Fascicule de l'abbé Fraysse, 1946

Légende :

Fascicule intitulé « De Francfort à Dachau : souvenirs et croquis », publié en 1946 par l'abbé René Fraysse, auteur des textes. Les croquis ont été réalisés par Ferdinand Dupuis, déporté à Dachau, où il a partagé le même baraquement que l'abbé Fraysse

Type : Fascicule

Source : © AD Ardèche 70 J 54-2 Droits réservés

Détails techniques :

Fascicule de 80 pages de textes et dessins légendés.

Date document : 1946

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche

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Analyse média

Le titre de ce fascicule publié en 1946 par l'abbé René Fraysse rappelle son itinéraire de Francfort à Dachau entre avril 1943 et mai 1945.

Cet ouvrage est préfacé par Edmond Michelet, ministre des Armées en 1946, et par Michel Riquet, SJ (jésuite), tous deux également anciens déportés à Dachau.

Ce petit livre comporte trois parties, successivement intitulées : « À travers les mailles de la Gestapo », « Dans le filet » et « Dachau », cette dernière bien plus étoffée que les deux premières.

Accompagnant le texte, des dessins simples mais très expressifs montrent avec réalisme le quotidien et la vie dans ce camp de concentration : exemples de l'arrivée de détenus au char de la mort, en passant par le départ en kommando... Ils sont dus à Ferdinand Dupuis, séminariste angevin, né le 23 mars 1922. Requis pour le STO, F. Dupuis est employé dans une usine de Francfort qui fabrique des pièces pour l'aviation. Arrêté, il est incarcéré à la prison de Damstadt, puis transféré à Dachau, matricule 80 118.
Libéré le 29 avril 1945, de sérieux problèmes de santé l'obligent à séjourner en sanatorium. Il avait souhaité garder l'anonymat, mais une lettre d'Edmond Michelet qui lui est adressée permet de connaître l'auteur des croquis :

« Mon cher abbé, 
J'ai gardé trop vif le souvenir des mauvaises heures que nous avons passées ensemble à l'infernale infirmerie des typhiques de Dachau, pour ne pas vous féliciter d'avoir tenu à conserver le souvenir de ces mauvais jours par les croquis que vous nous montriez à la dérobée (parce qu'ils auraient pu – s'ils avaient été découverts – vous conduire vous savez où) ».

En 1998, Marie-Hélène Reynaud a inséré la brochure de l'abbé Fraysse dans son livre René Fraysse, de l'Ardèche à Dachau, prêtre jusqu'au bout de l'enfer.


Alain Martinot

Contexte historique

René Fraysse naît en juillet 1912 à Privas (Ardèche), où ses parents sont boulangers.

Scout dès l'âge de 11 ans, il entre au petit séminaire d'Aubenas en classe de troisième, puis au grand séminaire de Viviers en 1931. Il est ordonné prêtre le 5 juillet 1937.

À Annonay, après avoir été surveillant au collège du Sacré-Cœur, il est chargé de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) et nommé adjoint au responsable scout, soit deux mondes différents qu'il va suivre de Francfort à Dachau.

Sur un cahier d'écolier, il note ses impressions, liées notamment à la guerre et à la défaite. Ainsi, le 11 juillet 1940 - la veille, le maréchal Pétain avait obtenu les pleins pouvoirs, écrit-il : « Nous allons perdre ce bien le plus précieux, notre liberté... l'Allemagne nous gagne à sa façon de voir - nous nous mettons à l'unisson : journaux, radio, conversation... »

Son parcours entre 1943 et 1945 découle directement de l'instauration du Service du Travail (STO) en février 1943. Devant le refus du régime nazi d'autoriser une aumônerie des travailleurs qui n'ont pu échapper au STO, la hiérarchie catholique décide la création d'une aumônerie clandestine, appelée à constituer un front spirituel de résistance. Cette forme de résistance ainsi que le départ volontaire de René Fraysse en Allemagne, par amitié pour les jeunes du STO, comme par apostolat, l’amèneront à devoir se justifier auprès de résistants et de réfractaires au STO devenus maquisards. Des partisans de Vichy, abhorrant toute idée de résistance, le considèrent comme un traître.

