Deux « indésirables » allemands antinazis internés au GTE de Crest

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Collection Erich Welsch Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique d'époque, noir et blanc.

Date document : Novembre 1941

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest

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Analyse média

Erich Welsch et son père Jacques à leur arrivée au 352e GTE de Crest en novembre 1941, avant leur placement dans les charbonnières de Gigors. Allemands anti-nazis ayant fui la Sarre, ils ont été internés au camp de Gurs. Ils n’ont plus que des loques rapiécées pour tout vêtement.

Photographe non identifié.


Auteur(s) : Robert Serre

Contexte historique

Jacques Welsch vivait modestement d’un salaire de mineur en Sarre. Il avait participé à la Première Guerre mondiale et en était revenu écœuré par l’absurdité de la guerre et ses horreurs. Révolté par l’attitude de l’Église (il avait vu bénir les canons avant le combat), influencé par la Révolution soviétique, il devient antimilitariste, anticlérical et adhère au Parti communiste allemand, se fâchant ainsi avec sa famille. Il se marie en 1920 et a quatre garçons (dont trois survivront). Employé aux chemins de fer, il milite au DGB, syndicat des cheminots où il accède à des responsabilités importantes en Sarre. Mais ses engagements provoquent son licenciement de la compagnie de chemins de fer. Privés de ressources, Welsch et sa famille s’installent dans deux pièces de la maison de ses beaux-parents. On est en 1934 : la nuit, on entend sous les fenêtres les rodéos à moto des bandes nazies. Le jeune Erich, second des fils, a très peur car des réfugiés lui ont raconté les pires choses sur les camps de Dachau et de Ravensbrück. Après le plébiscite, dans la nuit du 17 janvier 1935, la famille Welsch, les parents et leurs trois garçons, quittent la Sarre « avec un maigre baluchon », traversent la frontière clandestinement et arrivent à Forbach. Érich Welsch a 13 ans. Après deux jours dans la salle des fêtes de la ville et une visite médicale rigoureuse, les cinq personnes sont intégrées à un convoi vers Montauban où Mme Welsch peut gagner un peu d’argent par des travaux de couture. En novembre, ils sont transférés avec une cinquantaine de réfugiés à Vouzeron, un village du Cher. Jacques y travaille dans un chantier des Eaux et Forêts et apprend ainsi, ce qui lui sera très utile plus tard, à confectionner une charbonnière. Peu après, les Welsch se voient attribuer une maison avec jardinet à Vierzon. Pour gagner leur vie et payer le loyer de leur maison, les Welsch recherchent tous les petits travaux, en particulier le déchargement des péniches sur le canal du Berry. À la déclaration de guerre, Jacques et ses deux fils aînés, « ressortissants d’une nation ennemie », sont internés dans une ancienne tuilerie. Ils demandent alors à s’engager dans l’armée française, mais seul Alfred, l’aîné des garçons, est accepté. Pendant la débâcle de mai 40, tandis qu’Alfred est au combat, les Welsch fuient Vierzon sur des vélos. Après huit jours de route sous la mitraille et les bombardements, ils arrivent à Limoges. Le fils aîné, démobilisé, les rejoint et trouve un emploi de chauffeur : il peut ainsi subvenir aux besoins de leur mère et du plus jeune fils. Jacques et son fils Erich, conformément à la loi sur les étrangers, sont internés dans des baraquements à Saint-Germain-les-Belles (Haute-Vienne). La famille est disloquée.

