Comps, parachutage de Michel Poniatowski

Légende :

Vue aérienne du site de Comps

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Alain Coustaury

Source :

Détails techniques :

Photographie argentique couleur, altitude de prise de vue  600 mètres

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Comps

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Analyse média

La commune de Comps, sur un interfluve, entre le Jabron au sud et le Roubion au nord, se situe autour de 600 mètres d'altitude. Des montagnes la dominent de plusieurs centaines de mètres. Au sud, celles de Saint-Maurice et des Ventes culminent à plus de 900 mètres d'altitude . Les deux ensembles montagneux sont séparés par un défilé au fond duquel coule le Jabron qui prend sa source au niveau de la commune de Comps. Un défilé semblable sépare la montagne des Ventes du Montmirail dominant le quartier de Beau vallon. Le terroir de Comps est constitué de parcelles souvent entouré de haies. La photographie aérienne estompe un relief mouvementé. Cette topographie, les nombreuses haies et murets n'étaient guère favorables à l'installation d'un terrain de parachutage. La grande fréquence des vents, notamment du mistral, balayant le territoire de Comps rendait encore plus délicat les atterrissages des parachutistes. L'avantage présenté par le terrain de Comps était qu'il était éloigné des agglomérations et dans un site relativement peu accessible.

Au nord de Comps, la vallée du Roubion coule au pied du massif de Saoû.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Le 30 juillet 1944, après deux tentatives infructueuses, Michel Poniatowski (1922-2002) membre d’une section commandée par le lieutenant Corley est parachuté sur le terrain de Comps. Sans une panne de camion, le 25 juillet 1944, il aurait dû être parachuté avec ses camarades sur le Vercors.

Lors d’un atterrissage dur, le lieutenant Corley se blesse grièvement. Il est remplacé par l’aspirant Raymond Muelle.

L’atterrissage sur la terre française marque profondément le soldat. Le récit montre également les difficultés des parachutages nocturnes.

« Équipés et les parachutes agrafés, vérifiés une dernière fois, Jones nous donne une amicale pression d’encouragement sur l’épaule. Dans l’avion obscur, nous nous tenions assis au bord de la trappe par laquelle le vent entrait avec violence. Nous étions les cinq premiers à sauter dans cet ordre : Muelle, moi-même, Philippe, Barrat et Palomba.

Le sol tout proche devenu visible, nous distinguions les feux délimitant le terrain et les ombres qui couraient. L’avion vira une dernière fois, piqua, se redressa, la lumière rouge passa au vert et, avec un sourire, le largueur leva le pouce :

- Go, Go, Go…

C’était le grand moment : nous nous soulevâmes sur les mains au bord de la trappe avant de nous laisser glisser en avant d’un coup de rein. Philippe, un peu pressé, me donna un coup de soulier à la tête. Le vent était d’une extrême violence, nous étions ballottés en tout sens, jetés sur le dos, puis sur le ventre ; j’appliquai les instructions, les mains au garde-à-vous, collées au corps. Le parachute allait bien s’ouvrir. Nous avons été largués d’une hauteur de 150 mètres. Peu à peu, en descendant, je devais éprouver une impression unique et merveilleuse : c’était bien la France que je retrouvais avec l’odeur de sa terre, celles de ses fleurs et de son herbe humide qui montaient vers moi ; j’étais bouleversé.

J’eus la chance de tomber sur une parcelle de terre meuble, le choc fut presque doux. J’aurais pu rester debout mais je préférais enfouir mon visage dans cette terre qu’on nous avait prise et qu’il fallait reprendre ; c’était la conviction forte et absolue de ce moment-là.

Une forme approcha, je sortis mon revolver.

- Ça va ?

- Ça va.

L’accent était si authentique qu’aucune gueule de teuton ne pourrait jamais arriver à le reproduire. - Laissez vos parachutes là, on va les ramasser, prenez vos armes, rendez-vous à la maison que vous apercevez là-bas.

Cependant, l’avion passant et repassant larguait les hommes, les containers, les caisses de munitions et les explosifs.

Nous nous relevâmes tous sauf un homme, Pallot. Couché au sol, il gémissait (…) Il allait rejoindre d’autres blessés. En effet, le vent était assez fort la veille, l’avion avait parachuté d’une altitude légèrement supérieure.

Corley était tombé la tête contre un mur. Dans un état comateux, il gisait depuis, caché dans une cave avec le sergent Villuana à la jambe cassée et Godard à l’épaule fracturée.

Le terrain choisi permettait une bonne approche des avions et une évacuation rapide du matériel, car il y avait quatre chemins d’accès, et les blessés pouvaient être soignés à Dieulefit. En revanche le champ de Comps était étroit, avec pour limites une ligne électrique d’un côté, une ligne téléphonique de l’autre et des chemins dotés de fossés. Dès qu’il y avait du vent, il devenait dangereux.

Brus, qui nous avait accueillis, nous pressait : - Il ne faudra pas trop s’attarder, depuis l’opération du Vercors, la semaine dernière, les Allemands circulent un peu partout, et des parachutages deux nuits de suite, ça se repère. Les parachutes ne traînaient pas sur le terrain ; sitôt ramassés, ils étaient dissimulés de cave en cave avant de finir dans la meilleure cache possible, sous la forme de chemises ou d’une robe de mariée.

Pendant que Muelle se rendait auprès de Corley pour juger de son état, reprendre l’ordre de mission de la section et l’argent qui s’y trouvait joint, nous fûmes accueillis par les habitants d’une ferme toute proche, les époux Fraysse, touchants de gentillesse, de cœur et de courage aussi, car tout raid allemand aurait entraîné leur exécution sur place.

Au moment de franchir le seuil de la porte, l’idée me vint de tester le mot de passe que l’on nous avait donné en partant ; je me retournais vers Brus.

- « Le Diable le défit… »

Il ne répondit rien.

- « Dieulefit», ajoutai-je.

Il me regarda surpris.

- « Ah ! Dieulefit ! Mais c’est par-là, dans la vallée, à six ou sept kilomètres. »

Je lui expliquai que c’était le mot de passe. Il n’en avait jamais entendu parler.

- « Vous savez, ces Messieurs à Alger, ils s’amusent comme ils peuvent… »

Mme Fraysse nous conduisit dans sa grange. Lovés dans le foin, quelques jeunes officiers du BCRA dormaient. Récemment parachutés, ils n’avaient pas encore reçu d’affectation auprès des FFI Mais, ce qui nous frappait davantage, c’était une longue table garnie de miches de pain croustillante, de bouteilles de vin, de pâtés, de saucissons, de tranches de viande. Après l’odeur, nous retrouvions la saveur du pays, son goût, ses mets. Ce fut le meilleur repas que j’eusse jamais fait, et dans le foin, le plus doux sommeil que j’eusse jamais trouvé. »

Michel Poniatowski résume bien les difficultés des parachutages, les sentiments des Français qui touchent le sol. Le rôle des équipes de réception est bien mis en valeur. Le soutien, la complicité de la population locale permettent aux arrivants d’être soignés, voire chouchoutés. Mais tous les incidents liés aux parachutages n’ont pas toujours eu une fin aussi heureuse.


Auteurs : Alain Coustaury

Sources : Poniatowski Michel, Mémoires, tome 1, Plon/Le Rocher, 1997, 369 pages.