« Mais derrière ces ombres apparaît la lumière. Des hommes se sont trouvés là, laïcs ou religieux, de gauche ou de droite, qui, au jour de l'épreuve, ayant dès longtemps accepté la mort, sont allés au secours de leurs frères oubliés... »

Au siège de l’aumônerie générale à Paris, René Fraysse choisit Francfort, puis signe au bureau d'embauche son contrat de manœuvre perceur. Arrivé à Francfort le 30 avril 1943, il travaille pour la firme VDM qui fabrique des pièces détachées pour l'aviation.
Le 20 avril 1944, sur dénonciation, il est arrêté par la Gestapo pour organisation de la JOC, sabotage du travail et écoute de radio Londres.

Après un séjour en prison - et en particulier dans une cage à poules pendant plus de trois mois - il arrive à Dachau, début octobre 1944. Sous le matricule 113 095, il connaît d'abord le block de quarantaine : « 21 jours... destinés à nous dépersonnaliser... premiers pas d'une entreprise d'abrutissement qui devait transformer les Hommes en bêtes ».

Ensuite, il rejoint le block 26 où sont regroupés plus de 400 prêtres de 25 nationalités, les SS craignant que leur influence ne se fasse sentir sur les autres déportés. « Si la souffrance éloigne parfois de Dieu, le plus souvent, elle y ramène », témoigne l'abbé René Fraysse.

L'infirmerie, où « toutes les misères de l'humanité semblent s'être données rendez-vous », est dotée de quatre stations de recherches où les détenus servent de cobayes. 
À la mi-décembre 1944, le typhus se propage et, en trois mois et demi, 10 000 déportés sur 35 000 trouvent la mort. Les fours crématoires ne suffisant plus, des charniers sont creusés.

L'avancée de l'Armée rouge sur le front de l'Est conduit à Dachau une nouvelle « masse » de déportés.

Alors que l'aviation alliée s'active au-dessus du camp de Dachau, le général Delestraint, Vidal, chef de l'Armée Secrète (AS), est assassiné le 19 avril 1945.

Le 26 avril, les détenus juifs sont rassemblés et, le 27, dirigés vers la gare et enfermés dans des wagons ouverts par les alliés le 29 (60 survivants sur 2 400).

Le 27 avril, Allemands, puis Russes et Italiens (16 000 détenus) quittent à pied le camp et nombreux sont ceux qui meurent d'épuisement ou sous les coups des SS.

Le 28, les SS fuient tous, à l’exception de 80 hommes chargés du maintien de l'ordre, qui vont être supprimés par les Américains le 29 avril - seul le chef de camp est épargné.

Le 29, la joie est indicible à la vue des drapeaux blancs aux bâtiments des SS et à l'arrivée des Américains.

Le ravitaillement abondant des jours suivants cause la mort de certains déportés.

Ce n'est que le 27 mai 1945 que fut organisé le rapatriement en camion vers la France. De retour de déportation, il reprend ses activités à la JOC, puis son évêque le nomme en 1961 aumônier de Vidalon, cité ouvrière de la paroisse de Davézieux. La chapelle appartient à l'entreprise Canson et Montgolfier, et l'abbé Fraysse est rémunéré comme agent de maîtrise. 

En 1977, l'entreprise cède la chapelle au diocèse et René Fraysse devient curé de Vidalon, jusqu'à sa mort en novembre 1985.


Auteur : Alain Martinot

Sources :

Marie-Hélène Reynaud, René Fraysse, de l'Ardèche à Dachau, prêtre jusqu'au bout de l'enfer, Davézieux, Impr. Volozan-Groupe Guichard, 1998.

Archives départementales de l'Ardèche - AD07 70 J 54.