Appel du mouvement national des femmes juives pour le 1er anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv, juillet 1943

Type : journal

Producteur : MUREL

Source : © © archives privées du comité de Marseille de l'ANACR Libre de droits

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le mouvement National des Femmes Juives dans la lutte contre le Fascisme est une émanation de la section juive de la MOI(voire contexte historique). Le document s'adresse spécifiquement aux femmes juives. Il obéit à une stratégie de la presse communiste : distinguer des catégories spécifiques et les interpeller . La démultiplication des interpellations doit aboutir à toucher toute la population. A l'intérieur de la MOI, les femmes étaient nombreuses et occupaient des postes de responsabilité. Elles avaient souvent derrière elles un passé de militantes politiques ou syndicalistes. Le document  s'adresse  aux femmes  comme à des combattantes, égales aux hommes dans la lutte pour la liberté.

Le document, daté de juillet 1943, ne comporte pas de numéro de parution. On peut penser qu'il s'agit d'une publication exceptionnelle à l'occasion de la fête nationale française et du premier anniversaire des rafles qui frappèrent les Juifs étrangers de la région parisienne à partir du 16 juillet 1942(voire contexte historique).

La première page montre ces deux objectifs :

–        célébrer la fête nationale pour affirmer que les Juifs font pleinement partie de la nation et rendent hommage aux révolutionnaires français qui, avec la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, affirmèrent des valeurs universelles et accordèrent  aux Juifs vivant en France l'émancipation (voire contexte historique).

–        rappeler  dans toute son horreur la réalité de la rafle du Vel d'Hiv alors que les censures allemande et française  ont voulu cacher cet événement.

Dans les pages suivantes, le document reprend à travers ces deux thèmes l'argumentation que l'on retrouve dans les publications de la section juive de la MOI :

–        le peuple français est solidaire des Juifs et insensible à la propagande antisémite. Faire des Juifs une catégorie différente des Français peut surprendre puisqu'il y a des Français de religion juive. Le document émane de la section juive de la MOI, c'est-à-dire d' immigrés juifs qui ont subi une double discrimination, en tant qu'étrangers et en tant que Juifs, et n'ont pas toujours trouvé dans les  Français de confession ou d'origine juive, la solidarité qu'ils pouvaient espérer. Il faut aussi persuader les Français juifs qu'ils ne doivent pas se faire d'illusion et qu'ils sont tout autant menacés que les immigrés.

–        Juifs et Français sont menacés également de déportation : les rafles et les déportations de l'été 1942 sont de même nature que les réquisitions de main d'oeuvre pour l'Allemagne.  Cette analogie peut également surprendre.En page trois, le document fait état de l'extermination d'un million et demi de Juifs en Pologne. On retrouve la volonté de ne pas isoler les Juifs du reste de la population alors qu'ils sont stigmatisés depuis longtemps par la propagande antisémite quelle soit allemande ou française.

–        Les forces de l'Axe essuient des revers grâce en particulier à l'armée soviétique. Un hommage rare est cependant rendu à l'aviation britannique.

–        La résistance grandit chaque jour mais elle s'incarne dans  les Francs-Tireurs et Partisans( FTP)  créés par le parti communiste français  au printemps 1942.

–        la lutte est la seule solution pour venger les déportés et participer à la libération du pays. L'insurrection du ghetto de Varsovie qui a eu lieu quelques mois auparavant( 19 avril- 8 mai 1943) devient un thème récurrent permettant de célébrer l'héroïsme juif et de lutter contre les stéréotypes antisémites : les juifs ne sont pas des moutons que l'on mène à l'abattoir, ils peuvent se battre et tenir en échec une armée qui domine une grande partie de l'Europe.  Le résultat final de l'insurrection importe peu. Les morts du ghetto imposent d'être vengés et donc de participer à la résistance  aux côtés des non-juifs.

–        ceux qui participent aux persécutions antisémites  devront bientôt rendre des comptes quelle que soit leur nationalité, donc y compris s'ils sont français.

 

Le document reflète la ligne politique fixée par le parti communiste français et suivie par les dirigeants de la section juive de la MOI : avertir les Juifs de France qu'ils sont menacés d'extermination tout en refusant d'affirmer la spécificité de leur condition, ce qui briserait le dogme de l'unicité du peuple, tout entier tourné vers la résistance.

A qui le document est-il destiné ? Le choix du français montre que les immigrés juifs, yiddishophones ,ne sont pas les destinataires prioritaires. La section juive publie à leur destination Unzer Wort. Ce sont les juifs français intégrés et la population française qui constituent le lectorat visé afin de briser l'isolement des Juifs immigrés qui ont été les premières victimes des rafles.

