Jean Moulin

Légende :

Jean Moulin, représentant du général de Gaulle et premier président du Conseil National de la Résistance, dont la première réunion se déroule à Paris le 27 mai 1943

 

Jean Moulin, representative of General de Gaulle and first president of the National Resistance Council, with its first meeting taking place in Paris May 27, 1943

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Musée de l’Ordre de la Libération Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc, Musée de l'Ordre de la Libération

Lieu : France

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Contexte historique

Jean Moulin est né le 20 juin 1899 à Béziers (Hérault). Fils de petits notables de Béziers, il connaît une enfance républicaine auprès d'un père dreyfusard, militant de la Ligue des droits de l'Homme, membre du Parti républicain radical et radical-socialiste, élu conseiller municipal et conseiller général avant 1914. Tout en préparant sa licence en droit, Moulin entame à dix-huit ans une carrière dans les services préfectoraux. Nommé préfet en 1937, il est marqué politiquement par ses passages répétés au cabinet de Pierre Cot, ministre de l'Air en 1933-1934 et 1936-1938. Membre du mouvement "Jeune-Turc" du Parti radical, Cot est violemment attaqué par la droite au moment du Front populaire pour avoir fait livrer des avions à l'Espagne républicaine. Moulin n'a pas été un antimunichois de la première heure. En revanche, en mars 1939, dès avant l'invasion de la Tchécoslovaquie, le préfet de Chartres qu'il est devenu prononce avec émotion un hommage appuyé aux principes de la démocratie libérale.
Jusqu'en juin 1940, l'itinéraire de Jean Moulin est celui d'un jeune homme ambitieux qui réussit dans la carrière préfectorale. Un discret engagement à gauche n'a pas été pour le desservir. Rien ne le distingue particulièrement, sinon ses dons de caricaturiste et sa fréquentation des milieux artistiques et littéraires parisiens. Comme pour beaucoup d'autres, ce sont les événements de 1940 qui le hissent hors des sentiers. Dans la débâcle de juin 1940, après s'être débattu avec quelques volontaires pour assurer la continuité du service public à Chartres, il doit affronter des officiers de la Wehrmacht qui le brutalisent pour lui faire signer un "protocole" d'inspiration nazie diffamant l'armée française. Le 17 juin, il préfère s'entailler la gorge plutôt que de risquer le déshonneur. Le 2 novembre suivant, il est révoqué par le gouvernement de Vichy.

Jusqu'à son arrestation en 1943, Moulin vit sous une double identité. Dans le Midi, sa région natale, il conserve son véritable nom, ce qui lui permet de donner le change. Ailleurs, il se sert de fausses identités. S'il a quitté Chartres avec une fausse carte au nom de Joseph-Jean Mercier, geste qui montre ses intentions subversives, les modalités de l'action à entreprendre n'étaient pas encore claires dans son esprit. Il prit la décision atypique de ne pas participer aux mouvements de résistance qu'il contacta en zone Sud (Libération nationale et Liberté qui vont fusionner pour former Combat, et Libération), de ne pas fonder lui-même un mouvement ou un réseau, mais de dresser l'état des forces résistantes pour en informer Londres et la France libre, afin qu'ils leur viennent en aide. Il est très possible qu'il ait tiré là les leçons de l'échec des Républicains espagnols. L'expérience directe qu'il avait eue au cabinet de Cot de l'insuffisance de l'aide aux Républicains, et peut-être aussi de la nocivité des divisions internes à ce camp, ont pu fonder son choix de "transmettre un SOS" solidement documenté. De là à se voir proposer de diriger sur le terrain la répartition de l'aide et la fédération des forces, il n'y avait pas loin.
Arrivé à Londres en octobre 1941, Moulin y rencontre de Gaulle. Le 2 janvier suivant, il est parachuté en Provence, avec un ordre de mission le nommant délégué du chef de la France libre et du Comité national français en zone Sud. La "mission Rex" consiste en trois points : développer la propagande ; centraliser l'action résistante paramilitaire sous l'autorité du Comité national ; et réaliser "l'unité d'action de tous les éléments qui résistent à l'ennemi et à ses collaborateurs". Doté d'un poste émetteur-récepteur et d'un modeste budget, sans autre personnel qu'un radio, et sans autre autorité que celle que lui confère le prestige de de Gaulle, l'ex-préfet entreprend une tâche difficile faite de contacts, de discussions et de négociations clandestines. L'arrivée de Daniel Cordier, en juillet 1942, le soulage du travail de secrétariat.

