Passage Paul Heinrich, Mulhouse

Genre : Image

Type : plaque de rue

Source : © collection Bertrand Merle / aéria Droits réservés

Détails techniques :

photographie numérique en couleur

Date document : 2015

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Haut-Rhin - Mulhouse

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Analyse média

Voie dénommée passage Paul-Heinrich par un arrêté municipal du 19 novembre 2007. Cette voie nouvellement percée de près de 200m de long située dans le centre-ville mène de l’avenue de Colmar (D66) à la rue du Saule. Elle est parallèle à la rue des Vergers et la rue d’Illzach. Ce passage s’inscrit dans le quartier Neppert rénové appelé aussi « ilot Casquettes » en référence à l’ancienne manufacture Becht (1921-1983) qui produisait à cet endroit des uniformes, des képis et des… casquettes.
Sous la plaque principale, un complément, pour une fois particulièrement détaillé long de six lignes, relate une partie de la biographie du personnage. Sont proposés de haut en bas: le nom de l’état-civil avec le pseudonyme accolé (Paul Heinrich-Beaumont), les années de naissance (1904) et de décès (1995), un grade (lieutenant-colonel), son statut pendant la Seconde Guerre mondiale (résistant et héros de la France libre), une appréciation morale et l’appartenance à un régiment (officier emblématique du 1er RCP) et enfin le passé sportif (footballeur international du FC Mulhouse).


Auteur : Bertrand Merle

Sources
Les rues de Mulhouse. Histoire et patrimoine. Conseil consultatif du patrimoine mulhousien et avec le concours de la Société d’histoire et de géographie de Mulhouse. Editions JM 2007 et JM 2009 actualisées et enrichies ainsi que les deux plaques de rue.

Contexte historique

Paul Heinrich est né à Lutterbach (68) commune mitoyenne de Mulhouse le 30 mars 1904 dans une famille catholique. Son père, Auguste Heinrich exerce à cette date la profession de malteur (Mälzer) selon la déclaration à l’état-civil, sa mère est Emilie Heinrich, née Schlimp tel que l’indique son acte de naissance en langue allemande. Dans sa jeunesse, Paul Heinrich est un sportif que l’on qualifierait aujourd’hui de haut-niveau. Ses qualités de compétiteur lui serviront par la suite pendant les années de guerre quand il faudra se montrer fort, dur au mal et déterminé. Au début des années 1920, les sportifs alternent l’athlétisme pendant les mois d’été puis le football jusqu’à la fin du printemps. Son nom est cité dès août 1923 dans le palmarès du XIIe concours régional de l’Avant garde du Rhin (AGR) qui s’est déroulé à Sélestat (Bas-Rhin), encore junior, il a 19 ans à cette date et se classe 12e dans la catégorie olympique d’une épreuve vraisemblablement combinée. Il s’était aligné sous les couleurs d’un club de patronage catholique (« Bangala » en alsacien) à Lutterbach. Les premiers du classement, reçoivent une médaille du ministère de la Guerre. A cette époque, le sport doit aider à former de futurs bons soldats notamment par le biais de la préparation militaire. L’AGR est une fédération culturelle et sportive d’obédience catholique. Quelques années plus tard, il se classe deuxième (1926) puis vainqueur (1927) au javelot lors des Championnats du Haut-Rhin proposés cette fois-ci par la Fédération française d’athlétisme sous les couleurs du FC Mulhouse, un club omnisports au sein duquel il va forger sa notoriété sportive. La section de football devient professionnelle, il signe un contrat, joue à l’arrière, devient international en équipe de France amateur où il affronte notamment le Luxembourg en 1935 et la Hongrie à Lyon en 1936. Il est aussi capitaine de l’équipe d’Alsace en 1938.

Lorsqu’éclate la guerre en 1939, il a déjà 35 ans, est sous lieutenant de réserve et participe à la défense du fort de la Justice à Belfort du 17 au 21 juin 1940 au sein du 12e RIF (régiment d’infanterie de forteresse). Son attitude pendant cette période où il s’est chargé de l’évacuation des blessés graves lui vaut la première de ses cinq citations de sa croix de guerre. Il est fait prisonnier et envoyé à l’Oflag XVII-A dans le nord-est de l’Autriche situé près de Gofritz-an-der-Wild, commune proche de l‘actuelle frontière avec la République tchèque. Ce camp est principalement destiné aux officiers français. Il est devenu célèbre en 1943 après l’évasion rocambolesque de 132 militaires les 18 et 19 septembre. A cette période, Paul Heinrich n’y est plus depuis longtemps. Il est libéré dès le 18 décembre 1940 en tant qu’Alsacien et renvoyé à Mulhouse.

