Interdiction aux commissaires de police de délivrer des certificats de non appartenance à la race juive, Marseille 18 mai 1942.

Légende :

Lettre du préfet des Bouches-du-Rhône au commissaire central de Marseille interdisant la délivrance de certificats de non appartenance à la race juive, 18 mai 1942

Type : correspondance officielle

Producteur : MUREL

Source : © ©archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 161 Libre de droits

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Sous couvert du préfet, l'intendant régional  de police Maurice de Rodellec du Porzic adresse au commissaire central de Marseille deux recommandations qui traduisent deux comportements divergents des fonctionnaires de police :

–        des commissaires de police délivrent des certificats de non appartenance à la race juive. Le 2 juin 1941, deux lois antisémites sont promulguées par le gouvernement de Vichy. Elles s'appliquent en zone sud et théoriquement en zone nord (voir contexte historique). La première aggravant le premier Statut des Juifs du 3 octobre 1940, assimile race et religion et définit comme Juif toute personne ayant trois grands parents de race juive, quelque soit sa religion ou son absence de religion, ou deux grands parents si son conjoint est lui-même de race juive. La confusion systématique race-religion montre l'embarras du législateur à définir qui est Juif en termes juridiquement cohérents et purement raciaux. La seconde loi organise un recensement des Juifs et oblige le chef de famille défini comme Juif au regard de la loi précédente à se déclarer ainsi que toute sa famille auprès du préfet ou du sous-préfet de sa résidence.Un récépissé lui était alors délivré. Des amendes et peines d'emprisonnement sont prévues pour ceux qui n'obéiraient pas. En cas de contestation, c'est à l'intéressé d'apporter la preuve qu 'il n'est pas Juif et non à l'administration. C'est le Commissariat Général aux Questions Juives( CGQJ) qui peut seul délivré un certificat de non-appartenance  à la race juive ( voire contexte historique)

On peut penser que les commissaires de police qui délivrent des certificats de non appartenance à la race juive en mai 1942 ne le font pas par ignorance de la loi mais par hostilité à la politique antisémite et pour protéger des persécutés. Des fonctionnaires dans les mairies, les commissariats jusqu'à la préfecture de Marseille fourniront tout au long de la guerre aux résistants et aux Juifs certificats et faux papiers. Antoine Zattara, chef de division à la préfecture de Marseille le paiera de sa vie. Arrêté le 20 juin 1944, grand invalide de la Première Guerre mondiale, il est déporté à Buchenwald où il décède le 3 ou 4 octobre 1944.

–        inversement des fonctionnaires de police ne se contentent pas du récépissé légal . Manifestation d'antisémitisme ? Possibilité d'exercer des pressions sur les intéressés puisque il est prévu des peines d'emprisonnement et des amendes pour les contrevenants à la loi du 2 juin 1941 ?

La note de Rodellec du Porzic ne décourage pas les fonctionnaires décidés à sauver des Juifs puisqu' l'intendant général de police doit renouveler son interdiction en octobre 1942(album). A cette date les grandes rafles de Juifs étrangers de l'été ont eu lieu en zone nord comme en zone sud. Malgré la censure, l'opinion publique en a eu connaissance. Des évêques et des pasteurs ont protesté publiquement. La presse clandestine de la Résistance les a dénoncées. La presse communiste juive, dés octobre 1942, fait état du gazage et de l'extermination de Juifs déportés de France. De nombreux Français décident, individuellement ou à l'intérieur d'un mouvement de résistance, de refuser de devenir complices à minima de persécutions et peut-être d' un génocide qui devient de plus en plus probable.

