Le temple d’Aouste-sur-Sye

Légende :

La Grande Rue à Aouste, avant la guerre. Le temple est au premier plan, à droite.

Genre : Image

Type : Carte postale

Producteur : Poreaud

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Document papier. Format carte postale.

Date document : Avant guerre

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Aouste-sur-Sye

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Analyse média

Cette carte postale a été prise avant la guerre dans un temps où les voitures automobiles n’avaient pas envahi la rue. Une charrette est garée devant le temple. De l’autre côté de la rue, c’est un tombereau. Quelques personnes posent pendant la prise de vue.

La rue est la voie principale qui traverse le village, c’est la route nationale qui emprunte la vallée de la Drôme et relie Crest, en aval, à Die, en amont, puis au-delà vers les Hautes-Alpes. Aujourd’hui, la circulation plus intense emprunte une déviation qui évite cette traversée du village relativement étroite.

Le pasteur Marc Boegner a été consacré en septembre 1905. En octobre, il prend en charge la paroisse d’Aouste-sur-Sye, à quelques kilomètres de Crest où il s’est formé auprès de son oncle, le pasteur Tommy Fallot qui exerça sur lui une influence déterminante.

Le pasteur Boegner présidera la Fédération nationale des Églises réformées. Il a gardé des relations et surtout une ascendance importante sur les protestants drômois.

La Drôme est un département à forte minorité protestante. Le pourcentage des huguenots était de l’ordre de 11 à 12 % au milieu du 19e siècle, ils étaient toujours autour de 11 % en 1955, soit plus de 30 000. Des trois consistoires, celui de Valence est prépondérant en nombre avec près de la moitié des fidèles. Mais certains cantons affichent des proportions de protestants rares : 48 % à Die, 59 % à Bourdeaux, ils sont fortement implantés à Dieulefit sans y être majoritaires.


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

Éclairés et guidés par un chef rayonnant mais avant tout souverainement libres, individualistes et volontaires, des protestants drômois participent d’autant plus volontiers à la Résistance qu’ils se déclarent politiquement de gauche ; alors que, plus particulièrement parmi ceux qui votent à droite, d’autres soutiennent le régime de Vichy et sa politique.

Au cours des années d'occupation, les secrétaires généraux de la police, les fonctionnaires de la sûreté nationale, les inspecteurs généraux des camps connaissent la Fédération protestante de France comme une fédération d'Églises qui ne prend jamais le parti de l'iniquité et des atteintes à la dignité de la personne humaine.

Ancien pasteur de la paroisse d'Aouste-sur-Sye, le pasteur Marc Boegner préside cette Fédération qui réunit les Églises issues de la Réforme, tout en cumulant les fonctions de président de l'Église réformée (la plus importante Église membre de cette Fédération) et de président du comité administratif du conseil œcuménique des Églises, dont seule l'Église catholique ne fait pas partie. Aussi, dès l'avant-guerre, puis, ensuite, pendant le conflit, l'occupation, et à la Libération, « le pasteur Boegner, quand il s'exprime, parle au nom des Églises protestantes de France et du monde entier », remarque Roger Mehl, son biographe. Dès le 17 mai 1940, le conseil de la Fédération protestante de France précise au pasteur Boegner que « sa place est auprès des pouvoirs publics » pour s'informer, réclamer, « s'assurer que la France ne commettra pas d'actions contraires à l'honneur » et protester, protester sans relâche. Protester contre l'obligation faite aux fonctionnaires, magistrats et officiers d'être nés de parents français ; protester contre le serment d'allégeance qu'on veut imposer aux pasteurs ; protester contre la manipulation de la jeunesse et la création d'une « Jeunesse unique » ; protester contre les interdictions d'émissions religieuses à la radio ; protester contre l'utilisation des Églises comme moyen de propagande ; protester contre la livraison à l'Allemagne de réfugiés allemands venus chercher asile en France ; protester surtout contre les lois raciales et l'antisémitisme, dont le pasteur Boegner a horreur depuis l'affaire Dreyfus. C'est toujours la logique de l'Évangile qui le conduit encore à protester alors que la victoire est proche, contre les excès à la Libération.

À la tête de la Fédération, il multiplie donc les contacts et s'entretient avec les plus hautes autorités de l'État mais aussi avec "les uns et les autres". En 1939 déjà, il est en liaison étroite avec le pasteur Henri Roser que suivent les pasteurs Trocmé et Theis qui, durant l'Occupation, vont organiser au Chambon-sur-Lignon le sauvetage de milliers de Juifs. Il ne parvient pas à empêcher la condamnation à la prison de Roser en dépit du fait que celui-ci n'adhérait pas à la prise de position des objecteurs de conscience. En octobre 1940, il reproche à l'Église officielle d'Allemagne son silence en face du racisme et des persécutions inhumaines.

À partir de novembre 1940, il s'entretient régulièrement, à Vichy, avec René Gillouin, la « plume » de Pétain, qui l'informe des projets de collaboration et enregistre ses interventions. Gilloin est le fils d'un ancien pasteur d'Aouste où il est né. Le 10 mars 1941, il est reçu par Darlan pour lui parler de « trois choses qui tiennent très à cœur à de nombreux Français : les camps d'étrangers... la livraison d'Allemands réfugiés... et les Juifs. » Ses contacts sont d'une diversité étonnante, allant de l'éloge à l'insulte à cause de la sympathie qu'il exprime, le 26 mars 1941, au grand rabbin de France, dans une lettre qui va se distribuer non seulement à la sortie des temples mais aussi sur les marchés des grandes villes. Il cite souvent les passages de l'Écriture prescrivant qu'il faut se soumettre aux autorités, mais dans la mesure seulement où leurs exigences ne violent pas la Loi de Dieu. Il lui arrive, dans le cas contraire, de conseiller aux pasteurs d'exercer leur devoir de désobéissance. Le 19 septembre 1941, il propose au cardinal Gerlier une démarche commune auprès de Pétain sur la question juive.

