Journal Le Franc-Tireur, 20 février 1943
Légende :
15e numéro du journal éponyme du mouvement Franc-Tireur, 20 février 1943
Genre : Image
Type : Journal
Source : © Gallica - BNF Libre de droits
Détails techniques :
Documents imprimés sur papier journal (voir recto-verso).
Date document : 20 février 1943
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Rhône - Lyon
Analyse média
Depuis décembre 1941, le mouvement Franc-Tireur fait paraître mensuellement un journal éponyme. Le format ne varie guère, autour de 20 x 26 cm. À partir de juin 1942 (numéro 8 pour tenir compte des précédents), les journaux sont numérotés. À partir d'octobre 1942, la devise républicaine Liberté, Egalité Fraternité est inscrite dans le bandeau. Le mot d'ordre « UN SEUL CHEF : DE GAULLE ! UNE SEULE LUTTE : POUR LA LIBERTE » figure en première page ou en page intérieure du journal. Le numéro du 20 février 1943 est le premier à faire figurer dans le bandeau la référence aux Mouvements Unis de Résistance (M.U.R) qui résultent de la fusion des trois mouvements Franc-Tireur, Comba et, Libération-Sud, décidée le 26 janvier 1943. Le journal adopte dès sa parution un surtitre ironique qui prend à partir de ce numéro la forme « mensuel malgré la Gestapo et la police de Vichy ».
Le numéro 15 du journal Franc-Tireur consacre son titre et sa première page aux nouvelles militaires. L'objectif n'e relève pas de la pure information. On retrouve le double objectif que le mouvement Franc-Tireur s'est donné dès l'origine à travers ses tracts et son journal : lutter contre la propagande allemande et vichyste et gagner à la Résistance le plus de Français possible.
Le titre en gros caractères et en gras ainsi que le sous-titre mettent l'accent sur les difficultés des armées allemandes en URSS.
La première partie en partant de la capitulation de l'armée de Von Paulus à Stalingrad le 2 février 1943 énumère les villes et régions en passe d'être libérées par l'armée soviétique en anticipant quelque peu sur les succès qui se concrétiseront dans les mois suivants. L'intention est de suggérer un repli aussi spectaculaire que le fut la guerre-éclair de 1940-1941.
La deuxième partie veut persuader le lecteur que le reflux est irrémédiable et que l'heure du châtiment approche pour les nazis comme pour les traîtres. Le journal choisit deux symboles de la collaboration d’État : le Norvégien Quisling et le Français Pierre Laval en faisant allusion au discours que ce dernier prononça le 22 juin 1942 : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne parce que sans elle, le bolchevisme s'installera partout. »
La troisième partie est consacrée au front occidental. L'article ne dissimule pas que l'offensive alliée en Afrique du Nord rencontre quelques difficultés face au général Rommel toujours implanté en Tunisie mais reste optimiste sur l'issue finale. L'Italie et l'Allemagne connaissent à leur tour les bombardements et les destructions. Les populations ennemies sont démoralisées. Les buts de guerre des Alliés sont énoncés : la capitulation sans conditions des ennemis annoncée à l'issue de la conférence de Casablanca qui vient de se tenir en janvier 1943. Fidèle à sa volonté de rejeter tout ce qui peut diviser la Résistance, le journal cite à égalité les généraux de Gaulle et Giraud, dont la rivalité est manifeste. Son choix est cependant fait puisque la conclusion est sans ambiguïté : « Tout confirme les vues prophétiques et l'indomptable confiance de celui qui reste le chef et le symbole de la France unie contre l'abandon et la honte, du général de Gaulle... »
À partir de février 1943, une page, sous le titre « La France sous la Gestapo » dénonce les crimes de l'occupant et des collaborateurs. Le sous-titre annonce aussi bien les exactions que le châtiment à venir sans s'embarrasser de nuances : « Mais la vengeance vient ! »
À travers quelques exemples de la répression qui s'abat sur l'ex-zone libre, Franc-tireur entend secouer l'apathie des Français qui hésitent à entrer en résistance ou qui pourraient encore croire que la politique de collaboration du gouvernement de Vichy protège la France des rigueurs de l'occupation. Au contraire, la collusion entre Gestapo et police française est martelée à travers tous les exemples choisis. Les articles insistent aussi sur le sort commun qui unit les persécutés : résistants, juifs, étrangers, et demain tous les Français. Contrairement à Vichy qui, par sa politique xénophobe et antisémite, divisait la population entre vrais Français et indésirables voués à l'internement ou à la déportation, Franc-tireur proclame l'unité du genre humain. Dès son premier numéro de décembre 1941, Franc-Tireur affirme son refus de la xénophobie et de l'antisémitisme.
Si Lyon où le mouvement a pris naissance est privilégié, on peut noter qu'une partie de l'article est consacrée à la rafle qui frappe Marseille en janvier 1943 (voir le contexte historique).
Cette page consacrée aux crimes des occupants et de leurs complices se termine par l'affirmation de la victoire finale et du châtiment qui frappera les traîtres sans que le journal donne un habillage juridique à son désir de vengeance.
Ce numéro du Franc-Tireur donne un aperçu de la ligne du mouvement qui reconnaît le général de Gaulle comme chef de la France libre, de son attachement à l'unité de la Résistance et de son humanisme mais aussi de sa volonté de punir sans faiblesse ceux qui ont trahi.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Lorsque le quinzième numéro du Franc-Tireur paraît en février 1943, la situation internationale et intérieure est à un tournant. Le reflux des armées allemandes est significatif en URSS. La défaite de Stalingrad a eu un énorme retentissement dans les pays occupés, mettant fin à l'impression d'invincibilité de l'Allemagne. Le Maroc et l'Algérie ont été libérés par l'opération Torch de novembre 1942, mais Rommel n'est pas encore vaincu.
La situation de la France par contrecoup s'est encore dégradée puisque les Allemands en représailles du débarquement allié en Afrique du Nord ont envahi la zone Sud. La répression s'accentue aussi bien de la part des occupants que de Vichy. Le Parti populaire Français (P.P.F.) et le Service d'ordre légionnaire (S.O.L.), future Milice, secondent activement les organes de répression allemands. Marseille est particulièrement frappée. La ville se trouve depuis le 3 janvier 1943 sous l'état de siège, proclamé à la suite d'attentats des FTP-MOI contre des soldats allemands. Le 13 janvier 1943, lors de l'entrevue entre le général SS Oberg et René Bousquet, le secrétaire général de la police de Vichy, les modalités de l'évacuation et de la destruction des quartiers du Vieux-Port sont fixées. René Bousquet considère comme une victoire de la souveraineté française de faire exécuter les rafles par la police française et propose d'étendre les rafles à toute la ville. À partir du vendredi 22 janvier, des barrages policiers sont installés, les rafles commencent dans la nuit du 22 au 23 janvier. Plus de 20 000 personnes sont arrachées à leur domicile et acheminées vers Fréjus. Des rafles spécifiques touchent les juifs de Marseille et de sa banlieue. Le 8 mars 1943, 804 juifs arrivent à Drancy avant d'être déportés les 23 et 25 mars à Sobibor (Pologne) où ils sont exterminés. Le Franc-Tireur rend régulièrement compte des persécutions qui frappent les juifs français et européens.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.
Dominique Veillon, Le Franc-Tireur. Un journal clandestin, un mouvement de résistance. 1940-1944, Paris, Flammarion, 1977. [L'ouvrage de Dominique Veillon analyse avec précision la forme matérielle et le fond des articles parus dans Franc-tireur.]