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

L'année 1941 voit une aggravation des mesures antisémites prises par le gouvernement de Vichy. Fin mars 1941 est créé, à la demande des autorités allemandes, le Commissariat Général aux Questions Juives( CGQJ), chargé de coordonner la politique antijuive sur l'ensemble du territoire. Xavier Vallat, qui s'est distingué avant guerre par son antisémitisme virulent, est le premier commissaire général. Les deux lois du 2 juin 1941, portant statut  des Juifs et en imposant le recensement , sont suivies d'une cinquantaine de lois et décrets qui achèvent d'exclure les Juifs de la vie économique et lancent l'aryanisation de leurs biens.En zone occupée ,les autorités allemandes avaient dés le 27 septembre 1940 publié une ordonnance définissant qui est juif (deux grands-parents juifs) et imposant une déclaration au sous-préfet de son arrondissement. Le service des étrangers de la préfecture de police de Paris est chargé d'organiser le recensement des Juifs du département de la Seine. A la fin de 1941, 151 000 Juifs ont été recensés, ils représentent 90% des Juifs vivant en zone occupée. Un fichier général et quatre fichiers thématiques( nationalités, adresses, professions et pour les chefs de famille quartiers) sont établis. Les fiches sont bleues pour les Français, orange pour les étrangers. L'administration française a à cœur de montrer son efficacité et sa maîtrise.  Ces fichiers servent de base aux rafles de l'été 1942. Pour maintenir une fiction de souveraineté sur la zone occupée, le gouvernement de Vichy met l'administration française et en particulier la police au service de la politique d'extermination du Reich. Les premières rafles de Juifs apatrides commencent à Paris les 14 mai, 20 et 23 août 1941. Les camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Drancy, ouvert en août, sont administrés et surveillés par des Français. Le premier convoi de Juifs français et étrangers part le 27 mars 1942 à destination d'Auschwitz. A partir de juin 1942, les responsables nazis décident la déportation des Juifs des Pays-Bas, de Belgique et de la zone qu'ils occupent en France. C'est l'opération « Vent printanier ».Les négociations entre René Bousquet, secrétaire général de la police, et le général SS Oberg, aboutissent à l'accord suivant : les rafles seront effectuées par la police française en zone nord comme en zone sud. René Bousquet y voit le respect de la souveraineté française mais elles ne concerneront que les Juifs étrangers. Pierre Laval demande à ce que les enfants de moins de 16 ans soient déportés avec leurs parents, ce que les autorités allemandes n'avaient pas prévu au départ. Les premières rafles effectuées les 16 et 17 juillet dans la région parisienne, « rafle du Vel d'Hiv »aboutissent à l'arrestation de 12 884 personnes, loin du quota fixé par les Allemands à  40 000 personnes. Aussi  une seconde vague de rafles frappe les Juifs de zone sud en août 1942. Les camps  et centres d'internement sont bouclés. Les internés des différents camps sont regroupés au camp des Milles près d'Aix-en-Provence. Les Juifs étrangers non internés y sont également transférés. A partir du 10 août 1942, les convois quittent les Milles pour Drancy. Entre août et septembre 1942, 1 500 personnes, hommes, femmes, enfants sont ainsi transférés à  Drancy et de là partent pour Auschwitz. Les exemptions fixées par l'administration françaises n'ont pas été respectées.  Le camp de Rivesaltes dans les Pyrénées orientales a aussi servi de camp de regroupement avant le transfert pour Drancy et Auschwitz. Il n'y a pratiquement pas de survivants en 1945.

La censure ne peut dissimuler les rafles  et les conditions effroyables des transferts. Une partie de la population s'émeut.Les autorités religieuses, protestantes et catholiques émettent des protestations. Mais surtout il apparaît que la légalité ne permet pas le sauvetage. Des filières fournissant des faux papiers, des caches, des familles d'accueil ou le passage en Suisse et en Espagne se développent. Des fonctionnaires participent comme le montre les notes répétées de l'intendant régional de police. Certains le paieront de leur vie.

A titre individuel, des ecclésiastiques catholiques, protestants et orthodoxes avaient délivré des certificats de baptême à des Juifs. Les autorités françaises avaient riposté en rejetant les certificats religieux comme preuve de nationalité ou de non appartenance à la race juive.


Sylvie Orsoni

Sources

 Courtois Stéphane, Rayski Adam, Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs, 1941-1945, éditions La Découverte, Paris, 1987.

 Joly Laurent,L’État contre les Juifs,éditions  Bernard Grasset, Paris, 2018

 Joly Laurent,La rafle du Vel d'Hiv,éditions  Bernard Grasset, Paris, 2022

 Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

 Poznanski Renée, Propagandes et persécutions. La Résistance et le « problème juif », éditions Fayard, Paris, 2008.

 Rémy Dominique, Les lois de Vichy.Actes dits » lois » de l'autorité de fait se prétendant « gouvernement de l’État français », éditions Romillat, Paris,1992.