Comme dans toutes les publications de la Résistance, les événements sont toujours présentés de façon positive, les succès gonflés et les échecs passés sous silence ou minorés et la libération annoncée :  « le jour de notre libération approche. En avant, la tête haute, avec tout le peuple de France, pour notre commune libération. » 

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La section juive de la MOI est  à l'origine du texte. La MOI (Main d'oeuvre immigrée) est créée par le Parti communiste  français en 1932 et comprend une section juive yiddishophone. Comme toutes les organisations liées au parti communiste, la MOI est interdite le 1er octobre 1939. Les militants poursuivent leur action clandestinement. La section juive crée dés septembre 1940 le « Secours populaire » en zone sud(  « Solidarité » en zone nord) qui aide les réfugiés et les internés, diffuse la presse clandestine en français et en yiddish. Au printemps 1942, la MOI verse une partie de ses effectifs dans les FTP(Francs-Tireurs et Partisans) et se lance dans la lutte armée. Après les rafles de l'été 1942, elle met sur pied des comités de défense et de solidarité qui deviennent, au printemps  1943, le MNCR (Mouvement National Contre le Racisme). Le MNCR rassemble Juifs et non-Juifs. Il a pour but de lutter contre la propagande antisémite et fournir aux Juifs des faux-papiers,des filières de sauvetage, en particulier pour les enfants.

 A partir de  l'été 1942, la section juive de la MOI ne dissimule pas le danger mortel qui pèse sur les Juifs de France.Le fait que vieillards, malades, enfants ont été raflés  en juillet et août montrent qu'il ne s'agit pas de déportations vers des camps de travail.(voire notice Instructions aux responsables des comités de défense).

En juillet 1943 ,  la section juive de la MOI tient à célébrer la fête nationale française afin de montrer le patriotisme et l'attachement  des Juifs aux valeurs universelles de la Révolution. Elle veut aussi rappeler deux événements spécifiquement juifs :

-à Paris, les rafles de 12 884 hommes, femmes et enfants, arrêtés  les 16 et 17 juillet 1942 par la police française, internés au stade du Velodrome d'Hiver et à Drancy avant d'être déportés à Auschwitz. Le gouvernement de Vichy comme les autorités allemandes ont essayé de dissimuler l'arrestation de femmes, vieillards et enfants et leur internement dans des conditions inhumaines. Des informations ont cependant filtrées et la presse clandestine de la Résistance les a relayées. Quelques autorités religieuses catholiques et l'Eglise réformée de France ont publiquement protesté

-à Varsovie, dans le ghetto, du 19 avril au 8 mai 1943, quelques centaines résistants et résistantes,réunis dans l'Organisation Juive de Combat( OJC)  et l' Association militaire Juive( voire partie sur le ghetto de Varsovie)luttent, armés le plus souvent d'un simple revolver, pendant plusieurs  semaines contre  7 000 soldats allemands, supplétifs ukrainiens et policiers polonais appuyés par des blindés et l'aviation qui jette des bombes incendiaires. La résistance polonaise a fourni quelques armes  et cachera les quelques combattants qui parviennent à s'échapper à la fin des combats.    Le général SS Stroop, après quelques jours de combat ordonne d'incendier le ghetto, de jeter des gaz asphyxiants dans les égouts  et de les inonder afin de piéger ceux qui s'y cachent et essaient de rejoindre le côté aryen de Varsovie. Le 8 mai, l'essentiel des combattants a été tué mais la liquidation des derniers insurgés se poursuit jusqu' au 16 mai. Le 16 mai au soir, le général Stroop  fait sauter la grande synagogue de Varsovie et termine son rapport :  « le ci-devant quartier juif de Varsovie n'existe plus». La résistance héroïque des combattants du ghetto est immédiatement connue dans le monde entier  et devient un des thèmes récurrents de la presse clandestine juive. Malgré l'issue tragique du soulèvement, les combattants du ghetto sont érigés en exemple car ils contredisent la propagande et les stéréotypes antisémites.


Sylvie Orsoni

 

Sources

Borwicz Michel, L'insurrection du ghetto de Varsovie, éditions Julliard, collection Archives, Paris 1979.

Courtois Stéphane, Rayski Adam, Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs, 1941-1945, éditions La Découverte, Paris, 1987.

Joly Laurent,La rafle du Vel d'Hiv,éditions  Bernard Grasset, Paris, 2022

Poznanski Renée, Propagandes et persécutions. La Résistance et le « problème juif », éditions Fayard, Paris, 2008.