Œuvres de Jean Lhuer à la mairie de Piégon

Légende :

Peintures murales de Jean Lhuer dans la salle du conseil municipal, encadrant madame Aline Eichenberger, maire de Piégon en 2006.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : cliché Alain Coustaury

Source : © Archives Alain Coustaury, avec l'aimable autorisation de Bernard Lhuer et de madame Eichenberger, al Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Piégon

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Analyse média

La photo représente un panneau des peintures murales qui ornent la salle du conseil municipal de la commune de Piégon. Elles se situent face à la porte d'entrée de la salle et frappent le regard par leur puissance d'évocation, d'autant que la pièce est petite. Ce sont des peintures murales disposées sur les deux murs aveugles de la salle. La personne qui entre voit en face d'elle deux hautes peintures et sur sa droite un ensemble rectangulaire. Les deux panneaux étroits se situent de part et d'autre du siège du maire et sont séparés par une bibliothèque. L'ensemble rectangulaire, le plus important, couvre une grande partie du mur aveugle de droite. Lors des séances du conseil municipal, des jours d'élections, des cérémonies de mariage, les citoyens sont donc entourés d'un ensemble pictural qui déclenche une forte émotion et porte à la réflexion. Il est vrai, aussi, que l'habitude de voir ces peintures depuis des dizaines d'années devrait émousser la curiosité. La « banalisation » joue, peut être son rôle pour les habitants de Piégon, mais pas pour celui qui découvre les peintures.

La France, mère et protectrice

Trois personnages symboliques et emblématiques sont représentés. La France tient dans ses bras deux de ses fils. Bonnet phrygien, les trois couleurs du drapeau français, définissent le personnage. C'est une France douloureuse, aimante qui enserre le prisonnier et le combattant, les réunit dans une fraternité, celle du combat, celle de celui qui s'est battu les armes à la main, celle de celui qui, arrêté, a subi les souffrances des camps. Le fil de fer barbelé, la marque du prisonnier de guerre, le visage émacié, vieilli, traduisent les conditions de vie du prisonnier survivant accueilli par le combattant de l'intérieur, le Résistant. Ce dernier, plus petit, paraît plus jeune que le prisonnier. Cette jeunesse symbolise le renouveau, notion fondamentale de l'esprit des Français à cette époque. Ils désirent une France nouvelle qui doit faire table rase de l'avant-guerre et qui s'apprête à mettre en œuvre le programme du CNR. Nous sommes en 1945, les déceptions viendront plus tard.

Le résistant, le maquisard
C'est le panneau qui impressionne le plus la personne qui entre dans la salle. Tous les symboles du résistant/maquisard sont dans cette peinture. L'homme est jeune, musclé, à la chevelure abondante. La détermination se lit bien sur le visage. Il est habillé d'une chemise aux manches retroussées sur des bras puissants. Il ne semble pas porter au bras gauche un brassard. D'autres observateurs que l'auteur de cette notice semblent deviner ce brassard, peut-être en partie recouvert par la manche retroussée. A-t-il été dessiné puis gommé ? Le pantalon est rapiécé. C'est l'habillement classique du Résistant qui se retrouvera dans de nombreux dessins ou publications. Il ne porte pas d'uniforme. Ce qui en tient lieu est le brassard qui apparaîtra tardivement chez les résistants. Le personnage s'inscrit dans un tableau où s'opposent la lumière et l'ombre, métaphore de la Résistance.
La zone claire est à gauche. La lumière semble venir de cette direction, de la croix de Lorraine. Elle illumine le flanc droit du maquisard. Dans la partie lumineuse s'inscrit la croix de Lorraine que l'on retrouve sur tous les panneaux. Le prestige du général de Gaulle est à son zénith à l'époque de la réalisation de l'œuvre. En France, on ne peut imaginer quoi que ce soit sans tenir compte du personnage. La zone sombre est à droite. Les parachutages, nocturnes, sont bien évoqués et rappellent qu'ils ont été les principaux pourvoyeurs en armes de la Résistance. Les exactions allemandes sont suggérées par les maisons, les fermes brûlées. Quant à l'armement du maquisard, il est celui qui va devenir symbolique. D'abord, il est léger. Pas ou peu d'armes lourdes ont équipé le maquis, notamment au Vercors en ce qui concerne la Drôme. L'arme de poing qu'est le pistolet ou le revolver est souvent, au début de la Résistance armée, l'arme principale et rare. Le pistolet que brandit l'homme ressemble fort à un Colt, arme puissante mais insuffisante pour mener un combat en rase campagne. Dans sa main gauche, il tient une grenade quadrillée, puissante et efficace, arme de l'embuscade. Mais l'arme emblématique, celle qui symbolise le Résistant, que le grand public connaît est la mitraillette Sten dont plusieurs exemplaires sont au pied de l'homme. Rappelons que cette arme est à utiliser dans un combat de guérilla à courte distance. La portée de la Sten est faible, l'engin est connu aussi pour le danger qu'il représente pour son utilisateur du fait de sa détente difficile à contrôler.
En conclusion, au moment où la guerre s'achève, cette peinture est un document remarquable sur la vision du personnage qu'est le résistant, vision qui perdurera plusieurs décennies. De plus, sa puissance évocatrice est renforcée par une astuce picturale. Le Résistant brandit le pistolet. Le peintre fait sortir ce dernier du rectangle peint ce qui donne une profondeur, une illusion de relief au tableau. Le personnage paraît surgir du mur.
L'auteur a été fortement impressionné par cette vision en entrant dans la salle. De plus, le pistolet est dirigé vers le centre de la pièce et semble viser une personne. La disposition de la salle est telle que c'est le siège du maire, du pouvoir qui est la cible ! Est-ce que le peintre a eu conscience du la composition de sa peinture ? Comment, au début du XXIe siècle, un observateur peut-il interpréter une telle peinture ? L'époque actuelle est rappelée par le portrait officiel du président de la République (Jacques Chirac en 2006). Que de symboles ! La photo avec madame le maire de Piégon restitue cadre et ambiance. On imagine un mariage dans cette salle. D'après madame le maire, il n'y a jamais eu de réflexions au sujet des peintures murales !

