Fajwel Schrager

Légende :

Fajwel Schrager, un des chefs de la résistance des bundistes de France

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Archives du Centre Medem - Arbeter Ring / fonds Solange Ostrynski Droits réservés

Date document : Vers 1937

Lieu : France

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Contexte historique

Fajwel Schrager, né Ostrynski, est né le 2 mai 1907 à Krynki dans la Pologne annexée par l’Empire russe. Il étudie au lycée juif de Bialystok et adhère au mouvement de jeunesse sioniste de gauche Hashomer-Hatzaïr, La jeune garde. En 1927, il quitte sa famille et choisit l’institut de Nancy pour terminer ses études d’ingénieur commercial tout en apprenant le français. Il participe à l’association des étudiants juifs mais ses petits boulots lui font découvrir le monde ouvrier et confortent son engagement militant communiste.

En 1931, il part pour Paris alors que certains de ses camarades partent pour Moscou où ils disparaissent peu à peu dans les purges de Staline. Il devient secrétaire de la Kultur-lige (au 10, rue de Lancry), organisation politique et culturelle yiddish de masse, créée vers 1920. Les bundistes en sont rapidement évincés, les communistes y devenant les "maîtres absolus". Les activités sont nombreuses, y compris sportives. Fajwel devient responsable de la rédaction du journal communiste en yiddish Naye Prese, La presse nouvelle. Mais après la victoire du Front Populaire, les communistes commencent à critiquer les socialistes devenus "social-fascistes" et Léon Blum ; ils suivent aussi la position de l’URSS plutôt que celle de la France face à la montée d’Hitler.

En 1937, les procès et les purges contre les anciens compagnons de Lénine provoquent la démission de Fajwel qui quitte avec douleur le parti, "comme on quitte une église", écrit-il. En 1938, comme d’autres camarades, Chil Najman, Alexandre Mintz, il adhère au Cercle Amical (Arbeter-ring en yiddish) qui regroupe les militants du Bund immigrés à Paris et est rapidement élu au comité de direction.

A la déclaration de la guerre en septembre 1939, il s’engage dans l’Armée française, ainsi que 40 000 autres volontaires juifs étrangers, 20 000 seront effectivement enrôlés. Il est affecté au 22e Régiment de marche des volontaires étrangers qui s’entraîne au camp de Barcarès et en devient aussi le comptable. Le 6 juin 1940, son régiment est anéanti lors de la bataille de Marchelepot sur la Somme et Fajwel est fait prisonnier comme 1,5 millions de soldats français puis envoyé dans un stalag près de Munich. Le 23 septembre 1941, il s’en évade et parvient, à pied et en train, jusqu’en Suisse. Les autorités le remettent à Annemasse (encore en zone non occupée à cette date) aux Français qui le démobilisent à Agen.

Dès le début de 1942, il y trouve un emploi de comptable, et maintient des liens avec quelques-uns des responsables bundistes qui se sont regroupés dans une ferme à proximité et à Toulouse. Un autre groupe est situé près de Lyon et malgré les difficultés, ils peuvent se rencontrer pour agir au sein du Comité de Coordination des différents mouvements de résistance du monde juif immigré non communiste. En août 1942, Fajwel échappe à une rafle à Agen. Il finit en décembre par rejoindre Lyon qui est devenue la capitale de la Résistance. Il y représente le Bund dans la Fédération des sociétés juives de France dont le siège est 12, rue Sainte Catherine. Mais là aussi, le 9 février 1943, il échappe par miracle à la rafle menée à cette adresse par Klaus Barbie qui aboutit à la déportation de 86 personnes, dont cinq bundistes. Le Comité de Coordination se replie sur Grenoble, en zone occupée par les Italiens qui ne mènent pas de politique antisémite.