Il reprend son métier de comptable aux Etablissements Lazare dont le propriétaire de confession juive a été expulsé au début de la guerre et dirige la société mise sous séquestre par le régime nazi. Il reprend aussi du service comme entraîneur de football au FCM. Il se démarque rapidement quand il refuse d’effectuer le salut hitlérien avant les matches. Il est surnommé « tête de bois » puisqu’il n’accepte pas de comprendre ce qu’exigent les nazis. De fait, il est rapidement banni des stades. La Gestapo l’arrête et l’interroge à deux reprises en 1941 puis en 1942. L’ensemble de ses activités lui permet en effet d’être au contact de nombreuses personnes en ville et notamment de ceux qui œuvrent dans le domaine de l’évasion des prisonniers de guerre dont de nombreuses filières sont actives à Mulhouse. Il est entre autre en contact avec Antoine Willmann, Auguste Riegel, Paul Feldman, Daniel Seither et la famille Rohmer de l’hôtel de la Bourse, arrêtée à la fin du moi de mars 1942. Ce tragique événement le décide à quitter l’Alsace. Il choisit de s’évader par la vallée de Masevaux dans le sud des Vosges le 25 août 1942, un secteur qu’il connait bien pour y avoir conduit et guidé lui-même de nombreux évadés. La frontière entre l’Alsace annexée de fait et la France occupée se situe sur la ligne des crêtes. De là il rejoint Foussemagne (Territoire de Belfort) puis Delle. Caché dans un wagon de marchandise il parvient à rejoindre la Suisse par la ligne de chemin de fer qui mène à Boncourt. Comme tous les Alsaciens dans son cas, il fait un court séjour à la prison du Lonhof à Bâle où il subit le traditionnel interrogatoire mené par les autorités helvétiques. Il rejoint ensuite la France par Annemasse (Haute-Savoie) et enfin Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). En guise de représailles, sa famille est arrêtée et déportée.

Arrivé en Auvergne, il est en contact avec la Résistance, s’engage dans l’armée d’armistice comme officier interprète tout en renseignant les maquis locaux et reprend aussi du service à la section… football de l’AS Montferrandaise. Mais il est repéré et surveillé par la Gestapo. Il parvient à lui échapper après avoir simulé une blessure lors d’une rencontre sportive. C’est la famille Michelin elle-même qui assure son exfiltration du stade. Paul Heinrich effectue alors un long périple qui le mène en Espagne où il est d’abord interné au camp de Miranda, puis est remis aux Britanniques à Gilbraltar, est envoyé à Londres où il rejoint la France libre puis en Afrique du nord où il rencontre le général Pierre Koenig (1989-1970) dont les ancêtres sont d’origine alsacienne qui lui fait prendre le nom de Paul Beaumont et l’affecte au 1er RCP (régiment de chasseurs-parachutistes) après avoir menti sur son âge et se rajeunissant sérieusement. Paul Beaumont désormais participe à de nombreuses opérations en Italie, débarque en Sicile puis en France où son unité est chargée de préparer et de sécuriser les zones de parachutages souvent derrière les lignes ennemies. La campagne de France le mène bien évidemment aux combats de la libération de l’Alsace avec la 1ere armée notamment dans les Vosges puis la poche de Colmar à l’hiver 1944-1945. A Ménil (88) occupé par la Wehrmacht, il parvient à différentes reprises entre le 6 et le 11 octobre à entrer dans le village et à y mener différentes missions de renseignements. Les 1er et 2 janvier de Lapoutroie à Orbey (68) il a mené de nouvelles missions de renseignements avant de participer dans les combats en plaine à Frisenheim, Jebsheim et Widensolen.

Le capitaine Paul Heinrich-Beaumont est démobilisé en 1947 et versé dans la réserve. Devenu lieutenant-colonel, il met en place la préparation militaire parachutiste dans le Haut-Rhin. Il effectue aussi des missions estampillées « secret » lors de la guerre d’Algérie entre 1955 et 1959. Pendant toutes ces années, il entretiendra une solide amitié avec le général de Gaulle. Sa famille a remis un des uniformes de Paul Heinrich au musée de la poche de Colmar à Turckheim lequel est exposé dans l’une des vitrines. Paul Heinrich-Beaumont est titulaire de nombreuses décorations civiles et militaires: Légion d’honneur (officier), commandeur de l’ordre national du mérite, croix de guerre 1935-1945 (cinq citations), médaille de la Résistance, croix de la valeur militaire (deux citations). De nombreuses dates et événements militaires cités dans cet article sont puisés dans les citations publiées par l’Union des officiers de la région de Mulhouse sous la plume du colonel Pierre Huther.


Auteur : Bertrand Merle

Sources et bibliographie
- Etat civil de la commune de Lutterbach (Haut-Rhin) année 1904 registre des naissances.
- Les jeunes d’Alsace. Bulletin des cercles catholiques n°35 du 2 septembre 1923.
- L’athlétisme alsacien 1919-1939. Edouard Knaub. Sous le patronage de la ligue régionale d’Alsace d’athlétisme. 1995.
- Paul Heinrich-Beaumont: footballeur et baroudeur (1904-1995). Colonel (H) Pierre Huther. http://www.uorrm.fr/index.php?id=5912
- « Le dribble rusé des footballeurs ». Francis Braesch. La grande encyclopédie des années de guerre. Page 825. Sous la direction de Bernard Reumaux et Alfred Wahl. Saisons d’Alsace. Editions de la Nuée Bleue. Strasbourg 2009.
- « Le football en Alsace: une histoire sportive et politique ». Pierre Perny. Thèse de doctorat en histoire contemporaine. Universités de Strasbourg (Bas-Rhin) et Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). Octobre 2009.
- FC Mulhouse. Pierre Hugonin. Mémoire du sport. Editions Sutton. 2002.
- Note biographique de Paul Heinrich. DVDrom de l’Aéria « la Résistance intérieure des Alsaciens » sous la direction d’Eric Le Normand. Aéri 2016.
- « Mulhouse honore la mémoire de Paul Heinrich ». Emmanuel Delahaye. L’Alsace. 3 décembre 2009.
- « Paul Heinrich honoré ». L’Alsace. 6 décembre 2009.
- « Paul Heinrich ce héros ». Dernières Nouvelles d’Alsace. 8 décembre 2009.