Le premier résultat obtenu par Moulin, la condition même de la reconnaissance de son autorité, fut la déclaration d'allégeance au général de Gaulle des trois principaux mouvements de zone Sud (Libération et Franc-Tireur en février 1942, et Combat en mars). Il mit aussi sur pied les trois premiers services de la Délégation générale : le BIP (Bureau d'information et de presse), le SOAM (Service des opérations aériennes et maritimes) et le CGE (Comité général d'études). Mais le plus difficile fut l'action en direction des mouvements. A l'automne, le passage à Londres des chefs de Combat et de Libération permit au Comité national de couronner les efforts de Rex : un protocole donna aux trois mouvements le monopole du recrutement en zone Sud, en échange de quoi ils se réunissaient dans un Comité de coordination présidé par Moulin, et séparaient l'activité paramilitaire de la propagande. Ils versaient leurs troupes dans une "Armée secrète unique" et le chef de l'AS ne serait pas un chef de mouvement. A un émiettement de mouvements succédait –au moins sur le papier- un organigramme centralisé et hiérarchisé au bénéfice de la France combattante. En janvier 1943, la fédération des trois mouvements prit le nom de MUR, "Mouvements unis de Résistance". Rex en présidait le comité directeur. Sa tâche, telle que définie à la fin de 1941, était remplie.

L'invasion de la zone Sud le 11 novembre 1942 et la libération de l'Afrique du Nord par les Alliés donna à la question de l'unification de la Résistance une dimension et une urgence nouvelles. Par ailleurs, la certitude très répandue que le débarquement allié aurait lieu en 1943 accéléra les évolutions. Revenu à Londres en février-mars 1943, Moulin fut décoré par de Gaulle de la Croix de la Libération. Surtout, il fut chargé de nouvelles fonctions : nommé délégué de la France combattante pour les deux zones, il reçut en avril le rang de ministre avec le titre de commissaire national en mission. Sa mission consistait à mettre sur pied un "Conseil de la Résistance", et à poursuivre la formation de l'Armée secrète en l'étendant à la zone Nord. Convaincu depuis décembre 1942 de la nécessité de créer un Conseil de la Résistance qui démontre aux yeux des Alliés la représentativité et la légitimité de la France libre, Jean Moulin ne voyait d'autre moyen que d'y introduire des représentants des partis politiques traditionnels. Pour ce faire, il dut batailler contre les mouvements, qui, comme Combat, y étaient hostiles, mais aussi contre Pierre Brossolette, envoyé de la France libre en zone occupée en janvier-mars 1943. Ce dernier voulait que ce soit des "secteurs d'opinion" plutôt que "les anciens partis eux-mêmes", qui soient représentés au CNR. Ce redécoupage improvisé d'une opinion que l'on ne pouvait, de toute façon, consulter, aurait eu peu de chances d'être reconnu par les Alliés.

Le 21 juin 1943, en butte aux vives critiques des chefs de la Résistance qui lui reprochaient son autoritarisme et qui regrettaient la perte d'autonomie qu'entraînait pour eux le processus d'unification, traqué par la Gestapo et par Vichy, et, enfin, selon toute vraisemblance désigné à l'ennemi par les imprudences et les défaillances de militants de Combat, Moulin est arrêté. Identifié deux jours plus tard, il est torturé par Barbie à Lyon, puis transféré à Paris dans un état semi-comateux, dans une maison qui servait de prison, la "villa Boemelburg", du nom du chef de la Gestapo. Il meurt durant son transfert en Allemagne, le 8 juillet 1943.

"Joseph Mercier", "Rex," "Régis" ou "Max" aura donc séjourné cinq fois à Paris sous l'Occupation : en novembre 1940, au lendemain de sa révocation et en avril 1941 pour chercher des contacts; en juillet 1942 pour prendre ou reprendre des contacts avec des organisations résistantes ; du 30 mars à la fin mai 1943 pour mettre sur pied le Conseil de la Résistance ; et du 28 juin au 8 juillet, en état d'agonie. Au total, deux mois et demi seulement en activité : en durée, le souvenir de Jean Moulin se rattache plus à la ville de Lyon qu'à celle de Paris. Pourtant, c'est à Paris qu'il créa le Conseil National de la Résistance, ville et institution de la Résistance dont le poids symbolique dans l'histoire nationale reste inégalé.