Erich et son père, en novembre 1940, sont emmenés à Gurs. Leur baraque, dans l'îlot H, regroupe 45 hommes munis d’une couverture et couchant sur la paille. Erich voudrait tenter l'évasion, mais il ne peut abandonner son père. La vie au camp est très dure, en particulier à cause de la malnutrition et du froid qui font des ravages : Erich a encore en tête l'image du camion faisant dans la brume matinale sa macabre tournée pour ramasser les cadavres des internés décédés durant la nuit. Il se souvient aussi de mains avides se faufilant dans les trous du grillage des cuisines pour dérober les épluchures de pommes de terre. Il a en effet la chance de travailler aux cuisines, ce qui lui permettra de survivre et de sauver son père qui, sans les suppléments, n'aurait pu résister. Les gardes-chiourmes se montraient d'une grande brutalité. Dès leur débarquement du camion-benne qui les avait transportés depuis la gare d’Oloron-Sainte-Marie, les internés sont bousculés, frappés pour activer leur descente. Erich se souvient aussi de l'horrible tabassage dont un Juif a été l'objet à la cantine à la suite de l'évasion de son frère. Chaque mois, la commission allemande rassemblait les détenus et leur tenait de grands discours pour les convaincre d'aller travailler en Allemagne, leur promettant de "passer l'éponge" sur leur comportement antihitlérien. Bientôt, leurs promesses alléchantes n'étant pas assez persuasives, les Allemands désignent dans leurs listes les hommes dont ils ont besoin et les embarquent immédiatement. Erich tremblait à chacun de ses sinistres appels. Enfin, le 11 septembre 1941, il apprend son transfert et celui de son père vers le 352e GTE (Groupe de travailleurs étrangers) de Crest. Débarqués du train à Livron où ils se présentent à la firme Desmarais frères (qui avec d’autres formera la compagnie Total), ils se rendent à Crest. Les internés du GTE, à l’exception de quelques détenus qui assurent l’intendance à Crest, sont répartis dans toute la Drôme, fournissant une main-d’œuvre bon marché.

Peu après leur arrivée, les deux hommes sont transportés en camion à Léoncel où ils doivent établir des charbonnières pour la société Desmarais. Ils vivent dans une cabane en bois, près d’un ruisseau où ils font leur toilette. À l’exception de trois semaines de mutation provisoire au Poët-Laval où ils abattent des arbres pour la société La Mure (l’une des entreprises qui formera le groupe Elf), ils resteront aux confins du Vercors jusqu'à la fin de la guerre, fabriquant du charbon de bois, à Léoncel pendant l'été, à Gigors le reste de l'année. C’est là que les connaissances de Jacques Welsch en matière de confection des charbonnières leur seront précieuses, les sauvant de la déportation. Ils ont avec eux pour abattre les arbres une équipe d’excellents bûcherons du GTE, espagnols en particulier. De bons contacts s’établissent avec la population locale : ils sont invités aux veillées, leur ravitaillement est à peu près assuré. Le travail est dur, parfois dangereux, exigeant des terrassements importants sur les fortes pentes. Dans l'été 1943, en portant un sac de terre, Erich est victime d'une double fracture de la cheville. Il est soigné à l'hôpital de Crest, puis achève sa guérison caché chez Emile Gontard, à Grâne.

De nombreux travailleurs étrangers du GTE de Crest ont pu gagner les rangs de la Résistance et faire profiter de la force de leurs convictions et de leur expérience des combats, souvent acquise dans les rangs des Républicains espagnols ou des Brigades internationales. Érich Welsch abandonne les charbonnières pour s'intégrer à la 6e compagnie (Brentrup) avec laquelle il participe aux combats des contreforts du Vercors. Le PC de la compagnie est installé à la ferme Sagnol qu'il connaît bien. Le père Welsch se fait instructeur pour enseigner à ces jeunes combattants novices le maniement des armes. On retrouve ensuite Érich lors de la libération de Valence. La 6e compagnie a pour objectifs la Poste et le Champ de Mars. De nombreux Allemands sont faits prisonniers. Érich sert d'interprète, évitant, dans un climat tendu, des incompréhensions et des morts inutiles.


Auteur(s) : Robert Serre
Sources : Hervé Mauran, Vincent Giraudier, Jean Sauvageon, Robert Serre, Des Indésirables. Les camps de travail et d’internement durant la Seconde Guerre mondiale dans l’Ardèche et la Drôme, éditions Peuple Libre - Notre Temps, Valence, 1999. Denis Peschanski, Des étrangers dans la Résistance, Les éditions de l’Atelier, Paris, 2002.