Instructions aux comités de défense pour lutter contre les persécutions antijuives et les déportations, janvier 1943.

Légende :

Instructions données aux responsables des comités de défense et de solidarité pour résister aux déportations,section juive de la MOI, organisation de communistes juifs immigrés, 5 pages, janvier 1943

Type : instructions données par des responsables centraux aux responsables de base

Producteur : MUREL

Source : © © archives privées du comité de Marseille de l'ANACR Libre de droits

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le document , daté de janvier 1943, s'adresse aux responsables des comités de défense  issus de la section juive de la MOI ( voire contexte historique). Il n'est pas signé puisque c'est un document interne, contrairement aux journaux et tracts destinés à la propagande externe.L'argumentation, le style, la présentation des événements militaires sont caractéristiques des publications de la MOI.  Les comités de défense et de solidarité contre les persécutions anti-juives et les déportations apparaissent en décembre 1942. Au printemps 1943, ils deviennent le MNCR( Mouvement National contre le Racisme) . Le but est de rassembler Juifs et non-Juifs dans une organisation luttant contre le racisme et l'isolement des populations juives.

-L'introduction rappelle la position du parti communiste français par rapport aux persécutions antisémites : la politique antisémite qu'elle émane des autorités allemandes d'occupation ou du gouvernement de Vichy n'a pas un but spécifique  mais sert à diviser les populations vivant en France en cherchant à opposer Juifs et non Juifs par une propagande antisémite. Alors que les Juifs étrangers ont été victimes de deux grandes séries de rafles, en juillet  dans la région parisienne et en août 1942 en zone sud,  la déportation de familles entières suscite un fort doute sur  le sort réservé aux déportés. Le document continue cependant d'affirmer qu'il n'y a pas de spécificité dans les persécutions frappant les Juifs. Le terme de déportation qui, à partir de 1943, revient de plus en plus souvent dans la presse clandestine de toute la Résistance, concerne aussi bien l'envoi de travailleurs  en Allemagne que l'acheminement des populations juives vers les camps d'extermination (voire contexte historique) 

Le document sert autant à donner des consignes d'action qu'à transmettre la ligne du parti. Dans ce but, la situation internationale, nationale est analysée dans les deux premières pages.

-La situation internationale est présentée de façon très encourageante. Comme dans toutes les publications communistes, l'action de l'Armée rouge est valorisée. L'invasion de la zone sud par les armées d'occupation en novembre 1942 est interprété comme le signe du déclin militaire allemand.

-La situation française est résumée sans nuance ni grand rapport avec la réalité: la résistance est celle du peuple tout entier,  le gouvernement de Vichy n'a aucune base sociale. Ces affirmations  peuvent être contredites par la réalité et même par une analyse marxiste, elles n'en constituent pas moins un thème récurrent des publications communistes. Le sabordage de la flotte française à Toulon est célébré comme une manifestation d'héroïsme et de ralliement à la Résistance. Cette position n'est pas propre aux publications de la MOI, c'est celle de la presse alliée, la presse soviétique étant sans doute la plus enthousiaste.

Les trois dernières pages constituent la partie spécifique du document.

Avant d'en venir aux consignes pratiques, la situation des Juifs est replacée dans son contexte idéologique et analysée selon la grille de lecture exposée en introduction.

Comme  c'est la règle dans toutes les publications communistes,  l'action des comités de défense est efficace, en croissance et incarne non seulement la population juive dont la complexité et les divisions sont totalement gommées, mais reçoit même l'adhésion des non-juifs, ce qui est logique puisque la ligne politique impose une vision globalisante des populations vivant en France.

Les pages 4 et 5 énumèrent  un catalogue d'actions à mener :

–        faire l'union de tous les Juifs de France, immigrés ou Français, sous l'égide du mouvement afin d'en faire le seul représentant des populations juives

–        développer les comités de défense et la propagande  sur tout le territoire

–        rechercher la solidarité des non Juifs, déclinés de toutes les manières possibles, des enseignants  aux veuves de guerre, des chefs religieux aux syndicats ouvriers.

–        rechercher  les moyens financiers permettant de maintenir l'aide aux Juifs dans le besoin, ce nombre augmentant sans cesse puisque les interdictions professionnelles, les internements et déportations privent de nombreuses familles de ressources.

