Les archives de la SIPO-SD récupérées à Tours par la Résistance

Légende :

Extraits du recueil de documents réalisé par le commissariat spécial de Tours de la Sûreté nationale (mai 1945) intitulé "Les Allemands en Indre-et-Loire" :

Document principal :
- Couverture du recueil

Album lié :
- Note explicative du commissaire spécial de Tours, 11 mai 1945 
- Dédicace à Jean Meunier ("en souvenir de l'ami Farinet et du "cambriolage" de la Gestapo")
- Deux pages extraites du rapport intitulé "Renseignements succincts sur l'installation et l'organisation de la gestapo de Tours" (sont encadrés les extraits évoqués dans cette notice)

Genre : Image

Type : Recueil

Source : © Archives municipales de Tours - Fonds Jean Meunier - 5Z6/1N1 Droits réservés

Date document : Mai 1945

Lieu : France - Centre - Val-de-Loire (Centre) - Indre-et-Loire - Tours

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Analyse média

Sur l’histoire de ces archives très particulières, on dispose dans le fonds Meunier aux archives municipales de Tours d’une source : le recueil de documents réalisé par le commissaire spécial de la Sûreté nationale de Tours, Laforge, en date du 11 mai 1945, intitulé "Les Allemands en Indre-et-Loire". C’est l’exemplaire de Jean Meunier lui-même, dédié à lui par l’auteur « en souvenir de l’ami Farinet et du « cambriolage » de la Gestapo » ; Farinet étant l’un des pseudonymes utilisé par Jean Meunier.

L’introduction du recueil précise : « La présente documentation a été constituée après étude, par le Commissariat spécial de tours, des archives allemandes subsistant encore dans les locaux de la Gestapo et dont un groupe de patriotes avait réussi à s’emparer alors que la ville était toujours occupée par les SS. La Gestapo avait en effet quitté Tours le 1O août 1944, brûlant une grande partie de ses archives. »

Dans le corps du recueil, figurent les précisions suivantes : « Au début du mois d’août 1944, diverses Gestapo de la région, chassées par l’avance alliée se replièrent sur Tours (en particulier celles de Nantes et d’Angers) avant de repartir dans la direction de l’Est. Ces différents services occupèrent pendant une semaine la propriété « La Grande Babinière » à Saint-Avertin, puis se dirigèrent dans la direction de Bourges. La Gestapo de Tours quitta la rue George Sand le 10 août 1944 et se replia également sur Saint-Avertin. Avant leur départ, les Allemands enlevèrent leur stock d’armes qui était entreposé dans le garage et détruisirent de nombreux documents dans la cour et les bureaux du service. Néanmoins, il restait encore dans les bureaux une certaine quantité de documents. Un groupe de patriotes de la Résistance, conduit par M. Jean Meunier, député-maire de Tours et dans lequel figurait M. Laforge, aujourd’hui Commissaire spécial, décidèrent de pénétrer dans l’immeuble de la Gestapo afin de subtiliser et de mettre en lieu sûr tout ce qui restait des archives allemandes. Cette action nécessita plusieurs expéditions qui furent toutes opérées à la « barbe » des SS qui occupaient toujours la ville, et dont les patrouilles pénétraient dans le garage [….] Tous les documents ont été par la suite transférés au Secrétariat général pour la Police à Anger en vue de leur exploitation par des fonctionnaires spécialisés de la Sûreté nationale (1). »

La note (1) ajoute : « chargement comprenant : 49 classeurs (dont 31 numérotés), 4 paquets de documents divers, 5 agendas contenant quelques notes, remis le 19 janvier 1945 à M. le Secrétaire général pour la Police à Angers avec le rapport n° 276 en date du même jour du Commissaire spécial de Tours. »


Bruno Leroux

Contexte historique

Les archives de la Sipo-SD conservées en France sont rares, et encore plus celles qui ont pu être récupérées par la Résistance avant la Libération. Pour éclairer ce qui subsiste dans le fonds Jean Meunier (AM de Tours) des archives « cambriolées » dans les locaux de la Sipo-Sd à Tours durant l’été 1944, il faut compléter les documents ci-dessus par le témoignage de Jean Meunier devant la Commission d’histoire de l’occupation et de la Libération de la France, le 22 mai 1947 :

