La tragédie de Thines de Sylvain Villard

Légende :

1e de couverture en couleur avec dessin de Gaby Beaume

Genre : Image

Type : Ouvrage

Source : © Alain Martinot Droits réservés

Date document : 1993

Lieu : France

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Analyse média

Auteur

Sous le pseudonyme de Sylvain Villard, se cache Michel Rigaud natif de Privas (Ardèche). Après une carrière d’officier, de retour en Ardèche, il écrit des articles pour des journaux régionaux. Ses centres d’intérêt sont l’Ardèche plus particulièrement pendant la Deuxième Guerre mondiale. A l’origine, cet ouvrage ne devait être que des articles sur la tragédie de Thines mais pris au jeu de la curiosité « cette plaquette est la somme de mon enquête ».

Analyse

162 pages de format A5 composent cet ouvrage édité à compte d’auteur. Des dessins dont certains originaux, des cartes, des photographies des lieux, d’armes, de personnes, des photocopies d’archives communales mais aussi de Frédéric Brown l’illustrent. Pour écrire ce livre, Sylvain Villard s’est appuyé sur l’Ardèche martyre de Demontès, sur le tome II de Montagnes ardéchoises dans la guerre de Louis Frédéric Ducros, sur la presse de l’époque et sur des témoignages et des entretiens sans recourir aux archives primaires du préfet, de la gendarmerie, de la police (étaient- elles toutes accessibles à l’époque?). Il convient de s’interroger sur des témoignages et des entretiens un demi-siècle après les évènements car la mémoire, ouverte à l’amnésie, est en constante évolution : déformations, enrichissements. Elle installe le souvenir dans l’affectif et tire sa force des sentiments qu’elle mobilise.

Cinquante ans après les faits, cinq parties abordent le drame du 4 août 1943 au hameau de Tastevin, situé vallée de la Thines : la première bataille en Ardèche, suivie de témoignages puis de Frédéric Brown puis de conclusions avant recherches annexes.

La première bataille en Ardèche du mercredi 4 août 1943 rappelle l’arrivée le 18 juillet au hameau de Tastevin de 8 jeunes FTPF (Franc-Tireur et Partisan) dont un seul ardéchois Henri Silhol d’Aubenas [une partie sur qui étaient tous ces réfractaires aurait été bienvenue]. En provenance de la Fournache dans les Baronnies (Drôme), ces maquisards ont pour mission de réceptionner sur le plateau de Montselgues un parachutage destiné à un réseau clandestin de renseignements américain. Encerclés dans la nuit du 3 au 4 août par une unité allemande, ces jeunes gens refusent de se rendre et livrent un combat inégal, fatal à six d’entre eux : Charles Blanc, le responsable du groupe, Georges Bernard dit Gaston, Henri Silhol, Maurice Finck [et deux non cités dans l’ouvrage : Alphonse Bataille et Mathieu Ferrer] ainsi qu’à trois voisins : Justine Louche 90 ans, son petit-fils : Victorin Niel et Frédéric Bonnaud. Si un Georges Bernard dit Jojo [ils sont deux dans ce maquis portant le même nom et le même prénom] est fait prisonnier et déporté. Fernand Arnaud quant à lui réussit par « le saut de la vie » à se cacher dans un roncier et à échapper à la mort. Enfin il est question le 31 juillet de la mortelle visite au hameau de Tastevin de Jalabert, français, agent de la Gestapo.

La deuxième partie contient les témoignages de jeunes habitants de Thines à l’époque : Lucette Fraysse, Etienne Tournayre, Julien et Gilbert Comte, Marcel et Maurice Clavel et des passages du cahier d’Emile Comte, chronique de celui qui deviendra le maire de Thines le 27 mai 1944.

Avec Frédéric Brown, alias Tomy voire Brun, apparaît un personnage clé, homme d’action aux activités clandestines, de cette tragédie. Ce canadien d’origine est agent secret de l’OSS (Office of Strategic Services) organisme de renseignements américain. Depuis Alger, il est envoyé le 5 février 1943 en France avec pour mission d’implanter dans le SUd-Est du pays un réseau. De retour à Alger le 12 mai, il est parachuté dans la nuit du 19 au 20 juin sur le sud de la France avec des armes… Désormais les évènements se précipitent, Jean Marie Fournier, pilote d’aviation recherché car réfractaire à la Relève, est présent lors du parachutage de Brown. Les parents de Fournier possèdent à Thines une maison que leur fils met à la disposition d’un des collaborateurs de Brown : Delabre. Celui-ci sollicite l’appui d’un groupe de FTP. Ainsi est scellé le destin du maquis de Tastevin d’autant plus que Jalabert a infiltré le réseau Tomy et que des arrestations ont eu lieu à Marseille dans l’entourage de Brown: Louise Mere et de celui de Jean Marie Fournier: sa sœur et son beau- frère: Jeanine et Albert Hécart, cela courant juillet.

Dans la partie Conclusions, Raoul Galataud, responsable pour l’Ardèche de l’organisation des FTPF, précise qu’il n’a jamais été informé de la venue à Thines d’un groupe de FTP, sans doute dans un souci de sécurité. Il ajoute « Seul le besoin impérieux d’armes peut expliquer l’imprudence ». Parmi les imprudences il y a celles des jeunes FTP se croyant en sécurité dans ce hameau du bout du monde au point après un gros orage dans la soirée de relâcher la garde la nuit du 3 au 4 août, mais plus encore l’erreur mortelle de laisser repartir le 31 juillet cet inconnu, en l’occurrence Jalabert, venu en reconnaissance. 


Contexte historique

Cinquante ans après cet ouvrage rappelle que la tragédie de Thines est la première attaque par les occupants allemands d’un maquis sur le sol ardéchois. Depuis le 11 novembre 1942 les ennemis ont envahi la zone libre dont l’Ardèche. Toute la France est occupée même si subsiste un Etat français à la solde du IIIe Reich. La relève obligatoire du 4 septembre 1942 puis la création du STO (Service du Travail Obligatoire) le 16 février 1943 génèrent l’opposition d’une partie croissante de la population ardéchoise. Face aux refus de plus en plus nombreux des jeunes astreints au STO, les organisations de résistance : AS (Armée Secrète) et FTP créent à partir de mai 1943 des maquis pour les soustraire à ces départs. La nécessité de fournir notamment armes et munitions pour lutter contre l’occupant est à l’origine de la recherche de terrains de parachutage. Ainsi s’explique la présence de ce maquis à Tastevin, commune de Thines. La méthode utilisée par les nazis pour supprimer ce maquis a deux objectifs : effrayer la population sensible à ce refus d’une partie croissante de la jeunesse d’aller travailler en Allemagne et rappeler aux résistants que les lois de la guerre ne s’appliquent pas à eux que les nazis considèrent comme des terroristes qu’il s’agit d’éliminer.

Pour honorer les victimes, le conseil municipal décidait en 1948 l’élévation d’une stèle à Tastevin et la pose d’une plaque en façade de la maison qui abritait les maquisards. Suite à une souscription, un monument sculpté par Marcel Bacconnier est érigé dans le village de Thines à proximité de l’église romane.

Cette tragédie de Thines met aussi en avant le rôle de collaborateurs capable par idéologie ou pour de l’argent, exemple Jalabert, des pires infamies.
Ce drame montre de même le rôle important des services de renseignements étrangers, ici l’OSS, ancêtre de la CIA. Cette tragédie de Thines fut évoquée par « Radio Londres ».

Dans une période aussi mouvementée, trouble, il est parfois fort difficile de tout connaître, de tout savoir.


Auteur : Alain Martinot