–        La dernière partie propose l'argumentaire  et les consignes à développer auprès des population juives : résister aux arrestations, faire appel à la solidarité. Tout sauf accepter passivement d'être raflé.

 Les consignes d'action sont  en contradiction avec la vision globalisante  des persécutions: si toute la population française est menacée au même titre, comment les non-Juifs peuvent-ils intervenir, aider les Juifs ? Elles montrent qu'un danger spécifique menace bien les Juifs et que leur survie ne peut venir que de populations moins menacées.

Le document se termine comme de coutume par de vibrants appels à la Résistance et l'affirmation que la victoire non seulement est certaine mais qu'elle est proche. Pour achever de donner de l'espoir , le document évoque en lui accordant la même force la déclaration des Nations Unies qui le 17 décembre 1942 accuse clairement l'Allemagne de mener une politique d'extermination des populations juives et le message que le pape Pie XII adresse le 25 décembre où il évoque «les centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive. »sans que le mot juif soit prononcé.

Ce document montre  que la section juive de la MOI est consciente du danger qui menace  les populations juives. Elle essaie par tous les moyens de persuader les Juifs de France que l'obéissance à la loi n'est en aucune manière une protection, que seule la lutte peut les sauver mais elle reste dépendante de la vision politique imposée par le parti communiste, ce  qui donnera lieu par la suite à nombre de controverses.


Sylvie Orsoni

 

Contexte historique

En Afrique du Nord, l'armée du général Rommel marque le pas et est vaincue le 28 octobre 1942 à El Alamein. Le 8 novembre 1942, les armées anglo-américaines débarquent  et s'installent au Maroc et en Algérie, ce qui entraîne  le 11 novembre ,l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes. La souveraineté du gouvernement de Vichy n'est plus qu'une fiction que la propagande du régime essaie d'entretenir. 

En URSS, les Allemands ont échoué devant Moscou et sont en difficulté à Stalingrad.

Dans le Pacifique, les Britanniques ont connu des revers( prise de Singapour le 15 février 1942). Mais les Japonais, après des mois de succès, perdent en mai la bataille de la mer de corail et  les Américains passent à l'offensive à Guadalcanal en août. Les rédacteurs du document répètent leur foi en une victoire certaine et proche quelque soit la réalité militaire. 

Contexte national :

En France, l'année 1942 a vu se multiplier les persécutions antisémites. Le 29 mai,une ordonnance allemande impose en zone nord le port de l'étoile jaune aux Juifs de plus de six ans à partir du 7 juin. Le gouvernement de Vichy refuse d'appliquer la même mesure en zone sud mais le retour au pouvoir de Pierre Laval  le 18 avril accentue la collaboration avec l'Allemagne. Pierre Laval, le 22 juin, souhaite dans un grand discours la victoire de l'Allemagne et annonce la « Relève », c'est à dire le départ pour l'Allemagne de jeunes travailleurs français en échange du retour de prisonniers de guerre. A l'été 1942, le gouvernement de Vichy accepte que des rafles de Juifs étrangers  soient organisées dans les deux zones .Pierre Laval demande à ce que les enfants de moins de seize ans soient également déportés alors que ceux qui sont nés en France sont français et que le 1er juin, une émission de la BBC annonçait « Les Allemands ont exterminé 700 000 Juifs polonais ». Les rafles sont réalisées par la police française à partir du 16 juillet en région parisienne et en août en zone sud. Elles touchent des familles entières, femmes, enfants malades, vieillards  ce qui rend difficile la fiction de départ vers des camps de travail. Les pasteurs Boegner et Bertrand interviennent auprès des autorités françaises en juin et août 1942 .Le 22 septembre, l'Eglise réformée de France décide qu'un communiqué de protestation sera lu  dans toutes les paroisses de France le 4 octobre. L'attitude de la hiérarchie catholique est plus réservée. Les adresses aux fidèles de Mgr Salièges à Toulouse et Mgr Théas à Montauban , par leur condamnation claire contrastent avec les protestations plus modérées des évêques de Marseille et d' Albi qui condamnent les rafles tout en affirmant leur loyauté à l'égard de l'Etat français et concédant l'existence d' « un problème juif ». L'assemblée des archevêques et cardinaux de la zone nord réunis à Paris lors de la rafle de juillet se contente de confier au cardinal Suhard une lettre pour le maréchal Pétain mais se garde d'une protestation publique.  Le nonce apostolique lui-même trouve la réaction bien timorée.