Le mur latéral, aveugle, est couvert, en grande partie, par un diptyque que l'on peut intituler les drapeaux. Il fait l'objet d'une étude particulière dans le Musée virtuel ainsi qu'un tableau intitulé « L'armée des ombres ».


Auteurs : Alain Coustaury 

Contexte historique

L'auteur des peintures est Jean Lhuer. Artiste et décorateur de bijoux, il quitte Paris pour fuir le STO et se réfugie à Saint-Restitut. Le 7 juin 1944, il est incorporé à la 8e compagnie AS du lieutenant Rigaud (« Georges »). Il participe aux actions de la Résistance, notamment à la tragique affaire de Taulignan, le 12 juin 1944. Il s'installe à Piégon où il se marie. C'est donc un Résistant qui imagine, réfléchit et traduit sa vision de 1945 par des peintures dans un lieu public, la salle de réunion du conseil municipal de la modeste commune de Piégon.

L'œuvre a été réalisée en 1945. On ne connaît pas la date précise de la réalisation. Il est nécessaire de préciser les circonstances du moment. On peut penser que la guerre est terminée en Europe (8 mai 1945), voire dans le monde (3 septembre 1945 au Japon). Quoi qu'il en soit, l'œuvre est contemporaine de la guerre. Les esprits ont tous en mémoire les affres de cette période. Les peintures ont donc été réalisées « à chaud » . Il est évident qu'elles seraient différentes dans leur composistion et leur signification si elles étaient bien postérieures à la guerre. Elles sont une œuvre de circonstances qu'il faut analyser en tant que telle. L'observateur de 2011 doit bien avoir conscience du décalage chronologique. D'autres lectures de cette œuvre sont possibles. Ces peintures, au-delà de leur valeur artistique, ont un intérêt majeur pour l'historien et le citoyen. Elles mettent en évidence les enjeux de la mémoire : vision de 1945, vision de 2007, vision de l'habitant de Piégon qui a toujours vu ces peintures, vision du visiteur qui les découvre ? Le problème technique et politique de la conservation d'un tel document est posé. Comment et pourquoi conserver un tel document historique ? Combien de communes françaises de l'importance de Piégon (250 habitants en 2010) ont un tel document historique ? Le Musée virtuel est un moyen de faire connaître et de diffuser de telles œuvres qui ne sont, actuellement, connues que confidentiellement.

L'étude de l'œuvre de Jean Lhuer a permis à l'auteur de constater que le dessinateur était en contact avec d'autres artistes parisiens réfugiés dans le sud de la Drôme à Saint-Restitut et à Saint-Paul-Trois-Châteaux. On peut citer Maurice et Poppy Debouté, créateurs de joaillerie et d'horlogerie, André Tzanck peintre parisien déjà coté et musicien accompli. Le souvenir de Jean Lhuer est encore vivant à Saint-Restitut où monsieur Georges Armand a précisé à l'auteur quelques anecdotes de ses fréquentes rencontres avec le dessinateur. Ces artistes constituent un noyau vivant pendant quelques mois dans le sud de la Drôme, notamment dans le Nyonsais. Ils enrichissent le nombre des intellectuels et des artistes que la Drôme a accueillis et cachés pendant la Seconde Guerre mondiale


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : avec l'aimable autorisation de Bernard Lhuer et de madame Eichenberger, alors maire de Piégon.