Après février 1943 et la défaite nazie de Stalingrad, les organisations juives commencent à entrevoir un avenir. Faut-il le préparer avec les communistes de l’Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE) ? Les discussions sont âpres et Fajwel, ancien communiste, en est chargé. En raison de la traque intense des Juifs, chaque jour ajoutant au nombre de ceux qui ont été pris, décision est finalement prise d’élargir avec eux le Comité de Coordination qui devient le Comité Général de Défense des Juifs (CGDJ) pour poursuivre ensemble la résistance sociale clandestine déjà mise en place (aide financière directe aux familles, passage en Suisse, caches, faux papiers), mais aussi la lutte armée. A la tête du réseau de résistance bundiste, Fajwel coordonne les liens entre différents secteurs qui possèdent eux-mêmes leurs dirigeants. Cécile Steingart représente ainsi le Bund à la tête de la section de jeunes du CGDJ, son mari Henri dans l’organisation de groupes de combat dont le mot d’ordre devient : "le temps est fini où un Allemand pouvait arrêter 10 Juifs ; à présent, même 10 Allemands ne doivent pas pouvoir en capturer un".

Début 1944, face à la traque de tous les Juifs, français comme étrangers, Fajwel est un des initiateurs de pourparlers avec les dirigeants du Consistoire Central pour créer un Conseil représentatif des Israélites de France, le CRIF. Dans la perspective de l’après-guerre, il s’agit de représenter cette fois-ci l’ensemble de la communauté juive (juifs français et juifs immigrés) et de lutter pour rétablir ses droits civiques (supprimés par les différents statuts et décrets d’aryanisation / dénaturalisation).
"Personne n’aurait pu imaginer avant la guerre que les fiers représentant des Israélites français de souche accepteraient un jour de fonder une instance commune avec ceux du Judaïsme immigré… Le CRIF est la seule instance juive qui ait été créée pendant la guerre et qui continue d’exister de nos jours" explique Fajwel Schrager dans ses mémoires.

Fin juin 1944, le secrétaire du CGDJ Léo Glaeser (qui avait refusé de passer en Suisse, comme Fajwel et d’autres dirigeants) est arrêté et fusillé avec 6 otages. Dès la libération de Paris, les survivants s’attèlent à la reconstruction de la communauté. Les différentes associations reprennent leur autonomie mais selon Fajwel "personne n’oublie que le CGDJ avait néanmoins rempli sa mission aux heures les plus sombres de l’existence juive en France".

En 1947, Fajwel est nommé représentant pour la France du JLC qui finance une partie du "Plan Marshall juif" pour la reconstruction de la communauté et du socialisme (il est alors proche de Léon Blum) en Europe dans le contexte de la guerre froide qui commence. Fajwel devient ensuite directeur de l’ORT, Organisation, Reconstruction, Travail, œuvre juive de formation technique qui possède dans le monde entier un vaste réseau d’écoles professionnelles. Il occupe ce poste jusqu’en 1972 et à ce titre, il est décoré de l’Ordre national du Mérite puis de la Légion d’honneur. Fajwel Schrager est décédé en 1979 et est inhumé dans le caveau du Bund au cimetière de Bagneux.


Auteur : Bernard Flam

Sources :
Catherine Collomp, Résister au nazisme. Le Jewish Labor Committee, New York, 1934-1945, Paris, Editions du CNRS, 2016.
Henri Minczeles, "La résistance du Bund en France pendant l’Occupation", Le Monde juif. Revue d’Histoire de la Shoah, 154 (1) 1995, p. 138-153.
Constance Pâris de Bollardière, "Fajwel Schrager (né Ostrynski), bundiste, directeur de l'ORT-France et du bureau parisien de l'Union mondiale-ORT" (Krynki (Empire russe), 2 mai 1907 - Paris, 13 juin 1979), Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, 48 (1), 2015, p. 136-140.
Fajwel Schrager, Un militant juif, trad. du yiddish [Oyfn rand fun tsvey tkufes (zikhroynes)] par Henry Bulawko, Paris, Les Éditions Polyglottes, 1979.
Archives privées de Fajwel Schrager.