« Entre le 6 juin et la libération de Tours (1er septembre), un certain nombre d’opérations furent faites par les équipes de Libé-nord. C’est ainsi que pendant le transfert de la Gestapo d’Angers, qui se replia à Tours, avec la complicité de deux policiers de la Résistance, on put repérer qu’à certaines heures le siège de la Gestapo était vide. Camouflés en couvreurs, une équipe pénétra dans l’immeuble de la Gestapo à huit reprises différentes et en sortit d’importants dossiers. La dernière fois pourtant, les Allemands arrivèrent avant que le travail ne fut achevé. M.[eunier] remit ses dossiers à la police après la Libération : il s’y trouvait en particulier 21 dossiers concernant des agents français de la Gestapo (il les remit au Commissaire Castagned du BEDOC d’Angers) ; il garda par-devers lui et fit traduire une soixantaine de dossiers d’interrogatoires de résistants et de nombreux objets ayant appartenu à des patriotes, objets que Libé-nord remit aux familles après la Libération. On peut signaler ici que ces divers documents auxquels s’ajoutèrent ceux qui furent trouvés après le départ des Allemands, ont servi au Commissaire Laforge, qui fut nommé après la Libération aux Renseignements généraux de Tours, pour établir certains documents officiels sur la Gestapo et sur l’attitude des Allemands en général. »

Autrement dit, le fonds Meunier comprend seulement une partie des documents provenant du « cambriolage » de la Gestapo à Tours, essentiellement celle qui concernait non pas la Gestapo elle-même mais les résistants arrêtés par elle et les documents clandestins détenus par elle. Du coup, cette partie du fonds correspond à une pratique assez fréquente des résistants à la Libération, mais connue surtout à propos des archives de la police française, bien plus accessibles : dans bien des localités, les résistants ont essayé de trouver des traces du processus qui avait conduit au démantèlement de l’organisation clandestine à laquelle ils avaient appartenu. Pour Jean Meunier, l’enjeu, qui transparaît à travers la mention des « dossiers d’interrogatoires de résistants » était le démantèlement de Libération-nord à l’automne 1943, qui l’avait contraint à la clandestinité totale.

On a choisi dans l’exposition du musée de la Résistance en ligne sur le fonds Jean Meunier de ne reproduire aucun de ces procès-verbaux d’interrogatoires, par souci déontologique : s’ils sont bien sûr des documents d’histoire, leur utilisation n’a de sens que dans un récit où l’historien explicite ses objectifs et sa méthode d’analyse de tels documents, vu la façon dont ces « interrogatoires » se passaient la plupart du temps. On trouvera un exemple d’utilisation raisonnée et très ponctuelle dans l’ouvrage de Marc Sadoun Les socialistes sous l’Occupation (Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1982, p. 155-156, p..v d’interrogatoires de Nay et Chérioux) : il relève deux déclarations sur l’orientation clairement idéologique du recrutement au sein du mouvement Libération-nord en Indre-et-Loire (= adhérents ou sympathisants de la SFIO), qui est attribuée à Jean Meunier lui-même par les deux « interrogés ». L’auteur précise que ces interrogatoires sont bien sûr à manier avec prudence, mais qu’en l’occurrence ces extraits lui permettent de confirmer les autres types de sources dont il dispose sur l’imbrication entre Libé-nord et le Comité d’action socialiste clandestin.

On trouvera en revanche dans l’exposition sur le fonds Meunier les autres types d’archives provenant du cambriolage de la Sipo-Sd et présents dans le fonds : documents sur les organismes de répression allemands, documents clandestins saisis par eux. 


Bruno Leroux

Source : témoignage de Jean Meunier recueilli par Mme Merlat le 22 mai 1947 (Archives nationales, 72 AJ 136); l'extrait ci-dessus est cité dans Mireille Meunier Saint-Cricq, Jean Meunier. Une vie de combats (CLD Editions, 2008, p. 205, annexe X.