Pourquoi les résistants fabriquent déjà des "pins"
Légende :
Insigne combinant trois emblèmes résistants : le V, la Croix de Lorraine et la devise républicaine.
Type : Objet
Producteur : Cliché Denis Gliksmann
Source : © Collection Maurice Bleicher Droits réservés
Détails techniques :
Dimensions : 36 x 27 mm
Date document : Sans date [1942]
Lieu : France
Analyse média
Cet insigne se compose de trois parties reliées par des soudures en étain: le V est raccordé par sa base à une Croix de Lorraine et par le sommet à la partie supérieure d'une pièce de 25 centimes de l'époque, portant la devise républicaine (pièce de type Lindauer, en circulation entre 1914 et 1940).
Il semble correspondre à l'insigne diffusé à partir de 1942 par le mouvement Lorraine dans la région de Nancy, d'après les mémoires d'un de ses responsables, Nicolas Hobam. Celui-ci reproduit l'insigne sur la couverture de son livre, qui inclut aussi une photo d'un de ses camarades l'arborant. Certes, sur ces deux reproductions, la fabrication est légèrement différente de l'insigne montré ici : l'arc de cercle Liberté Egalité Fraternité déborde de part et d'autre du V. Mais plusieurs séries ont pu être fabriquées, avec des variantes.
Selon Hobtam, l'insigne a été dessiné par "un artiste de Nancy" et fabriqué par M. Lamontagne, commerçant à Toul. Les exemplaires "étaient vendus pour un prix minimum de 20 francs. Le bénéfice que l'on pouvait ainsi réaliser servait à donner des subsides aux familles dont les membres avaient été arrêtés et à confectionner des colis à ceux du groupe arrêtés".
La singularité de cet insigne réside dans la combinaison de trois emblèmes, correspondant à trois opinions qui ne se cumulaient pas forcément: le V de la Victoire, signe de la sympathie pour la cause des Alliés; la Croix de Lorraine, signe de la sympathie pour la France libre dirigée par de Gaulle, et la devise républicaine, signe d'un refus de Vichy.
C'est justement en 1942, date de création de cet insigne, que le rapprochement entre les groupes de résistance et la France libre se concrétise par des missions que le général de Gaulle envoie en France afin d'obtenir le ralliement des principaux mouvements. Et c'est aussi cette année-là que, le discrédit de Vichy étant avéré, la France libre met en avant la devise "Liberté Egalité Fraternité", alors qu'auparavant elle se tenait officielllement dans un apolitisme prudent (symbolisé par la devise "Honneur et Patrie" de son émission à la BBC).
Fabrice Bourrée et Bruno Leroux
Source :
Nicolas Hobam, Quatre années de lutte clandestine en Lorraine, Nancy, chez l'auteur, 1946, couverture, pp. 35, 70, 262-263, 266-267, 273-274, 287, 289 (photo du capitaine Mennegand)
Contexte historique
Le port d'insignes résistants est attesté dès l'automne 1940: la police parisienne relève que "quelques partisans de l'ex-général de Gaulle se manifestent dans la capitale et plus particulièrement au quartier latin, en arborant la Croix de Lorraine". Quand la BBC lance au printemps 1941 la campagne des V (pour Victoire), les V inscrits sur les murs se combinent souvent avec des Croix de Lorraine, et cela se reflète ensuite dans des insignes, parfois simplement découpés dans du carton. Les Allemands interdisent alors la vente des objets rappelant ces emblèmes. Mais certains groupes résistants commencent à fabriquer artisanalement ces ancêtres des "pins" et les vendent discrètement à leurs sympathisants pour se financer. S'ils sont arborés en public, c'est souvent dans des manifestations patriotiques.
Les insignes combinant des emblèmes différents renvoient souvent à des étapes précises de l'histoire de la Résistance. On en a un bon exemple après la création du Conseil national de la Résistance en mai 1943, qui comprend des représentants des mouvements, partis et syndicats résistants et est présidé par le représentant du général de Gaulle en France, Jean Moulin. Pour symboliser l'allliance entre de Gaulle et la Résistance intérieure autour du refus de Vichy, le chef d'état-major de l'Armée Secrète, Dejussieu, fait fabriquer chez Michelin des insignes en vue des manifestations patriotiques du 14 juillet 1943. Ces "pins" sont des croix de Lorraine en laiton, qui portent sur une face la date de la fête républicaine ("13-14 juillet 1943") et sur l'autre les noms des trois grands mouvements de résistance de zone sud (membres du CNR): Combat-Libération-Franc-Tireur.
Bruno Leroux
Source :
Bruno Leroux, article "Croix de Lorraine", in François Marcot (dir.), Dictionnaire historique de la Résistance, Laffont, 2006, p. 925-927
Couverture du livre de Nicolas Hobam, Quatre années de lutte clandestine en Lorraine
Collection Maurice Bleicher, doits réservés
Nicolas Hobam, Quatre années de lutte clandestine en LorraineZoom sur l'insigne
Collection Maurice Bleicher, droits réservés