A l'échelle nationale, la mémoire de Jean Moulin est cependant restée dans l'ombre jusqu'à ce qu'en 1964 ses cendres supposées aient été transférées au Panthéon, lors d'une cérémonie grandiose présidée par le général de Gaulle et soulevée d'émotion par l'éloquence d'André Malraux. "Pauvre roi supplicié des ombres", Jean Moulin est entré dans la légende nationale comme le symbole de la Résistance d'un peuple. C'est sans doute cette élévation à la hauteur d'un mythe fondateur qui lui a valu par la suite d'être l'objet d'accusations aussi graves que fantaisistes comme celle d'avoir été un "krypto-communiste", en 1973, ou un agent du KGB, en 1993, ou encore un agent de l'OSS américain, en 1998.

Décorations :
Officier de la Légion d'honneur - décret du 1er octobre 1945, Compagnon de la Libération - décret du 17 octobre 1942 (sous le pseudonyme de "caporal Mercier"), Médaille militaire, Croix de guerre 1939-1945 avec palme - décret du 1er octobre 1945, Chevalier du Mérite agricole, Médaille commémorative de la guerre 1914-1918, Médaille Interalliée 1914-1918, dite "Médaille de la Victoire", Médaille commémorative de la guerre 1939-1945 avec barrettes France et Libération, Médaille de l'Éducation Physique, Médaille d'Honneur des Assurances sociales (ministère du Travail), Médaille de la Prévoyance Sociale, Médaille de l'Assistance (ministère de la Santé publique), Chevalier de l'Ordre de la Couronne d'Italie (1926), Ordre de Jade (Chine, 1938).

 

Jean Moulin was born June 20, 1899 in Béziers (Hérault). Son of small nobles of Béziers, he knew a republican childhood beside a dreyfusard father, advocate for the League of Human Rights, member of the Radical Republican Party and the Radical-Socialist, elected municipal counselor and councilor general before 1914. All in preparation for a legal license, Moulin started on a career in the prefectural services. Named prefect in 1937, he was marked politically by the passages repeated by the cabinet of Pierre Cot, minister of the airborne in 1933-1934 and 1936-1938. Member of the “Young Turks” of the radical party, Cot was attacked violently by the right-wing Front Populaire for having sent planes to Spain. Moulin was not an antimunichois (opposed to the Munich Agreements) right away. On the contrary, in March of 1939, before the invasion of Czechoslovakia, the prefect from Chartres who had become filled with emotion saw it as homage to the principals of liberal democracy. Until in June 1940, the agenda of Moulin was that of a young ambitious man who succeeded in the career of prefect. A discrete engagement with the left did not harm it. Nothing would have distinguished him from the rest had it not been for frequenting the Parisian artistic and literary circles. As for many others, the events to come in 1940 would stray him from his intentioned path. In the debacle of 1940, after fighting along with some volunteers to assure the continuance of public service at Chartres, he was confronted by officers of the Wehrmacht that beat him until he signed a Nazi inspired protocol defaming the French army. June 17, he preferred to slit his throat rather than risk dishonor. On the following November 2, he was dismissed by the Vichy government.

Until his arrest in 1943, Moulin lived under a double identity. During the day, in his home region, he conserved his true name. Elsewhere, he kept false identities. If he left Chartres with the false name of Joseph-Jean Mercier, a gesture which showed his subversive intentions, the ways of going about fixing this were not yet clear. He took the atypical decision of not participating in the movements that he contacted in the southern zone (Libération nationale and Liberté, who would fuse to form Combat, and Libération), and did not himself found a movement or a network but drew up a list of the resistance forces to inform London and Free France in order that they would become useful. It is entirely possible that he had drawn lessons from the failure of the Spanish Republicans cause. The direct experience that he had in the cabinet was insufficient to aid the Republicans and could have also, from the noxiousness of the interned divisions at camp, cemented his choice for transmitting an SOS solidly documented. From there he was proposed to direct on the ground the repartition of aid and the federation of forces and he never strayed far. Arriving in London October 1941, there Moulin met with General de Gaulle. The following January 2, he was parachuted into Provence with a mission order from notable delegates and head of Free France and of the National French Committee in zone libre. “Mission Rex” consisted of three points: developing propaganda, centralizing paramilitary resistant action under the National Committee, and creating “a unity of action of all elements that resist the enemy and their collaborators”. Equipped with a radio receptor and a modest budget, without any personnel except a radio, and without any other authority that could confer upon him a prestige like that of De Gaulle, the ex-prefect sought out on the difficult task of making contacts, through clandestine discussions  and negotiations. The arrival of Daniel Cordier, in July 1942, would lessen some of his work.

