La résistance sociale bundiste à Paris
Légende :
Numéro clandestin du journal bundiste Undzer shtime [Notre voix], organe de l’Union socialiste juive en France, mai 1944.
Type : Presse clandestine
Source : © YIVO, RG 116, F 60 Droits réservés
Date document : Mai 1944
Analyse média
Traduit par Erez Levy (Centre Medem-Arbeter Ring) => Voir la traduction en PDF ou dans l'onglet "médias liés"
Contexte historique
Comme le rappelle un tract clandestin de mai 1944, pour les bundistes, ciblés en tant que Juifs par les premières lois antisémites de Vichy mises en place dès l’été-automne 1940, résister signifie tout d’abord s’opposer à la volonté des nazis et de leurs collaborateurs de précariser la population juive :
"La population juive fut la première à souffrir de l'occupation hitlérienne. Discriminations économiques, exclusion intégrale de presque toutes les professions, arrestations, [internements en] camps de concentration préalablement aux atroces déportations, telles furent les étapes du chemin d'épines de la communauté juive depuis que les nazis prirent le contrôle du pays. Que firent les institutions et les organisations juives pour se défendre et opposer résistance face à l'ennemi ? En premier lieu, il fallut maintenir en vie, au sens littéral du terme, la masse juive condamnée à être réduite à la famine. Il était nécessaire d'assurer à tout prix à l'ouvrier juif exclu, à l'artisan et au commerçant juif réduits à la misère, à l'homme et à la femme du peuple, des moyens de subsistance minimaux. […] Ce travail de secours, dans les conditions de la guerre actuelle, revêt un caractère tout-à-fait particulier depuis l'Occupation, une grande activité de résistance de la part des institutions juives".
C’est à Paris que sont posés les premiers jalons, dès le 15 juin 1940, soit le lendemain de l’arrivée des Allemands dans la capitale, de leurs premières actions sociales de résistance. Ce jour-là, trois représentants du Bund (Mordechai Dobin, Elie Czarnobroda et Esther Richter – connue sous le nom d’Ika) participent à la réunion fondatrice du Comité Amelot (nommé ainsi en raison de l’adresse de son siège, situé 36 rue Amelot dans le XIe arrondissement de Paris), qui regroupe cinq organisations du monde juif immigré parisien originaire d’Europe de l’Est (à l’exclusion des communistes) dans le but de fournir une aide sociale à la population juive dans le besoin. En refusant de demander une autorisation d’activité à la Préfecture comme l’exige une ordonnance, le Comité Amelot entre dans l’illégalité. Néanmoins, bien que le Comité n’ait volontairement jamais existé sous une forme légale, son activité sociale se déroule au grand jour : aide alimentaire, vestimentaire, médicale et juridique sont fournies dans différents locaux parisiens (quatre cantines du Comité Amelot distribuent notamment des repas, dont celle du Bund située, 110 rue Vieille-du-Temple dans le Xe arrondissement).
Son action se diversifie à mesure qu’augmentent les persécutions : à la lutte contre la paupérisation s’ajoute le soutien aux détenus des camps d’internement puis enfin le sauvetage de vies à partir des déportations de 1942. Pour cela, la fabrication des faux papiers et les convoyages d’adultes et d’enfants dans des régions françaises moins exposées ou en Suisse nécessitent d’amplifier le travail clandestin, qui s’opère sous couvert de l’activité sociale officielle du Comité Amelot (lui-même rattaché, contre son gré, à l’Union générale des Israélites de France -UGIF- organisation créée à la demande des Allemands en novembre 1941).
A partir de 1943, les arrestations massives et les fouilles des locaux du Comité Amelot que conduit la Gestapo interrompent temporairement son travail et le compliquent considérablement. L’activité sociale clandestine se poursuit néanmoins jusqu’à la Libération grâce à la solidarité indispensable d’assistances sociales et autres soutiens non juifs.
Les locaux du Bund et de sa société de secours mutuels l’Arbeter-ring demeurent également ouverts tout au long de la guerre malgré l’amplification des persécutions antijuives, les rafles et les traques. D’après plusieurs témoignages, les bundistes y organisent en 1941 une célébration du 1er mai qui rassemble 150 personnes. Des activités culturelles en yiddish y sont longtemps maintenues et nous savons qu’au moins un des journaux et tracts clandestins imprimés par le Bund d’octobre 1941 à juillet 1944, parmi la dizaine d’entre eux qui ont été retrouvés, a été rédigé à Paris. Au 110 rue Vieille-du-Temple, la population juive immigrée a constamment pu obtenir des informations, un soutien moral ainsi qu’une aide sociale qui s’est avérée souvent indispensable à sa survie. Pour les Juifs persécutés, cette action d’entraide sociale a donc été, bien avant la constitution des maquis et les combats armés pour la Libération, une action essentielle de résistance.
La majorité des acteurs du Comité Amelot qui ne sont pas été arrêtés se réfugient en zone Sud, où les bundistes résistent également aux lois de Vichy et de l’occupant allemand. L’unique dirigeant bundiste demeuré à Paris tout au long de la guerre est Khil Najman.
De nombreux membres du Comité Amelot ont été arrêtés et assassinés, dont ses dirigeants David Rappoport, déporté en octobre 1943, et Léon Glaeser, fusillé en 1944. Des trois bundistes ayant participé à la réunion fondatrice du Comité Amelot le 15 juin 1940, seul Elie Czarnobroda est encore en vie à la Libération. La seconde participante, Esther Richter (Ika), est, elle, arrêtée en 1941 et périt au fort de Romainville. Le troisième, Mordechai Dobin, un des militants bundistes les plus âgés, est mort en déportation.
Auteur : Constance Pâris de Bollardière
Bibliographie (sélection) :
Jules Jacoubovitch [Yehude JAKUBOVITSH], Rue Amelot. Aide et résistance, trad. du yiddish [Ri Amelo, hilf un vidershtand] par Gabrielle Bouhana-Jacoubovitch, Paris, Editions du Centre Medem, 2006.
Henri Minczeles, "La résistance du Bund en France pendant l’Occupation", Le Monde juif. Revue d’Histoire de la Shoah, 154 (1) 1995, p. 138-153.
Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette Littératures, 1997 [1994].
Fajwel Schrager, Un militant juif, trad. du yiddish [Oyfn rand fun tsvey tkufes (zikhroynes)] par Henry Bulawko, Paris, Les Editions Polyglottes, 1979.
Pinches Szmajer, "Contribution à l’histoire du Bund à Paris", Combat pour la Diaspora, 4 (3), 1980, p. 51-59.
Centre Medem, 36, rue Amelot. Un réseau clandestin pendant la guerre, catalogue d’exposition, Centre Medem, 2003.