En avril 1942, il préside les trois jours de délibération du synode de Valence et se déclare « profondément touché des marques de confiance qui lui sont données ». Le 20 août 1942, il écrit à Pétain au sujet des « livraisons » de Juifs étrangers. Une quinzaine plus tard, au musée du Désert, il s'adresse aux soixante-deux pasteurs présents pour les mettre au courant de la situation et les informer des modalités de coordination de l'action en faveur des Juifs par l'Œuvre de Secours aux Enfants (OSE) et la Cimade, dont le secrétariat général (installé à Valence en 1942) est confié à Madeleine Barrot. Encore en septembre, il rencontre Laval pour lui parler à nouveau des Juifs. Laval lui répond : « Je ne puis faire autrement, et je fais de la prophylaxie ». Le dimanche 29 novembre 1942, il obtient de Pierre Guiot, son neveu, des informations de première source sur les événements de Toulon (sabordage de la flotte).

À Blacons, le 30 décembre 1942, il séjourne chez Charles Latune, son parent, et en profite pour visiter à Crest et à Aouste ses vieilles amies madame Faure et madame Achard. Il revient en Drôme, le 2 mars 1943, pour assurer, à Valence, le Service à l'occasion de la conférence des chefs protestants des Chantiers de jeunesse. Le temple est bondé : au pied de la chaire, quatre-vingts chefs avec leurs aumôniers. À nouveau, il rencontre Pétain pour lui parler de l'inquiétude des mouvements de jeunesse féminine devant l'éventualité de déportations de jeunes filles. Au cours de l'entretien, insistant sur la nécessité de soutenir les forces spirituelles, le Maréchal lui déclare : « Vous, protestants, avez peut-être moins besoin que les catholiques du rite collectif, car vous avez votre conscience ». Le 10 juillet 1943, il demande à Laval s'il est exact qu'il ait pris la décision d'interdire toute méditation à la radio après qu'on lui a raconté qu'il avait donné comme mot d'ordre aux Français le mot de Marie Durand : « Résistez ». Réponse de Laval : « On m'a parlé d'allocutions de pasteurs qui, avec une rare hypocrisie, parlent sans cesse du peuple d'Israël sans en avoir l'air, alors j'ai décidé : Supprimez-moi tout ça ». Le 1er mars 1944, il subit les assauts du docteur Reichl qui lui demande en vain de faire une déclaration contre les bombardements et le terrorisme : « Nous pourrions aboutir à un gentlemen's agreement et parler de l'arrestation des pasteurs... ». Début avril, Je suis partout écrit que le protestantisme constitue une vaste organisation de secours aux réfractaires et que Marc Boegner est le « champion de la juiverie ».

Un protestant, surtout s'il est de terroir huguenot, demeure attaché à sa religion quoiqu'il arrive et se déclare prêt à prendre les armes pour défendre son temple et plus encore sa foi protestante qui le conduit à agir en conscience. Le pasteur Atger, qui deviendra en juin 1944 « aumônier » dans le maquis du Vercors, montre l'influence qu'a, dans une certaine mesure, cette appartenance : « La Drôme, département à forte minorité protestante, avait déjà fourni un important contingent de jeunes aux diverses formations de la Résistance. Les uns étaient venus les rejoindre pour échapper aux contraintes du STO, d'autres, et parmi eux un nombre relativement important d'anciens cadres du scoutisme unioniste, s'étaient volontairement engagés dans ce combat incertain et risqué par esprit de service, instinct patriotique, et conscients de l'enjeu d'une lutte nécessaire contre l'idéologie nazie ». En Drôme, comme ailleurs, cet attachement et cette liberté de conscience façonnent les motivations des protestants et suscitent leur esprit de résistance, mais très diversement. Par exemple : lors de la création de la Légion française des combattants, leur attitude est d'emblée plus réservée. L'un des rares à s'y engager est le pasteur Henri Eberhard, pasteur de Dieulefit, mais il va s'en retirer six mois plus tard. Et, les 16 et 17 septembre, il participe en compagnie de Jacques Deransart, pasteur de Valdrôme et d'André Vermeil (Suisse), pasteur de Livron, à la rencontre de Pomeyrol au cours de laquelle les participants, dont René Courtin un des trois laïcs protestants présents, déclarent que « L'armistice est une véritable souffrance morale, car la France s'est reniée » ; dénoncent la « Révolution nationale » de Pétain ; et condamnent « la déification du chef, le statut juif, l'arbitraire policier et les camps de concentration ». Le 1er juillet 1942, le préfet rapporte que les milieux protestants de Nyons mènent une campagne contre l'obligation faite aux juifs de porter l'étoile jaune et écrit : « C'est d'ailleurs dans ces milieux protestants que la propagande gaulliste a toujours eu dans le département ses plus fervents adeptes ». À Barsac, Robert Clop, issu d'une vieille famille protestante, déclare avoir été arrêté sur dénonciation d'un autre protestant. À Dieulefit, où un tiers de la population est protestante et où la majorité politique était nettement à gauche avant le déclenchement de la guerre, les colonnes de répression rappellent les dragonnades.


Auteurs : Pierre Balliot
Sources : Alain Sauger, La Drôme. Les Drômois et leur département 1790-1980. Pasacale Dondey éditeur. Jean-Noël Couriol, « La Drôme en 1960 », Études drômoises, n° 41.