The first result obtained by Moulin, the condition made his authority known, was the declaration of allegiance to General de Gaulle of three principal movements from the southern zone (Libération and Franc-Tireur in February 1942, and Combat in March). He also started the three first services of the General Delegation: the Bureau of Information and the Press (BIP), the Service of Aerial and Maritime Operations (SOAM), and the Committee of General Studies (CGE). However, the most difficult was trying to direct the movements. In the autumn, the passage to London for the heads of Combat and of Libération permitted the Committee to recognize the efforts of Rex: a protocol gave the three movements the monopoly of recruitment in the southern zone in exchange for what they had accomplished in the Committee for Coordination presided over by Moulin and separated from the activity paramilitary and the propaganda. They poured their troops into the “Armée Secrète Unique” and the head of the AS would not be a movement head. If a dissipation of the movements came about, at least on paper, a centralized and hierarchical system could continue to lead Fighting France. In January 1943, the federation of the three movements took the name United Movements of the Resistance (MUR). Rex was established as its Committee Director. Their task, as it had been defined at the end of 1941, was to build support.

The invasion of the southern zone November 11, 1942 and the liberation of North Africa by the Allies brought about the question of the Resistance’s unification as even more urgent. Moreover, the widespread certitude that the Allied landing would take place in 1943 accelerated its evolution. Returning to London in February-March 1943, Moulin was decorated by De Gaulle with the Croix de la Libération. He was also entrusted with new functions: he was named delegate of Fighting France in the two zones and he received in April the rank of minister with the title of National Commissar of Missions. His task consisted of establishing a Council of the Resistance and pursuing formation of the Secret Army to spread in the northern zone. Convinced since December of a necessity to create a Council of the Resistance that demonstrated to the Allies the legitimate representation of the traditional political parties, Jean Moulin did not see another method that would introduce make known the representatives of these traditional parties. To do this, he had to battle against the movements who, like Combat, were hostile toward the parties and also against Pierre Brossolette who was sent by Free France into the occupied zone in January-March 1943. The last wished for it to be “sectors of opinion” rather than “the old parties themselves”, to be representatives in the CNR. This opinion, in all respects, would never have been recognized as legitimate by the Allies.

June 21, 1943 because of the strong critiques of the heads of the Resistance who reproached him for his authoritarianism and who regretted the loss of autonomy necessary for unification, tracked by the Gestapo and Vichy, and finally, in all likelihood brought about because of the imprudence and defiance of the militants of Combat, Moulin was arrested.  Identified two days later, he was tortured by Barbie at Lyon and transferred in a state of semi-consciousness to a home which served as a prison, the “villa Boemelburg” named after the head of the Gestapo. Moulin died during his transfer to Germany July 8, 1943.

“Joseph Mercier”, “Rex”, or “Max” travelled to Paris five times during the occupation: in November 1940 the day after his revocation and in April 1941 to search for contacts; in July 1942 for making or remaking contact with the resistant organizations; from March to the end of May 1943 to establish the Council of the Resistance, and from June 28 to July 8 in a state of agony. In total, two and a half months in of activity: one attaches the memory of Jean Moulin more to Lyon than Paris. Yet, it is at Paris that he created the National Council of the Resistance, the city and institution of the Resistance where the symbolic steps remain unequaled.

On a national scale, the memory of Moulin rested in the shadows until his ashes were transported during a large ceremony presided over by General de Gaulle and filled with emotion by the eloquence of André Malraux. “Poor tortured king of the shadows”, Jean Moulin has entered the national legend as a symbol of the people’s resistance. It is without a doubt the elevation in height of the founding myth that valued him after being the object of accusations and fantasies such as being a crypto-communist, in 1973, or a KGB agent, in 1993, or also an agent of the American OSS.

Decorations

Officier de la Légion d’Honneur—decorated on October 1, 1945, Compagnon de la Libération—decorated October 17, 1942 (under the pseudonym of “Caporal Mercier”), Médaille Militaire, Croix de Guerre 1939-1945 with distinction—decreed October 1, 1945, Chevalier du Mérite Agricole, Médaille Commémorative de la Guerre 1914-1918, Médaille Interalliée 1914-1918, Médaille Commémorative de la Guerre 1939-1945 with military stripes, Médaille de l’Éducation Physique, Médaille d’Honneur des Assurances Sociales, Médaille de la Prévoyance Sociale, Médaille de l’Assistance, Chevalier de l’Ordre de la Couronne d’Italie (1926), Ordre de Jade (China, 1938).

 

Traduction : John Vanderkloot


Claire Andrieu, "Jean Moulin", in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.