943-1944, la majorité du trafic ferroviaire français s’effectuait de plus en plus au bénéfice de l’Allemagne nazie, qui était lancée dans une guerre totale sur plusieurs fronts. Aussi les Alliés ont-ils décidé qu'un de leurs objectifs majeurs devait être la destruction des voies ferrées, des convois qui les empruntaient, et de tous les matériels et installations servant à leur entretien : grues de relevages, triages, rotondes et ateliers de réparation.

Du coup la vraie alternative pour les résistants est devenue de convaincre les Alliés de les laisser effectuer un sabotage plutôt que d'utiliser l'aviation. Car bombarder les installations fixes causait de nombreuses victimes civiles, et les mitraillages de trains en circulation par les avions occasionnaient aussi des pertes chez les « roulants » français. Les sabotages ont fait un bond à partir de l’été 1943 (passant de 30 à 100 déraillements par mois), puis un autre bond à partir du printemps 1944, dans la perspective du débarquement.

Cependant, aux yeux des Alliés, les résultats des bombardements étaient plus tangibles que ceux des sabotages, que les rapports reçus de France peinaient souvent à confirmer.  Des tests de sabotages ciblés à l'échelle régionale ne les ont pas convaincus. Or, l'efficacité primait, dans la perspective de la réussite du débarquement. De ce fait, malgré l'accroissement des sabotages, l’Etat-major interallié a imposé à partir de mars 1944 une campagne de bombardements massifs sur les installations ferroviaires fixes et a repris les mitraillages de trains après quelques mois d'interruptions. Le prix à payer se monta à plusieurs milliers de victimes civiles, dont de nombreux employés de la SNCF habitant dans les « cités cheminotes » proches des installations visées.

Dans les années 1990, on a parfois reproché rétrospectivement aux résistants de ne pas avoir utilisé le sabotage ferroviaire pour stopper les convois de Juifs déportés de France vers les camps d'extermination C'est oublier que les convois transportant des résistants déportés, aussi nombreux, n'ont pas fait l'objet non plus de sabotages. En fait, ignorants de la nature exacte de l'univers concentrationnaire nazi, la plupart des résistants imaginaient que leurs camarades déportés étaient envoyés dans des sortes de camps de travail, puisqu'au même moment les Allemands imposaient à des centaines de milliers de Français le travail obligatoire en Allemagne. A plus forte raison les résistants étaient-ils incapables de prendre la mesure du génocide que les « évacuations vers l'Est » signifiaient pour les Juifs.

Mais il y a aussi des raisons purement pratiques. D'une part, ces types de transports étaient particulièrement surveillés et gardés par l'occupant. Surtout, stopper un train transportant plusieurs centaines de personnes pour prendre en charge celles-ci et les "planquer" en quelques heures dans les environs est un exploit qui n'était envisageable que dans des conditions exceptionnelles: les très rares exemples qu'on connaisse, en France où dans d'autres pays occupés, se situent au moment où l'occupant allemand est en pleine retraite.


Bruno Leroux