 Le gouvernement  de Vichy décide qu'à partir du 11 décembre 1942, la mention  « Juif » sera  apposée sur les papiers d'identité et les cartes d'alimentation. Depuis juin 1941, les Juifs ont du se déclarer et des fichiers , constitués par l'administration française, permettent de les localiser et de connaître la composition de la famille. 

Contexte propre à la MOI :

 Que savaient les auteurs du document en janvier 1943 ?

La section juive de la MOI est  à l'origine du texte.La MOI(Main d'oeuvre immigrée) est créée par le Parti communiste  français en 1932 et comprend une section juive. Comme toutes les organisations liées au parti communiste, la MOI est interdite le 1er octobre 1939. Les militants poursuivent leur action clandestinement. La section juive crée dés septembre 1940 le « Secours populaire » en zone sud,  « Solidarité » en zone nord afin d'aider les réfugiés et les internés . Par ailleurs elle diffuse une presse clandestine en français(Notre Voix) et en yiddish(Unzer Wort). Au printemps 1942, la MOI verse une partie de ses effectifs dans les FTP(Francs-Tireurs et Partisans) et se lance dans la lutte armée. Dés avril 1942,une nouvelle publication en français s'ajoute : J'accuse en zone nord, Fraternité en zone sud. La publication est destinée à la population françaiseet veut susciter le rejet de la propagande antisémite. Après les rafles de l'été 1942, sont créés des comités de défense et de solidarité qui deviennent ensuite le Mouvement national contre le Racisme( MNCR).Le choix du mot « racisme » en lieu et place d' « antisémitisme »a pour but de montrer que les Juifs ne sont pas les seuls menacés mais que toute la population française peut être menacée par le racisme nazi.

 A partir de  l'été 1942, la section juive de la MOI ne dissimule pas le danger mortel qui pèse sur les Juifs de France.Le fait que vieillards, malades, enfants ont été raflés  en juillet et août montrent qu'il ne s'agit pas de déportations vers des camps de travail.  Des informations sur le génocide commis dans l'est de l'Europe sont de plus en plus concordantes. En octobre 1942, le numéro 2 de J'accuse titre :  «les tortionnaires boches brûlent et asphyxient des milliers d'hommes,de femmes et d'enfants juifs déportés de France ».  En décembre 1942,le numéro 75 de J'accuse, insiste «  La Pologne toute entière—Vaste abattoir de Juifs ». A partir de cette date, les publications de la section juive de la MOI ne varient plus : les Juifs  sont voués par les nazis à l'extermination.

En même temps, comment croire que de tels crimes sont possibles et ne relèvent pas de la propagande ? Les militants comme les destinataires des publications oscillent entre l'acceptation et le doute.

 

Une polémique  opposera plus tard les historiens comme Annette Wieviorka d'une part , Stéphane Courtois,  Denis Peshanski et Adam Rayski d'autre part : Annette Wiewiorka reprochera en particulier  aux publications de la MOI de ne pas avoir alerté avant juillet 1942 les familles juives, de ne pas les avoir  incitées à plonger dans la clandestinité  et à trouver des filières de sauvetage pour les enfants. Etait-ce possible de cacher des dizaines  de milliers de personnes souvent sans ressources, parlant peu français ou avec un accent très repérable, alors que l'antisémitisme était largement partagé dans la population française ? Ces polémiques sont indissociables de prises de position vis-à-vis du parti communiste.


Sylvie Orsoni

Sources

Courtois Stéphane, Rayski Adam, Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs, 1941-1945, éditions La Découverte, Paris, 1987.

Courtois Stéphane, Peschanski Denis, Rayski Adam, Le sang de l'étranger. Les immigrés de la M.O.I. dans la résistance. Editions Arthème  Fayard, Paris, 1989

Georges-Picot Grégoire, L'innocence et la ruse. Des étrangers dans la Résistance en Provence. Éditions Tirésias, Paris 2011.

Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Poznanski Renée, Propagandes et persécutions. La Résistance et le « problème juif », éditions Fayard, Paris, 2008.

Wieviorka Annette, Ils étaient juifs, résistants, communistes, éditions Perrin, Paris, 2018.