Mortalité ordinaire dans le ghetto, Varsovie, 1941

Légende :

Un enfant près du cadavre d'un adolescent  mort dans la rue, ghetto de Varsovie, février  1941.

Type : Photographie

Producteur : MUREL

Source : © : © Heydecker Jost Droits réservés

Lieu : Pologne

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Analyse média

Sur cette photo, un enfant se penche sur le cadavre qui semble être celui d'un adolescent. Il regarde le photographe comme pour le prendre à témoin. La foule continue son chemin, indifférente devant un spectacle banal.

En février 1941,Jost Heydecker, sergent dans la Wehrmacht  et anti-nazi, décide de pénétrer clandestinement  dans le ghetto de Varsovie et de photographier ses habitants afin de laisser un témoignage : « J'étais déchiré par des sentiments de honte, de haine et d'impuissance...je photographiais pour fixer l'infamie par l'image- en quelque sorte , pour conserver le cri que j'aurais voulu lancer à la face du monde. »  Il y retourne à plusieurs reprises en mars 1941 avec deux amis. Ses pellicules demeurèrent cachées jusqu'à ce que l'auteur décide de les publier en 1983 pour la version allemande du livre, en 1986 pour la version française.

 

Cette photo montre une scène de rue ordinaire dans le ghetto. La famine règne très rapidement après la fermeture et frappe ceux qui n'ont pas trouvé de travail dans les usines que les Allemands implantent dans le ghetto,ceux qui ne savent pas trafiquer, ceux qui ont épuisé leur économies et vendu tous leurs objets de valeur et ceux qui n'en ont jamais eu. Si les cas de typhus se déclarent en juillet 1941, la faim frappe bien avant. En mars, Jost Heydecker observe :« ceux qui ne possédaient rien à vendre ou échanger-bijoux,meubles fourrures, ou tout autre objet pouvant avoir de la valeur- étaient condamnés à mourir de faim, les uns plus vite, les autres plus lentement. Ils mouraient dehors, dans la neige, ou on les sortait des maisons de nuit, nus (car même les vêtements en loques avaient encore de la valeur), recouvert de journaux afin que la charrette des morts puisse les ramasser le lendemain matin et les conduire au cimetière. » Le 20 mai , Emmanuel Ringelblum fait le même constat :  «  ces jours derniers, les décès ont atteint le chiffre de 150 environ par jour... et la mortalité continue à croître. On enterre les morts de nuit entre 1 heure et 5 heures du matin, sans linceuls -on enveloppe les cadavres dans du papier blanc que l'on récupère ensuite- et dans les fosses communes. Le cimetière manque de place...Divers groupes de touristes, de civils et de soldats, viennent visiter le cimetière. La majorité ne manifeste aucune sympathie pour les Juifs. Certains affirment même que la mortalité n'est pas assez élevé. D'autres prennent des photos. » Plus tard en août 1941, Emmanuel Ringelblum note : « on constate une curieuse indifférence à la mort qui ne fait plus impression. Dans la rue, les gens passent avec indifférence devant les cadavres. »

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La faim ravage le ghetto dés sa fermeture (voire notice bouclage du ghetto). Les autorités allemandes interdisent  aux Polonais non Juifs de ravitailler  leurs compatriotes juifs. Les rations allouées sont très insuffisantes. Les inégalités sociales sont criantes. Les trafiquants, les membres de la police juive et du Judenrat, ceux qui possèdent des ateliers travaillant avec les Allemands peuvent fréquenter les boites de nuit du ghetto. Les travailleurs forcés( 132 265 personnes) des usines en lien avec les Allemands reçoivent de maigres rations. Les autres sont réduits aux distributions de nourriture que le Judenrat reçoit des autorités allemandes. En septembre 1941, Hans  Frank décide de diminuer la ration alimentaire des habitants du ghetto et d'interdire tout colis en provenance des pays neutres et de l'étranger. En décembre , la ration journalière est de 2 310 calories pour les Allemands et de 184 calories pour les habitants du ghetto. A cette époque, la ration mensuelle officielle était d'un kilo de pain, 250 grammes de sucre, 100 grammes de confiture et 50 grammes de matières grasses. Plus de 100 000 personnes vivaient exclusivement d'une soupe à l'eau distribuée par une organisation juive. Dans ces conditions, trafics en tout genre, prostitution, exploitation de plus faible que soi explosent.

10 % de la population du ghetto est déjà morte fin 1941.


Sylvie Orsoni

Sources

Blady Szwajger Adina, Je ne me souviens de rien d'autre,éditions Calmann-Lévy, Paris, 1990.

Borwicz Michel (présenté par), L'insurrection du ghetto de Varsovie, éditions Julliard, coll. Archives, Paris, 1996.

Edelman Marek, Krall Hanna, Mémoires du ghetto de Varsovie, un dirigeant de l'insurrection raconte, éditions du scribe, Paris, version française 1983.

Heydecker H. Joe, Un soldat allemand dans le ghetto de Varsovie 1941,éditions Denoël, Paris, 1986

Ringelblum Emmanuel, Chronique du ghetto de Varsovie, éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 1959