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La manifestation du 8 novembre 1940

Légende :

Tract appelant les étudiants à se réunir le 8 novembre 1940 pour protester contre l'arrestation de Paul Langevin et à organiser une manifestation du souvenir le 11 novembre 1940.

Genre : Image

Type : Tract

Source : © La Contemporaine (ex BDIC) Droits réservés

Détails techniques :

Tract dactylographié recto-verso

Date document : Octobre - novembre 1940

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

La rentrée universitaire d'octobre 1940 est la première de l'Occupation. Dès la réouverture de l'Université après l'exode, le 31 juillet 1940, une certaine agitation s'est installée dans le Quartier latin. Des lancers de tracts, d'oeufs pourris, des inscriptions sur les murs, des papillons laissés dans les livres de la bibliothèque dénoncent la présence allemande ainsi que la main-mise de Vichy sur l'Université et son "dessein d'asservissement intellectuel de la France". La destitution des professeurs juifs, exclus du corps enseignant en vertu du "Statut des Juifs" promulgué par la loi du 3 octobre 1940, scandalise bon nombre d'étudiants et d'enseignants. De même, la nouvelle de l'arrestation, le 30 octobre 1940, du professeur Langevin, fait monter la tension d'un cran. Ce dernier, physicien mondialement connu, fondateur en 1934 du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, est une figure du Front Populaire.

L'Union des étudiants et lycéens communistes de France (UELCF), clandestine depuis septembre 1939, riposte aussitôt. Dans un tract, qu'elle fait circuler dans le Quartier Latin, elle appelle à manifester le 8 novembre, jour où le professeur Langevin aurait du donner sa leçon inaugurale au Collège de France. "Étudiants ! contre l'arrestation du professeur Langevin, le premier de nos maîtres jeté en prison ! Contre la censure exercée sur nos livres ! Contre la présence de la Gestapo dans nos salles de cours ! Contre l'asservissement de l'Université française ! Vendredi 8 novembre, à 16 heures, au Collège de France, où le professeur Langevin aurait dû faire son cours. Conservez votre calme. N'offrez pas de prétexte à la répression... "
De son côté, François de Lescure, le président de l'Union nationale des Étudiants légale (UNE), et Roger Marais, responsable de la Corporation Lettres, lancent le même appel. Le premier tract de la revue clandestine L'Université Libre, créée début novembre par le gendre de Langevin, Jacques Solomon, Georges Politzer et Jacques Decourdemanche est édité à cette occasion : "Par ordonnance de Vichy, les professeurs juifs sont destitués [...] la pensée française est mutilée. Nous les assurons de notre respect et de notre solidarité. Nous dénonçons le zèle du gouvernement de Pétain et son antisémitisme. Le grand physicien Paul Langevin qui avait repris ses cours ou collège de France vient d'y être arrêté par les nazis. Pour exiger sa libération et pour manifester contre ces odieuses mesures, tous devant le square du Collège de France, rue des Écoles, aujourd'hui, 8 novembre, à 17h (sic)."

Le 8 novembre, le quartier latin est en état de siège. La préfecture, qui a eu vent de la manifestation, a déployé d'importantes forces de police. La rue des Écoles, qui mène au Collège de France, est barrée par un épais cordon. Des véhicules blindés allemands ont pris position pour intimider les éventuels manifestants. Certains étudiants, comme Bernard Kirschen, Pierre Daix et Imre Marton, sont déjà sur place, du côté du petit square qui se trouve rue des Écoles, les poches remplies de tracts. "Nous attendîmes, dans cet affrontement silencieux, une bonne heure. Si l'ordre était venu, nous aurions jeté nos tracts en l'air ; mais l'ordre ne vint pas bien que l'attroupement des étudiants ait pris consistance" écrit Pierre Daix.
À l'intérieur du Collège de France, dans l'amphithéâtre, Joliot-Curie, qui a prit la tête de la protestation universitaire contre l'incarcération du savant, prend la parole dans l'amphithéâtre pour annoncer que son laboratoire restera fermé jusqu'à la libération de Langevin. En revanche, du côté de la Sorbonne, il semble que la manifestation ait pris un caractère plus démonstratif. Une quarantaine (?) d'étudiants et de lycéens, parmi lesquels, Blanche Jacquot, Maroussia Naïtchenko, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Rosine Pytkowitz (soeur de Lazare Pytkowicz) et Sam Radzinsky, après avoir lancé des tracts à l'intérieur de la Sorbonne et sur le boulevard Saint-Michel, crient à tue-tête "Libérez Langevin !" puis "À bas Pétain !" au coin de la rue Soufflot, avant d'entonner La Marseillaise et de se disperser.
Quelques minutes plus tard, Christian, Tony, Rosine et Sam se retrouvent tranquillement au comptoir du Café Dupont-Latin, à l'angle de la rue des Écoles et du Boulevard Saint-Michel. Sam Radzinsky aime raconter que ce jour-là, Tony Bloncourt, avec l'aplomb qui le caractérisait, prit sur le comptoir les petites tartelettes à la banane confite qui étaient en vente, les distribua aussitôt à ses camarades qui les engloutirent, et se garda bien de les mentionner quand, avant de sortir, il paya les quatre cafés.
Cette première manifestation de l'occupation, qui a rassemblé moins d'une centaine de personnes, est le prélude à une autre, prévue le 11 novembre, jour anniversaire de l'armistice de 1918 et donc, par là même, de la défaite des Allemands vingt-deux ans auparavant.


Notice extraite du DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Auteur :
Boris Dänzer-Kantof

Bibliographie :

Albert Ouzoulias, Les Bataillons de la jeunesse, Paris, éditions sociales, 1967.
Pierre Daix, J'ai cru au matin, Paris, R. Laffont, 1976.
Elodie Jauneau, Les étudiantes à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise sous la direction de Gabrielle Houbre, Paris-VII, juin, 2002.
Gilles Maigron, "Résistance et collaboration dans l'Université de Paris sous l'occupation" in Étudiants, universitaires et université en France pendant la seconde guerre mondiale, Actes du colloque des Universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg, publication de l'Institut d'Études du Massif central, Clermont II, 1993.
Maroussia Naïtchenko, Une jeune fille en guerre. La lutte antifasciste d'une génération, Imago, 2003.
Jean Morawski, "11 novembre 1940, la montée à l'Étoile" in L'Humanité du 11 novembre 2000.
Nicole Racine, "Frédéric Jolio-Curie" (notice) in Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français (Maitron) Édition ouvrières, 2000.
"11 novembre 1940 : lycéens et étudiants parisiens manifestent" in Le Patriote résistant, novembre 2000.
Entretien de l'auteur avec Sam Radzinsky le 25 novembre 1993.