Interdiction d'exercer la médecine pour une femme d'origine étrangère, 17 octobre 1940

Légende :

Arrêté préfectoral retirant le droit d'exercer à un médecin d'origine étrangère, 17 octobre 1940, 76 W 188

Type : arrêté

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le préfet des Bouches-du-Rhône applique sans retard la loi du 16 août 1940 interdisant l’exercice de la médecine, de la pharmacie et de la dentisterie aux étrangers et aux Français naturalisés. Le fait d'avoir obtenu son diplôme en France n'entre pas en ligne de compte.  Il faut être né de père français pour pouvoir exercer ces professions. L'exécution de l'arrêté préfectorale ne doit souffrir aucun retard.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dès les années 1920, des manifestations et des grèves ont lieu dans les facultés de médecine et de droit pour réclamer l'exclusion des étrangers, des Juifs et des femmes accusés de faire une concurrence illégitime aux étudiants français. La loi « Cousin-Nast » » du 26 juillet 1935, portée par des élus membres de la profession fixe des règles strictes pour les étudiants et médecins d'origine étrangère. Les étudiants étrangers ou naturalisés doivent posséder les titres français initiaux (certificat d'études physiques, chimiques et biologiques - le PCB-) pour pouvoir s'inscrire. Les médecins étrangers doivent acquérir des diplômes français. De plus, ils devront avoir fait leur service militaire en France ou attendre cinq ans avant de pouvoir exercer. Les mêmes dispositions sont adoptées pour ce que l'on appelle l'art dentaire.  Le cas des étudiantes ou femmes médecins n'est pas évoqué. Ces dispositions malthusiennes ne suffisent pas à endiguer les protestations xénophobes. Le Médecin de France, organe du syndicat des médecins s'en fait l 'écho dans les années suivantes. L'Etudiant français, organe mensuel des étudiants d'Action française présente en 1938 un tableau apocalyptique : les médecins étrangers ou nationalisés sont responsables de la majorité des fautes ou délits commis par la profession, les naturalisations augmentent à un rythme exponentiel et concernent « des Juifs pour la plupart, des inassimilables. »

  Le gouvernement de Vichy se reconnaît dans ces revendications antisémites, xénophobes et misogynes et adopte un arsenal législatif pour ne laisser aucun « indésirable » passer à travers les mailles du filet. Il promulgue les 16 et 22 juillet 1940 deux lois permettant la révision des naturalisations accordées depuis 1927. Il évince les étrangers et les naturalisés des professions médicales par la loi du 16 août 1940, puis les Juifs par le statut du 3 octobre 1940.  La loi de 1935 n'avait pas d'effet rétroactif concernant la reconnaissance de diplômes acquis à l'étranger. La loi du 16 août 1940 s'applique à tous les praticiens étrangers ou naturalisés ou de père naturalisé après leur naissance exerçant en France. Une Française mariée à un étranger ne transmet pas à ses enfants le droit d'exercer une profession médicale. Le 7 octobre 1940, le gouvernement de Vichy crée le Conseil supérieur des médecins qui devient le conseil de l'ordre des médecins (loi du 10 septembre 1942). L'inscription au tableau de l'ordre est indispensable pour exercer.  L'éviction des femmes françaises se révèle plus difficile à cause de la pénurie de main d'œuvre. 

L'article deux prévoit deux possibilités d'échapper à ces interdictions professionnelles : être ancien combattant ou s'être particulièrement distingué dans l'exercice de sa profession. Les exemptions n’ont rien d’automatique et sont soumises à l'appréciation du secrétaire général de la santé publique et en dernier ressort du ministre secrétaire d'Etat à la famille et à la jeunesse. Ce nationalisme d'exclusion fragilise les personnes qui en sont frappées et les rend plus vulnérables aux persécutions ultérieures. La profession montre très peu d'empathie envers les médecins exclus quand elle ne s'en félicite pas ouvertement comme ce médecin qui déclare le 27 août 1940 dans Marseille-Soir « La porte est fermée. La Maison est nettoyée. Médecins de Jassy, d'Odessa ou de Smyrne dont les noms furent trop souvent mêlés aux scandales médicaux d'avant-guerre, il faut retourner d'où vous venez. ».


Sylvie Orsoni

Sources

Journal officiel du 27 juillet 1935, Loi relative à l'exercice de la médecine et de l'art dentaire, p. 8146-8147, Gallica.BNF.fr

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Nahum Henri, La médecine française et les Juifs, 1930-1945, Paris, L'Harmattan, 2006

Noiriel Gérard, Les origines républicaines de Vichy            , Paris, Hachette Littérature, 1999.

Rémy Dominique, Les lois de Vichy, Actes dits « lois » de l'autorité de fait se prétendant « gouvernement de l'Etat français », Paris, éditions Romillat, 1992.