Résister dans les camps par la pratique du culte : l’exemple de l’abbé Daniel Bonnin

Genre : Image

Type : Récit

Source :

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Poitou-Charentes) - Vienne - Poitiers

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Analyse média

Daniel Bonnin est né le 19 mars 1907 à Potonnier commune de Loubillé dans les Deux-Sèvres. Il entre en 1921 au petit séminaire de Montmorillon, puis en 1927 au grand séminaire de Poitiers. En 1938, il est nommé curé de Smarves dans la Vienne près de Poitiers où il fréquente l’université et obtient une licence de lettres classiques et des certificats de philosophie.

Mobilisé en 1940, il n’accepte pas l’armistice. Il est appréhendé une première fois pour avoir tenu tête à des officiers allemands et purge trois semaines de prison à la Pierre-Levée. En 1941, il entre dans le réseau clandestin que Louis Renard est en train de constituer dans la Vienne et qu’il cherche à étendre dans le département voisin, les Deux-Sèvres. L’Abbé Bonnin recrute des patriotes dans sa localité et donne des renseignements sur les troupes allemandes. Il est arrêté le 30 septembre 1942 au presbytère alors qu’il allait dire la messe. Transféré à Fresnes, il est classé dans la catégorie des « Nuits et Brouillads » par les Allemands et déporté « NN » dans le plus grand secret vers le camp spécial SS de Hinzert près de Trèves.

L’abbé Bonnin est le premier rudoyé et pris à partie dans des termes grossiers pour sa religion. Après quelques jours de quarantaine, il est employé avec trois autres prêtres du groupe à l’épluchage des pommes de terre. Resté gai, encourageant chacun, il devient vite populaire parmi les déportés, sa présence apportant calme et espoir. Il fait deux séjours au Revier, mais malgré la fièvre, il assiste deux amis dans leurs derniers moments.

En avril 1943, il est envoyé à la prison de Wolfenbüttel près de Brunswick. Pendant le voyage, bien que très fatigué, il étonne tout le monde par sa bonne humeur et sa foi chrétienne. Avec des camarades poitevins il partage la même cellule et peut lire et entretenir de longues conversations philosophiques ou littéraires avec certains, la vie étant plus « agréable qu’à Hinzert : pas de brutalité, le travail plus facile ».

En octobre 1943, il est transféré à Breslau et de là, envoyé à la sucrerie de Klettendorf où il travaille comme manœuvre. Il est l’homme de confiance de ses camarades sur lesquels il a une grande influence morale. Il est renvoyé le 15 décembre à la prison de Breslau où il reste en cellule. Le moral est élevé et, tous les dimanches a lieu une séance récréative : l’abbé Bonnin, dont la voix est superbe, chante. Le docteur Jacques Normand (réseau SR-Kléber) témoigne : « nous avons vécu dans cette cellule 308 de mars à septembre. Bien qu’il y eût plusieurs prêtres (quatre dont l’abbé Joseph de La Martinière) l’abbé Bonnin était considéré comme le curé de la cellule, c’est vous dire si son ascendant, même sur ses confrères, était grand. C’était lui qui disait la prière, le matin et le soir. […] Ses confrères le prenaient comme directeur spirituel ». Remplissant le rôle de Kalfaktor (il sert la soupe aux prisonniers), il peut approcher les autres détenus, ranimer les courages et donner l’espoir.

Après l’abrogation de la procédure « NN » en septembre 1944, l’abbé Bonnin est envoyé le 12 octobre 1944 au camp de concentration de Gross Rosen en Silésie. Le Block 22 où il est affecté, est entouré de barbelés et forme un camp spécial à l’intérieur du camp. La vie y est effroyable. Le Blockältester (le chef de Block) polonais déteste les Français et leur inflige constamment des brimades individuelles et collectives. Il leur vole leur nourriture ; ses camarades le choisissent pour élever une protestation officielle, il n’hésite pas mais ensuite, il est effroyablement frappé.

En novembre 1944, il est placé au Block 10 dont le chef est d’une sauvagerie incroyable. Pendant la nuit de Noël, il y fait une cérémonie publique, précédée de près de 150 confessions de prisonniers. Mais, il est complètement épuisé. Le docteur Normand, médecin du Block 10, diagnostique une pleurésie et le fait entrer au Revier. Il y reste jusqu’à l’évacuation du camp ordonnée suite à l’approche des Soviétiques.

Arrivé le 12 février 1945 au camp de Mittelbau-Dora après un voyage particulièrement difficile, l’abbé Bonnin est envoyé au camp mouroir de Nordhausen, à la Boelcke Kaserne. L’abbé est au service des tuberculeux, le docteur Normand, grâce à des complicités, peut lui apporter des fragments d’hostie consacrée, ce qui lui permet de communier chaque jour. Le docteur se souvient « Il ne pensait pas mourir et se réjouissait en pensant que quelques mois de bon air de Smarves suffiraient à le retaper… Jusqu’au dernier moment, il a conservé, énergie, force morale, volonté de guérir. » 

Le 4 avril 1945, l’abbé Daniel Bonnin trouve la mort sous le bombardement de la ville de Nordhausen.

 


SHD-Vicennes 16p72501 - DAVCC-Caen 21p428196 - Henri Auroux, Martyrs poitevins-Un parmi tant d’autres ; Marcelle Bonnin, L’Abbé Bonnin mort déporté en Allemagne ; Copie du rapport adressé par le docteur Normand à l’autorité militaire à son retour de déportation .

Laurent Thiery - Colette Gaidry